Dimanche 8 mars 2015, Journée internationale des Droits des Femmes. Il est 17 heures, et dans un aéroport parisien, un groupe de femmes politiques françaises grignote des sandwichs entre deux jus d’orange dans un espace réservé.
Pascale Boistard, la Secrétaire d’État chargée des Droits des Femmes, vient tout juste d’arriver. Elle a l’air fatiguée et un peu essoufflée. « Ça s’est bien passé, elles étaient contentes » assure-t-elle à ses collègues à propos du rassemblement Elles font la France qui a eu lieu à l’Elysée l’après-midi même, en présence du président de la République. « Depuis quinze jours, c’est la course » soufflent ses deux conseillères, qui sont aussi du voyage.
Délégation, top départ
En France, le Ministère des Droits des Femmes est l’organe politique qui s’intéresse à la place des femmes et aux moyens d’améliorer l’égalité hommes-femmes. Sauf que la question de l’égalité entre les sexes ne s’arrête pas à nos frontières (tu t’en doutais) : à l’international aussi, on s’interroge sur la place des femmes dans les divers pays du monde. Chaque année, à l’Organisation des Nations Unies, se tient ainsi la Commission de la condition de la Femme (CSW), qui dépend du Conseil économique et social des Nations Unies.
L’édition 2015 de cette commission a lieu du 9 au 20 mars, à l’ONU, à New York. D’où la présence de la délégation (et la mienne) dans cet aéroport. La délégation en question est composée de la Secrétaire d’Etat, de ses deux conseillères, Claire Schmitt et Aurore Chardonnet, d’une sénatrice, Michelle Meunier, d’une députée, Catherine Coutelle, et de Danièle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes.
Ces parlementaires ont été choisies par la secrétaire d’État :
« Le nombre de personnes était limité par le budget, sinon j’en aurais bien amené deux ou trois de plus. J’ai amené les personnes les plus importantes, qui correspondaient au moment politique qu’on vit en France et qu’on veut porter au niveau international. C’est important qu’elles puissent, dans le travail qu’elles effectuent, rencontrer d’autres personnes d’autres pays, des associations, des personnes engagées dans les gouvernements sur ces questions. »
« Que des femmes, c’est super ! » (à l’exception de l’officier de sécurité), commente le personnel de l’aéroport. Ou logique. Pour l’instant, la délégation converse de projets de lois, s’intéresse au programme, chargé, des 48 heures à venir, qui seront précédées et suivies d’un long trajet au-dessus de l’Atlantique : « Pas terrible pour le bilan carbone », commente une des participantes, à moitié sérieuse.
Pascale Boistard et certaines des membres de la délégation vont intervenir pendant plusieurs side-events de la Commission sur la condition de la Femme, qui se présentent sous forme de tables rondes/conférences. L’événement est énorme, et les thèmes qui vont être évoqués ont été sélectionnés par la secrétaire d’État et son équipe :
« On a le choix de beaucoup de réunions, et on a fait un choix en lien avec les sujets forts que nous avons en ce moment [en France NDLR] : évidemment, la prostitution, les droits sexuels et reproductifs, l’éducation à la sexualité qui est aussi un champ qu’on veut investir, et tout ce qui est lié à la COP 21 [la conférence des Nations Unies sur le changement climatique, NDLR], parce que c’est la France qui accueille.»
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Il sera aussi question de la place des femmes en politique et dans la lutte contre l’extrémisme. Les parlementaires que Pascale Boistard a choisies pour ce voyage ont toutes un lien avec les sujets abordés, comme elle me l’explique plus tard.
Bienvenue aux Nations Unies !
Ça, c’est le bâtiment de l’ONU.
Quelques heures d’avion plus tard, la délégation complète débarque à New York. Elle est accueillie par des membres de la Mission permanente de la France auprès des Nations Unies.
