Pour une fois, c’est l’Homme qui va être chassé. D’après le rapport de nécropsie, Sedna, l’orque qui a tristement terminé sa vie dans la Seine en mai dernier, aurait aussi reçu une balle dans la tête des semaines, voire des mois avant de finir par mourir de faim en remontant le fleuve, près du Havre.
Sea Shepherd, association qui défend les océans et sa faune marine, offre une récompense conséquente à toute personne qui serait capable de donner des informations pertinentes pour retrouver le ou les responsables de cet acte immonde.
Sedna, symbole de l’impunité des hommes face aux animaux
L’histoire est triste et pourrait malheureusement se reproduire. En mai dernier, une jeune orque est aperçue près du Pont de Normandie, puis un peu plus haut dans la Seine les jours suivants.
Visiblement perdue, en état de grande détresse et affamée, la baleine a été retrouvée morte quelques jours après, le 30 mai dernier. D’après les premiers examens du rapport de nécropsie, Sedna (déesse de la mer) « l’animal serait mort d’inanition (état de faiblesse causé par le fait que l’animal ait cessé de s’alimenter) ».
Mais ce n’est pas tout. Dans le rapport, on peut lire qu’une munition a été retrouvée à la base du crâne de l’orque, tirée par l’Homme, tirée des semaines ou des mois avant sa mort.
L’association Sea Shepherd, qui n’a cessé de s’impliquer dans les tentatives de sauvetages de l’animal en perdition, ne compte pas s’arrêter là : elle offre aujourd’hui une récompense de 10 000 € à toute personne qui pourrait avoir des informations concernant l’identité de la personne qui aurait tiré sur l’animal.
Orque Sedna : autopsie d’un échec humain
Nous avons pu échanger avec Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France et co-directrice de Sea Shepherd Monde, et lui poser nos questions.
Madmoizelle : On sait, grâce à l’autopsie, que Sedna a reçu une balle dans la tête il y a quelque temps, même si ça ne serait pas ce qui l’a tuée dans la Seine. Est-ce que c’est un acte fréquent et répandu ? Qui aurait pu commettre ce geste terrible, et pourquoi ?
Lamya Essemlali : Les tirs par balle sur les prédateurs marins et particulièrement sur les mammifères marins (orques, dauphins, phoques…) sont beaucoup plus fréquents qu’on ne l’imagine. En effet, ces derniers ont tendance à venir » se servir » dans les filets de pêche, et avec la surpêche et la raréfaction des poissons, la compétition entre pêcheurs et prédateurs marins s’intensifie.
Les orques de Crozet en antarctique en ont fait les frais, la population d’orques a été très impactée par les tirs des pêcheurs de légine australe… Mais le phénomène existe en de multiples endroits du monde, y compris en France.
L’Observatoire scientifique Pélagis, qui autopsie les cadavres de phoques et de dauphins sur nos plages, fait état de cas récurrents où les animaux présentent des impacts de balles. Cela doit nous interroger sur les conséquences dramatiques de la surpêche, non seulement pour les espèces de poissons qui sont ciblées, mais aussi pour toutes celles qui se nourrissent de ces poissons qui sont dans nos assiettes.
Madmoizelle : Sea Shepherd offre 10 000 € de récompense pour faire condamner celui qui aurait tiré une balle sur l’orque Sedna. Est-ce c’est une offre symbolique pour aider à éveiller les consciences, ou pensez-vous que cette personne va être retrouvée pour de bon et qu’elle pourra être condamnée comme cela a été pour le cas des phoques décapités dans le Finistère ?
Lamya Essemlali : L’objectif premier de cette récompense est de motiver les témoins à parler. Il y a forcément eu des témoins. Il règne une grande omerta dans le secteur de la pêche et ce qui se passe en mer est particulièrement opaque.
Il en résulte un climat d’impunité qui fait que la plupart des abus et des atteintes illégales à la vie marine peuvent s’opérer sans que les responsables soient inquiétés. Le grand public est à mille lieues d’imaginer l’ampleur du carnage et la véritable boucherie qu’il y a en mer. Nous voulons braquer les projecteurs sur le problème, inciter à la pose de caméras obligatoires sur les bateaux de pêche et pousser les gens à s’interroger sur leurs habitudes alimentaires dont les conséquences leur échappe.
Madmoizelle : Est-ce que vous avez eu des retours ou des informations sur ceux qui auraient pu faire ça à Sedna depuis que l’offre de récompense a été diffusée ?
Lamya Essemlali : Pour l’instant, aucun des retours que nous avons n’est suffisamment probant pour être transmis aux autorités. C’est de toute façon un peu tôt, en général, il faut attendre quelques semaines. Mais surtout, nous attendons avec intérêt les résultats des analyses ADN de Sedna pour savoir de quel groupe et de quelle région elle est originaire.
Cela donnera des indications précieuses sur les pêcheries avec lesquelles elle a pu être en interaction. On sait par exemple qu’il existe d’importantes tensions en Norvège entre les pêcheurs de harengs et les orques ou encore vers le détroit de Gibraltar avec les pêcheurs de thons. Ces informations nous permettront d’axer la communication localement pour maximiser les chances et que l’information sur l’existence de la récompense parvienne aux bonnes oreilles…
Madmoizelle : À titre personnel, est-ce que vous n’êtes pas épuisée de voir à quel point certains humains ne respectent pas la nature et ses êtres vivants ? Comment faites-vous pour tenir le coup face à de telles barbaries ?
Lamya Essemlali : Personnellement, il est parfois difficile d’être confrontée à la fois au carnage et, en parallèle, à la relative ignorance ou indifférence d’une large portion de la population. Les consciences s’éveillent peu à peu, mais trop lentement par rapport au rythme des destructions, et il y a souvent un gap entre la prise de conscience et le changement effectif des habitudes et des lois.
Mais quel que soit mon niveau d’optimisme ou de pessimisme, la démotivation ne fait pas partie de répertoire émotionnel. Je ne peux pas et ne veux pas me payer ce luxe. Tant qu’il restera quelque chose à sauver dans l’océan, je ferai tout ce que je peux pour y contribuer.
Rappelons que tirer sur ces espèces protégées, comme Sedna, est un délit passible de 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
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Crédit photo image de une : Lazareva
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