Il est très tôt à New York lorsque j’ouvre les yeux ce mardi matin. Mais ce n’est pas l’heure d’écrire des cartes postales : une deuxième journée de conférences attend la délégation de femmes politiques françaises, venues participer à la Commission sur le statut de la femme à l’ONU.
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Politique et égalité des sexes
Nous partons pour le siège de la Mission permanente de la France à l’ONU. Pascale Boistard assiste à une bilatérale. Pendant ce temps, sa conseillère lit et corrige une énième fois l’intervention de l’après-midi. Au cas où tu en doutais, les discours ne sont pas écrits par la secrétaire d’État en personne : les recherches et la rédaction sont faites par les conseillères, « ensuite, Pascale Boistard ajoute sa patte ». Hier, quand une des conseillères pensait avoir oublié le texte, Pascale Boistard ne s’est pas affolée : « Allez, j’improvise ! ».
C’est parti pour une table ronde autour de l’égalité entre les sexes dans la politique et la vie publique. Chaque pays énonce fait un état des lieux de l’égalité hommes-femmes en son sein : on parle des quotas, du nombre de femmes au Parlement et au gouvernement, et de l’éducation des femmes qui doit leur permettre d’être suffisamment armées pour pouvoir participer aux prises de décision. Arménie, Algérie, Samoa, Mexique, Mozambique, Liechtenstein, Irak… Les différent•e•s intervenants insistent sur l‘importance de former les femmes, pour leur permettre d’exercer la position qu’elles méritent dans la vie politique.
Par exemple, au Luxembourg, pour faire évoluer la place des femmes en politique, on s’attaque aussi à la société et à la sphère privée : les hommes sont encouragés à participer aux tâches de la famille, et le taux d’emploi des femmes est très élevé.
Pascale Boistard est saluée par le public sur ces mots :
« On pose souvent aux femmes la question de leurs qualités, de leurs compétences. Est-ce que cette question est posée régulièrement aux hommes ? »
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Les femmes, victimes du changement climatique
C’est reparti pour une conférence, et chaque pays a sa place !
Autre salle, autre sujet, autre place à trouver, autre oreillette à s’approprier. En décembre prochain, la France reçoit la COP 21. Elle pilote donc ici un
side-event sur les inégalités de genre face au changement climatique. La vulnérabilité des femmes est accrue par ce changement, explique la secrétaire d’État, parce que ce sont souvent elles qui vont chercher de l’eau dans les pays pauvres. La sécheresse contraint les femmes à se déplacer, et par cela les isole, les rend plus susceptibles de subir des violences.
Pascale Boistard veut utiliser leurs connaissances, impliquer les femmes dans le secteur des énergies et dans les instances de négociation.
Le lien entre problématiques de genre et de climat est loin évident pour tout le monde, comme le soulignent les intervenantes. Laksmi Puri, directrice adjointe d’ONU Femmes, insiste sur l’importance d’inclure le genre dans les textes qui concernent le climat. Selon elle, il faut :
- toujours inclure le terme « autonomisation des femmes »
- inclure du langage concernant le genre dans les sections importantes
- trouver des pays « champions », qui vont donner l’exemple et entraîner les autres
Elle achève son intervention en français : « Nous voulons prendre la Bastille du changement climatique ! ». Prendre la Bastille oui, mais encore faut-il le faire tous ensemble… Mariam Diallo-Dramé, présidente de l’ONG Femmes leadership et développement durable au Mali, profite de la séance pour interpeller la secrétaire d’État française :
« Dans certains pays, des délégations vont signer des accords là-dessus mais ne vont pas les respecter. Est-ce que vous allez faire un état des lieux ? »
Comment parler de l’extrémisme ?
Un déjeuner de travail à la Mission française plus tard, la délégation au complet est de retour. Il va être question de la place des femmes dans la lutte contre les extrémismes religieux, et plus particulièrement des violences dont les femmes font l’objet sous prétexte d’idéologie religieuse.
Pascale Boistard n’est pas la seule à intervenir en français : Nicole Ameline, ancienne ministre de la parité et de l’égalité professionnelle, s’exprime au nom de la CEDAW, dont elle est la présidente. Derrière cet acronyme se cache la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies.
