Apprécier un film ne dépend pas que de l’objet cinématographique en lui-même, il faut aussi prendre en compte le moment, le contexte, les conditions dans lesquelles le spectateur le regarde. Les projections cannoises de 8h30 ont — à mes yeux en tout cas — un goût particulier : je me suis couché tard (tôt), j’ai dormi quelques heures, je me lève le plus tard possible, je ne déjeune donc pas et j’ai relativement la tête dans le séant.
En trois Festivals de Cannes, j’ai vu quelques films très chouettes qui m’ont tenu éveillé et alerte et d’autres à mon sens bien bien nuls, qui m’ont tout simplement permis de finir ma nuit dans les fauteuils douillets du Grand Théâtre Lumière — l’un des running-gags de Cannes.
Mais pour Only God Forgives, on atteint une troisième catégorie jamais testée auparavant : le film qui te donne envie de dormir tellement tu le trouves vide de sens mais qui te garde éveillé malgré toi tant la tension et la violence y sont présentes. C’est d’ailleurs d’après moi la seule qualité du film de Nicolas Winding Refn, si on y ajoute l’aspect esthétique incroyable. Mais à la limite, c’est un acquis chez le réalisateur danois.
Je vais même aller plus loin : dans ces conditions, j’ai vécu physiquement un mal-être difficilement supportable. Mon corps a trèèèès mal réagi à ce mélange de lenteur plaaaaaanante* et de violence assourdissante. J’avais trop froid à cause de la putain de clim dans cette salle, puis je mettais mon pull et j’avais trop chaud et par exemple, mon coeur s’est emballé sévèèèère à un moment de violence extrême. Pour résumer : j’étais physiologiquement pas bien devant ce film pas bien.
La vacuité du scénario
Pour commencer, je voudrais envoyer un message aux gens qui ont aimé Drive mais qui l’ont trouvé un peu chiant : dans Drive, y a tout de même un bout d’histoire, un peu d’enjeu, on peut même éventuellement s’attacher aux personnages et y a quelques scènes de poursuite et de BAGARRE qui t’en donnent un peu pour ton argent. Autant d’éléments que j’ai cherchés looooongtemps dans Only God Forgives (on a le temps, en plus) sans jamais les trouver.
L’histoire est simple : Billy et Julian sont deux frères, vivant en Thaïlande. Ils utilisent un club de boxe thaï pour camoufler leurs activités de dealers de drogues. Billy, l’aîné, a l’air un peu abîmé dans sa tête. Pour illustrer ça, Winding-Refn l’emmène d’abord dans un bordel péter la gueule à une prostituée, au hasard, parce qu’il veut « baiser une pute de 14 ans
», et qu’il n’y a pas de jeunette disponible. Il se rabat donc sur une jeune fille de 16 ans, un peu plus loin dans la rue, dont il éclate visiblement la tête avec violence, au vu corps ensanglanté qui gît dans son sang, par terre, à côté de lui. Billy, lui, une fois son méfait accompli, reste assis tranquillement à côté.
Chang, lui, est un flic. Le genre de super-flic un peu zélé et qui découpe des mains à l’aide de son sabre si tu as le malheur de déconner. Si vraiment tu as chié dans la colle, Chang te découpe en deux. Ça t’apprendra à vouloir lui tirer dessus.
Forcément, Billy y passe. Le talion, tout ça.
Débarque alors un troisième larron, la maman des deux fistons, qui veut venger la mort de son fils aîné. Kristin Scott-Thomas en MILF dégueulasse, endeuillé de son fils qu’elle adore sans doute trop (très mal en tout cas), qui a une relation débectante avec ses garçons, la possessivité et la perversion narcissique.
La maman exige donc de son cadet, Julian – ce couillon de Ryan Gosling – la tête du coupable. Julian, lui, n’a pas trop envie, parce qu’après tout, son psychopathe de frère l’a peut-être mérité. Mais comme maman est exigeante et que Ryan est un garçon obéissant, il va y aller, tout guilleret.
Allo Maman Bobo (pour Ryan)
J’ai eu mal pour Ryan Gosling en voyant ce film. Parce qu’il a pris cher depuis Drive avec sa voix monocorde et son regard de bovin. Mais Winding-Refn remet le couvert, en pire. Il y a des DIZAINES d’images parfaites pour « Ryan Gosling refuse de manger ses céréales ». Mais c’est bien, le film te laisse le temps de penser à ça, puisqu’une fois que tu as admiré la beauté de l’image, du cadre, de la lumière, ton cerveau peut se mettre en mode veille durant les 30 secondes suivantes de ce plan où il ne se passe rien.
Donc non.
Sur Senscritique, ça se touche sévère sur Only God Forgives. Les fans de Winding-Refn n’en peuvent plus. Ça décrypte les intentions, les non-dits scénaristiques (qui sont pour moi des ÉNORMES ficelles aussi évidentes qu’une poutre dans mon oeil), et à écouter Winding-Refn hier en conf de presse dire « chaque jour, c’était un défi pour savoir comment on ferait pour aller plus loin dans la violence », j’me dis qu’il a réussi son coup : y a des tournages de films sur lesquels tu cherches à approfondir le scénar, lui il cherchait à approfondir la violence. WIN.
Nicolas, le scénario, il s’en tape, il cherche juste à faire des clips d’1h30. Tant qu’il trouvera des prods (et des spectateurs) pour aimer ça… personnellement, j’ai plutôt aimé ses autres films, mais – est-ce les conditions dans lesquels j’ai regardé celui-ci ? – je n’ai pas pu empêcher de me marrer nerveusement à plusieurs moments censés être dramatiques (cf la mort de Marion Cotillard). Et pour moi, ça fait de ce film un gros flop.
* @mort_aux_cons me disait fort justement que si les plans de 45 secondes en slow-motion passaient à vitesse normale, le film ne durerait que 45 minutes.
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Les Commentaires
Au final, on a : des images ultra léchées (belles en soi mais mises bout à bout, elles en deviennent ridicules de maniérisme -cf les silhouettes totalement statiques et imperturbables). Ryan Gosling et Vithaya monoexpressifs.
Trop c'est trop.
La seule chose qui a retenu mon attention était Kristin Scott Thomas, comme toujours superbe et méconnaissable.
Non, vraiment, j'ai souffert pendant la projo...