Comme l’indique son nom, cette mission est basée sur place : les personnes qui la composent sont chargées de suivre les activités de l’ONU pour en rendre compte au gouvernement, mais aussi d’organiser et de coordonner ce genre de manifestations et l’accueil des délégations françaises. Pour préparer les interventions et le programme de la CSW, la conseillère de Pascale Boistard a été en contact permanent avec cette Mission et le ministère des Affaires étrangères en France
Quelques heures (de sommeil) plus tard, la journée commence au siège de Mission permanente française de l’ONU par un petit déjeuner… De travail. Pas une miette de temps ni de croissant à perdre ! Pascale Boistard et la délégation sont installées autour d’une table avec l’ambassadeur et des représentant•e•s des ONG françaises qui se sont déplacées pour assister à la CSW. L’un•e des représentant•e•s m’expliquera plus tard que cette venue à l’ONU se fait à l’initiative des associations. Les femmes de la délégation ont l’habitude de travailler avec elles, et la sénatrice Michèle Meunier constate :
« Il y a des personnes autour de cette table que j’ai auditionnées il y a peu… »
On fait donc un tour de table, pendant lequel chaque ONG explique son action et en profite, parfois, pour interpeller la ministre sur un sujet précis concernant les droits des femmes. Plus ou moins vite, car le temps est compté.
La réunion se termine pendant que je pars pour l’ONU avec les conseillères et la chef de protocole, qui coordonne nos déplacements. Comme nous ne sommes jamais venues à l’ONU, nous devons faire établir un badge personnel pour pouvoir rentrer dans les bâtiments. Photo, signature, et on repart (en courant) pour assister à la conférence d’ouverture de la CSW.
Les droits des femmes, entrée en matière
Elle a lieu dans la salle où se tient l’Assemblée générale annuelle de l’ONU. Ça ressemble à un immense amphithéâtre : une tribune à l’avant surmontée d’écrans géants, des balcons pour les « spectateurs » (badgés) au fond, et des rangées de sièges entre les deux. Chaque pays a ses sièges attribués. La réalité est un peu plus flexible que les étiquettes, et on s’assied aussi là où on trouve de la place.
Sur les côtés, en hauteur, sont installés les médias audiovisuels (la télé), et les interprètes qui vont traduire les discours en simultané. Tu peux écouter les traductions grâce à une petite oreillette branchée à ton siège… sauf si tu fais partie de la rangée des spectateurs, où la présence de cet accessoire est plus aléatoire.
Comme le seront les suivantes, cette conférence, c’est un peu la ruche : on rentre, on s’asseoit, on se relève, on sort, le tout sans faire particulièrement à qui parle ou non. C’est au tour de Pascale Boistard de monter à la tribune. À la base, il avait été envisagé que l’intervention française soit assurée par l’ambassadeur, mais à l’ONU, les ministres parlent avant les ambassadeurs, d’où l’intérêt de ce changement.
L’intégralité de la délégation dégaine iPads, téléphones et autres technologies mobiles susceptibles de prendre des photos.
Début de l’ouverture de la CSW, dans la salle de l’Assemblée (immersion, si si)
La secrétaire d’État expose que cette Commission est l’occasion de faire le bilan de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin, un accord mondial sur l’égalité des genres adopté il y a déjà un bon moment : en 1995, lors de la 4ème conférence mondiale sur les femmes.
Elle rappelle que la plupart des accords de paix mentionnent les femmes, mais que dans les régions de conflits, les femmes ne représentent que 19% des personnes à la tête des opérations de paix, et évoque le problème de Boko Haram.
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Plus tard, Pascale Boitard me fera part de son bon ressenti :
« La France a la présidence du Conseil de sécurité pour le mois de mars à l’ONU, et c’est la première fois qu’une femme, au nom du Conseil de sécurité, s’exprimait. J’ai eu beaucoup de retours sur le fait que c’était bien, pour une fois, que ce soit une femme qui s’exprime sur ces sujets. »
Succès aussi pour un autre pays qui aborde la question des personnes trans et de l’identité sexuelle. À la sortie, Danielle Bousquet explique avec passion à un interlocuteur qu‘elle trouve scandaleux qu’on parle encore de droits de l’homme « avec un petit h » et des droits de la Femme comme d’une sous-partie. « Mais enfin ! ».