Elle insiste sur la compatibilité entre religions et droits des femmes : oui, c’est possible, mais la religion doit s’adapter pour tenir compte des évolutions communes à l’ensemble des sociétés.
« Les femmes ne doivent pas être considérées comme des victimes, elles doivent prendre la parole »
Et pour cela, Nicole Ameline souligne l’importance de transformer les normes sociales qui transmettent une vision « rigoriste et passéiste » des droits des femmes.
Pascake Boistard dénonce elle aussi fermement les violences liées à l’extrémisme, tout en laissant la porte ouverte :
« L’extrémisme religieux n’est pas un sujet facile à aborder car il est trop souvent associé à une religion. […] Le respect des droits humains n’est pas une question de culture, c’est une question de principe. […] Le premier rempart contre l’extrémisme, c’est l’éducation […] la formation à la tolérance, à la pluralité des opinions, au respect culturel. »
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À la sortie, les femmes de la délégation saluent le thème du discours : devant un public venu de tous les pays et aux croyances très diversifiées, elles estiment que Pascale Boistard a eu raison de baser son intervention sur la non-stigmatisation d’une religion.
La délégation souffle un peu. Cigarettes. Dès qu’on touche à la place de la femme dans la religion, il semble que les représentantes françaises soient unanimes : « Bon, là on se prêche entre convaincues, ce n’est pas nous qu’il faut convaincre… ». Danielle Bousquet profite du sujet pour dispenser à ses collègues quelques conseils de lecture sur la question du voile. C’est aussi l’occasion de débriefer la prestation du modérateur de la séance — qui s’est un peu étalé — et de se remémorer des souvenirs de l’Assemblée nationale : « Vous vous souvenez quand Valls a faire taire untel ? ».
Au coeur de l’actu, la prostitution
On approche de la fin. Dernier sujet en vue, la prostitution ou plus exactement, selon l’intitulé de la table ronde, « l’exploitation sexuelle des femmes et des filles ». Pour la délégation française, c’est du gâteau, ou presque : la proposition de loi pour pénaliser les clients de prostituées va passer devant le Sénat les 30 et 31 mars prochain, autant dire que les parlementaires maîtrisent le sujet.
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La conférence n’a pas lieu à l’ONU, et la salle étant moins équipée, un interprète accompagne Pascale Boistard et traduira son discours en anglais dans le micro au fur et à mesure pour l’auditoire. Dans ce débat, le vocabulaire employé est particulièrement important, comme me l’explique une des membres de la délégation : on centre ainsi le débat sur les « droits reproductifs ».
Tout l’enjeu est de savoir quels sont les moyens employés pour lutter contre la prostitution, et comment on la qualifie. La députée Catherine Coutelle, qui porte le texte sur la pénalisation des clients de prostitué•e•s en France, explique qu’il n’y a, selon la position du gouvernement français, « qu’une seule prostitution ». Elle refuse la notion de prostitution choisie que défendent certain•e•s travailleurs•euses du sexe.
Avant elle, Pascale Boistard a aussi insisté sur l’idée de la prostitution comme une forme de violence :
« Tant que le corps des femmes peut se vendre et s’acheter, il n’y a pas d’égalité possible. »
Catherine Coutelle dénonce également l’argent généré par cette activité :
« Les proxénètes sont des messieurs en cravate derrière leurs ordinateurs »
C’est l’occasion de comparer les projets de la France avec les mesures qui ont été prises dans d’autres pays pour lutter contre la prostitution. La Suède, dont la France s’est beaucoup inspirée, a été le premier pays à criminaliser l’achat de relations sexuelles, et la prostitution de rue a diminué de 50%.
À l’inverse, certains pays sont arrivés à la conclusion qu’il valait mieux décriminaliser cette activité. Au Canada, le lobby de la prostitution est très actif. La loi criminalise l’achat de relations sexuelles, d’en faire la publicité, et la sollicitation par les prostitué•e•s en face de certains lieux comme les écoles, mais décriminalise les personnes qui vendent leur corps.
La France détendue, mais la France attendue
Sortie de la conférence. L’ambiance est plus détendue. Les membres de la délégation ont l’air soulagées de voir la fin du marathon approcher. Elles grillent des cigarettes sous le porche, pendant qu’il pleut des seaux sur New York.
