C’est la première fois qu’elles peuvent le consulter en mains propres. Lisa, étudiante, et Rachel-Flore Pardo, avocate au barreau de Paris, toutes deux cofondatrices du collectif devenu association StopFisha, feuillettent leur ouvrage collectif. Intitulé Combattre le cybersexisme et publié aux éditions Leduc, ce livre de 200 pages rassemble un an et demi de lutte sur le papier.
« Cela faisait déjà 9 mois qu’on était actives, et je pense qu’il était temps d’établir concrètement les choses, d’établir quelque chose qui soit plus ancré. »
Lisa, cofondatrice de StopFisha
Durant le confinement de mars 2020, la militante Shanley McLaren constate l’augmentation des cyberviolences et des comptes « Fisha », notamment sur Snapchat — ces comptes diffusent de manière non-consentie (ce qu’on appelle parfois le revenge porn) les photos dénudées de jeunes femmes, parfois mineures. Elle lance un hashtag sur Twitter et commence à s’entourer de plus en plus de militantes, aux quatre coins de la France.
Depuis, StopFisha se centre sur l’accompagnement moral et juridique des victimes, le signalement de ces comptes et la sensibilisation.
« Et quel meilleur moyen pour sensibiliser que de sortir un livre où on prend le temps d’expliquer, où on écrit tout ce qu’on a compris sur le sujet depuis qu’on travaille dessus ? »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
Les militantes posent d’entrée le terme de cybersexisme, qui est encore peu utilisé, pour parler de « Toutes les violences de genre, les inégalités, les discriminations en ligne », résume Lisa. Sous forme d’abécédaire, les différentes formes de cyberviolences sont listées, expliquées, et accompagnées d’un rappel à la loi.
« Beaucoup de victimes n’ont pas conscience de l’être, et beaucoup d’auteurs n’ont pas conscience d’avoir commis des infractions. Expliquer tout ce qui est sanctionné par le Code pénal, c’est déjà le début de la prévention. »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
« Internet, c’est la vraie vie »
D’autant que ce qui se passe sur Internet n’est pas isolé de la vie physique : comme le rappelle Lisa, « Internet, c’est la vraie vie ». Les cyberviolences sont un prolongement des violences hors-ligne, mais avec des caractéristiques spatio-temporelles spécifiques.
« Souvent, les violences physiques et numériques sont interdépendantes et se prolongent. Quand on est victime, on peut l’être tout au long de sa vie, puisque ces violences peuvent revenir continuellement : ça se prolonge via notre portable, on n’est jamais coupés de ces violences. »
Lisa, cofondatrice de StopFisha
En effet, même quand certains comptes sautent, certains éléments comme les photos ont pu être récupérées par d’autres personnes et être rediffusées encore et encore.
« Les nouvelles technologies ouvrent une possibilité un peu infinie de violences : les menaces peuvent ne jamais cesser, c’est une arme de plus pour les agresseurs », résume l’avocate Rachel-Flore Pardo.
Parmi les plus grandes victimes des cyberviolences, on retrouve les femmes, les personnes non-binaires et celles perçues comme femmes.
« Les hommes vont considérer qu’ils ont une domination sur ces personnes, et donc dans les rapports de genre, même en ligne, il y a une continuité du patriarcat. »
Lisa, cofondatrice de StopFisha
À cette explication s’ajoute la grande part d’utilisation « visuelle » des réseaux sociaux par les femmes : ce sont également elles qui sont le plus visées par les cyberviolences par l’image (comme la pornodivulgation, ou le chantage à la diffusion de photos intimes).
« Tout notre usage des réseaux sociaux incite les femmes à montrer des photos d’elles valorisantes, ce qui fait vivre le business des plateformes. »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
Enfin, les mineurs et mineures sont particulièrement au centre de ces cyberviolences.
« Les personnes qui vont être spectatrices de ces violences vont être des jeunes voire très jeunes, et elles vont se construire sur ces biais de violences qui ne vont pas être remis en question, parce qu’on n’a pas d’éducation au numérique. »
Lisa, cofondatrice de StopFisha
D’autant que les cyberviolences ont des conséquences réelles et parfois désastreuses pour les victimes : anxiété, dépression, mauvaise estime de soi, difficultés relationnelles et affectives… Qui peuvent aller jusqu’à l’automutilation ou le suicide.
« Souvent, la victime va se retrancher sur elle-même, et ne va pas oser en parler », regrette Lisa. Particulièrement dans les cas de divulgations d’images, la culpabilisation des victimes est grande.
Lutter contre le cybersexisme, un signalement à la fois
C’est donc à eux et elles que ce livre s’adresse : aux personnes touchées par ces violences, aux jeunes, mais aussi aux parents, aux professeurs, aux pouvoirs publics, aux forces de l’ordre… « Il s’adresse à tout le monde, parce que tout le monde a besoin d’une éducation au numérique, tout le monde a besoin de connaître ces termes pour mieux les combattre » insiste Lisa.
Un ouvrage pédagogique qui s’accompagne d’illustrations d’Aboutevie, et qui donne de nombreuses ressources.
« Par ce livre, on veut redire aux victimes : la loi est de votre côté, agissez si vous le voulez. »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
Le livre de StopFisha est aussi l’occasion de pointer la responsabilité des grands acteurs du Web dans la propagation des contenus sexistes ou dans le manque de modération.
« Pour l’instant, le législatif va dans le bon sens. Maintenant, il y a des choses à faire : par exemple, d’une plateforme à l’autre, on n’a pas le même système de signalement, qui ne correspond pas à une infraction précise. »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
L’association appelle à systématiser le suivi des signalements, mais également à rendre public les algorithmes des grandes plateformes.
En attendant que des mesures soient prises, StopFisha distille de nombreuses ressources à destination des victimes.
« Si vous le pouvez, prenez des captures d’écran, qui serviront de preuve. Ensuite, signalez sur les plateformes, à Pharos [plateforme du gouvernement pour signaler les contenus illicites, ndlr] ou directement en portant plainte. Et ensuite, protégez vous numériquement : effacez votre liste d’amis, passez en privé… Préservez vous et entourez vous de proches et d’associations. »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
Et Lisa ajoute : « Il est important d’en parler, pour ne pas être seule ».
StopFisha peut également accompagner des victimes à travers des conseils juridiques et un soutien sans faille. « Internet est aussi un formidable espace pour trouver des ressources, de la solidarité, pour créer des actions militantes… c’est le cas de StopFisha ! » s’exclament les militantes. Une mobilisation qu’elles espèrent autant en ligne que dans la vie physique.
« Ce qu’on veut par ce livre, c’est inviter à prendre conscience de ce terme de cybersexisme, aider les victimes, et on espère que cela se suivra d’actions de la part des pouvoirs publics et des plateformes. »
Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de StopFisha
Combattre le cybersexisme, association StopFisha, sortie le 26 octobre 2021
- Pharos, pour signaler tout propos ou contenu illicite
- E-Enfance, pour les mineurs et mineures : https://www.e-enfance.org/ ou 3018
- 3919 Violence Femmes Info, pour les femmes victimes de violences
- Le tchat d’En Avant Toutes, pour les (cyber)violences chez les moins de 25 ans
Crédit image de Une : @stopfisha
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