Sur l’éducation à la sexualité
Quelques slaloms dans les couloirs plus tard, nous voilà au side-event organisé par le Planning familial français sur l’éducation à la sexualité. Deux panels, c’est-à-dire deux groupes d’interlocuteurs, vont s’exprimer à la suite.
Pascale Boistard fait un état des lieux sur la contraception et l’éducation à la sexualité en France. Elle rappelle que le pays a un programme en faveur de l’abandon des mutilations sexuelles et assure que les autres États peuvent compter sur la France. La secrétaire d’État allemande fait elle aussi un point sur la situation dans son pays.
Kate Gilmore, du Fonds des Nations unies pour la population, fait une intervention très remarquée, qui aborde les conséquences sur la santé sexuelle d’une éducation à la sexualité bancale, et notamment l’infection par le VIH et les grossesses adolescentes :
« Le silence en terme de sexualité tue. La question n’est pas pourquoi les enfants deviennent des adultes tôt, mais pourquoi les adultes mettent autant de temps à leur expliquer. »
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On s’interroge sur qui doit faire cette éducation auprès des enfants, sur les interprétations de la religion qui lui font obstacle, et j’apprends que le Danemark a mis en place une semaine d’éducation à la sexualité.
La discussion se conclut sur deux idées importantes :
- l’objet de l’éducation à la sexualité, ce n’est pas de se conformer à des normes, mais de permettre aux femmes de s’émanciper
- il faut travailler avec les jeunes sur ces questions, car ils ont des choses à apporter.
Kate Gilmore avec Pascale Boistard
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Poignées de main, et c’est reparti. Pause interview dans les couloirs de l’ONU, la caméra a des difficultés, la délégation s’impatiente. Retour au siège de la Mission. Le déjeuner se tient en huis-clos. Décidément, ici, impossible de manger sans rentabiliser le temps de repas.
Le marathon s’accélère d’un coup : Pascale Boistard va finalement prononcer son discours aujourd’hui au débat général de la CSW, car certains ministres seront absents le lendemain. Les conseillères et la première secrétaire du pôle Droits de l’homme de la mission ont multiplié les coups de fils. Le discours est encore plus rapide que le précédent et se fait sans bouger des sièges attribués à la France.
Mais où est donc Pascale Boistard ? (Pas loin, juste au centre)
Alors qu’on sort, le soleil se reflète sur les vitrines des gratte-ciels et les lunettes des membres de la délégation, qui pour certaines, regrettent à voix basse la brièveté de ce voyage new-yorkais. 48 heures dans une ville qu’elles ne connaissent pas, et pas une minute pour visiter. Le boulot, c’est le boulot. Pascale Boistard, qui caracole, me lance : « Vous pourrez témoigner, on ne fait pas de shopping ! ».
La secrétaire d’État est attendue à une concertation de haut niveau organisée par l’Organisation internationale de la Francophonie, qui a lieu dans un grand hôtel, à l’extérieur de l’ONU. Là encore, les participants rentrent et sortent de la salle comme d’un moulin, ainsi que l’aurait dit ma grand-mère.
Cette concertation entre pays francophones est surtout l’occasion pour Pascale Boistard de poursuivre la discussion avec Phumzile Mlambo-Ngcuka. Celle-ci est secrétaire générale adjointe de l’ONU et directrice exécutive d’ONU Femmes, l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, un programme qui dépend de l’Assemblée générale de l’ONU
Aurore Chardonnet me déroule rapidement le CV impressionnant de cette femme politique sud-africaine, plusieurs fois ministre dans son pays, notamment sous le gouvernement de Nelson Mandela.
La journée s’achève sur deux entretiens auxquels Pascale Boistard assiste seule avec ses conseillères.
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