— Il t’en reste une ? — On n’a pas celles-là en France… — Eh bah bravo, on va avoir un article de madmoiZelle qui raconte que la délégation fume de la drogue !
Les femmes de la délégation montent dans le van. Sur la route vers l’aéroport, chacune récite déjà son programme du lendemain : aller voter la loi sur la fin de vie, poursuivre le travail sur la COP 21…
« Il faut qu’on aille voir François Hollande pour lui dire qu’on est vraiment attendues sur ce sujet par rapport aux femmes ! Si tu veux je viens avec toi ! »
Un mouchoir, un chocolat, un chargeur, un magazine ? À l’aéroport, la délégation ressemble plus à une bande d’amies qu’à un groupe politique. Ce n’est pas le seul rappel à la réalité qui me saute aux yeux : aux États-Unis, une secrétaire d’État française enregistre ses bagages en priorité, mais doit quand même ôter ses chaussures pour passer les contrôles de sécurité !
Quelques longues minutes plus tard (les contrôles sont décidément intraitables), nous voilà assises dans un salon Air France. J’en profite pour interroger Pascale Boistard sur son ressenti et lui fait remarquer l’enthousiasme de la salle à plusieurs de ses interventions :
« Cela peut paraître surprenant vu de la France elle-même, on se rend pas compte du poids de sa voix. Sur tous les sujets que j’ai pu aborder, j’ai pu remarquer qu’on attendait beaucoup la France : l’éducation à la sexualité, bien sûr, puisque c’est nous qui organisions, mais aussi la démocratie et comment faire exister les femmes dans la classe politique. On a une responsabilité, qui est de garder le cap et de continuer à avancer. »
Finalement, tout se passe dans les couloirs
Et concrètement, qu’est-ce que ça va donner, tout ça ? Pas des lois, puisque comme l’explique le site de la CSW, son objectif est essentiellement d’évaluer les progrès et ce qu’il reste encore à améliorer :
« L’ONU n’est pas un gouvernement mondial et elle ne légifère pas. […] Les États membres conviennent des mesures à adopter pour accélérer les progrès et promouvoir la pleine jouissance par les femmes de leurs droits politiques, économiques et sociaux. Les conclusions et les recommandations de chaque session sont transmises à l’ECOSOC afin qu’il en assure le suivi. »
Pour la France, Pascale Boistard a sa petite idée :
« C’est une base de réflexion. Par exemple, sur la COP 21 et sa préparation, on a rencontré de nouveaux interlocuteurs, comme ONU femmes, avec qui on a eu une bilatérale. Avec Michèle Sabban du Regions of Climate Action [une ONG qui travaille entre autres sur les énergies renouvelables], ç’a été l’occasion de peut-être mieux appréhender ce qu’on souhaite faire ensemble. »
Les fameuses bilatérales, ces entretiens en comité restreint, sont en fait un des enjeux principaux de ce voyage. Au vu des conférences, j’ai de mon côté l’impression qu’on a survolé un ensemble de sujets liés aux droits des femmes sans avoir le temps d’écouter le bilan de tous les pays, manque de temps oblige. Mais ce sont les rencontres avec des homologues, parfois très informelles, qui importent vraiment. Pascale Boistard note :
« La rencontre de couloir avec la ministre luxembourgeoise — au 1er juillet, le Luxembourg aura la présidence de l’Europe. Avec mon homologue allemande, on a parlé des quotas : elle m’a dit que ce n’était pas possible en Allemagne à cause d’un blocage d’une majorité, qui s’est finalement réglé.
J’ai interrogé la ministre suédoise sur le bilan qu’ils tiraient de la loi contre le système prostitutionnel, qu’ils ont adoptée il y a plus de dix ans. Il y a beaucoup d’associations aussi, c’est important. Ces rencontres servent à maintenir un lien, à la fois politique mais surtout d’engagement, sur les droits des femmes. »
Un peu plus tard, toujours dans le salon de l’aéroport, Pascale Boistard, visiblement épuisée, cite des répliques du Dîner de cons : « Il s’appelle Juste Leblanc ! Mais il a pas de prénom ? J’adore ce film ! ». Elle est écroulée de rire, et le reste de la délégation ne boude pas non plus. La fatigue se fait sentir. Comme il l’a été répété pendant la Commission sur la condition de la Femme, la femme politique est un humain comme un autre.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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