Si vous étiez ado ou jeune adulte entre 2007 et 2012, alors vous vous souvenez de Gossip Girl : les débriefs sur Facebook (on a dit 2007…) après chaque épisode, les serre-têtes façon Blair Waldor qui nous cisaillaient les tempes, les guests improbables (de Sonic Youth à Lady Gaga) que l’on guettait chaque semaine, les heures passées à H&M à essayer de refaire les looks preppy de la série pour moins de 50€…
À l’heure où le reboot arrive sur nos écrans, revenons sur cette série plus que culte et ses erreurs que la nouvelle version devra corriger.
« “Gossip Girl” est pensée comme un produit industriel dès le début »
Gossip Girl
est lancée sur la toute nouvelle chaîne The CW, fusion de CBS et Warner, en 2007. Son objectif ? Toucher un public féminin et faire de The CW la chaîne qui s’adresse aux jeunes femmes. Dans son livre Speak Up ! Des coulisses à l’écran, voix de femmes et séries américaines à l’orée du XXIe siècle, Anaïs Le Fèvre-Berthelot explique que depuis les années 1990 « les transformations de l’industrie télévisuelle états-unienne ont encouragé la production de nouveaux formats et de nouveaux contenus souvent adressés à un public féminin ». Elle explique à Madmoizelle :
« “Gossip Girl” est pensée comme un produit industriel dès le début. Elle est adaptée d’une série de livres qui, même s’ils sont signés par une autrice (Cecily von Ziegesar), sont créés par une agence de contenu qui s’occupe ensuite d’exploiter le filon en créant un univers narratif mais aussi marchand. »
Dès les premiers épisodes, la production encourage la création de blogs de fans qui recensent les tenues des personnages et cherchent à en trouver des équivalents low cost, tout comme l’alimentation de débats sur Facebook — qui commence à prendre de l’importance à l’échelle mondiale.
Les héroïnes postféministes de Gossip Girl… et la culture du viol
Car le consumérisme et l’individualisme sont au cœur de l’expérience Gossip Girl. Les aventures de Blair et Serena viennent s’inscrire dans une époque où le petit écran est squatté par les « héroïnes postféministes », théorisées par la chercheuse américaine Amanda D. Lotz (qui les appelle les « “nouvelles” nouvelles femmes ») ou par Céline Morin. Dans son livre Les Héroïnes de séries américaines, cette dernière explique que :
« Les représentations [des héroïnes postféministes] semblent dire que les femmes réussissent non pas grâce aux avancées féministes de la deuxième vague, mais grâce aux vertus de l’individualisme auquel elles ont enfin accès ».
Lorsque les héroïnes de Gossip Girl ont des problèmes, elles font du shopping, et si elles s’intéressent à leur réussite universitaire et professionnelle (dans le cadre de Blair, qui refuse d’être « madame Chuck Bass »), leurs préoccupations sont majoritairement personnelles et rarement collectives. L’amitié entre Blair et Serena est faite de trahison et de disputes autour des hommes, de l’argent, de la mode et des admissions dans les Ivy League. Sans compter que pour arriver à ses fins, Blair n’hésite pas à écraser toutes les femmes qui se trouvent sur son passage…
L’absence de sororité se mêle aussi à une culture du viol qui infuse toute la série et qui passait, à l’époque, plutôt inaperçue. Comme nous le souligne Anaïs Le Fèvre-Berthelot, ce n’est pas une femme mais deux que Chuck Bass agresse sexuellement dans le pilote (il sera par la suite violent et manipulateur tout au long de la série), ce qui ne l’empêchera pas de devenir l’un des personnages préférés des spectateurs et spectatrices !
« Les thématiques féministes restent très secondaires dans “Gossip Girl” », nous rappelle Anaïs Le Fèvre Berthelot. La boulimie de Blair, abordée dans quelques épisodes et souvent citée pour mettre en avant le féminisme de la série, est « très rapidement oubliée ; sur toutes ces questions de santé mentale et de rapport au corps des jeunes femmes, la série était globalement assez catastrophique ». Dans Speak up !, l’autrice écrit ainsi que « l’enjeu pour les personnages est moins de protéger leur intégrité physique, psychologique ou morale que d’assurer le contrôle de leur réputation ».
« Les séries de Stephanie Savage et Josh Schwartz (“The OC”), qui viennent de la culture du soap opera, sont assez conservatrices », analyse Anaïs Le Fèvre-Berthelot, qui précise :
« Elles se construisent sur un modèle classique de romance, de conte de fées. Il n’y a pas de sérieuse remise en cause des rapports de genre ou de classe. »
Ainsi, tous les couples s’unissent pour la vie, rentrent dans le rang et l’ordre hétéronormatif est maintenu. La série ne comptera qu’un personnage gay, Eric, le frère de Serena.
XOXO, Gossip Girl
Ce qui reste pourtant subversif, et qui nous plaisait tant, dans Gossip Girl, c’est sa voix off jouée par Kristen Bell qui, avec son ironie et son mordant, apporte une distance et crée une connivence avec les spectateurs et spectatrices. « “Gossip Girl” utilise un savoir communautaire traditionnellement féminin pour que des ados prennent le pouvoir sur des adultes », souligne Anaïs Le Fèvre-Berthelot. La série annonçait déjà l’avènement des réseaux sociaux et l’importance que ces derniers auraient dans nos vies comme pour nos réputations !
L’un des enjeux du reboot sera d’intégrer cette voix off dans le cadre d’un compte Instagram, qui remplacera les notifications reçues par les personnages sur leur Blackberry. Il y aura aussi beaucoup de clichés et de tropes à déconstruire, notamment le fait que les seuls personnages racisés dans la série étaient pétris de clichés… Celui de Vanessa, la meilleure amie noire de Dan, devenait ainsi au fil des saisons de plus en plus méchante.
Dans un article pour Flipscreened, Nia Lee considère que « montrer le seul personnage noir comme antipathique dans une série comptant une majorité de personnages blancs, c’est un choix politique, même si ce n’était pas l’intention des showrunners. » Cette dernière suggère au reboot de s’inspirer de l’un des succès critiques de HBO, Succession, qui a su faire la critique d’une famille blanche et riche en analysant ses privilèges.
Sur les questions de consentement, de sexualité, de féminisme, la nouvelle Gossip Girl aura beaucoup à faire : « On ne peut plus faire une série pour ado comme on la faisait à l’époque » conclut Anaïs Le Fèvre-Berthelot.
Quoi qu’il en soit, rendez-vous est pris le 8 juillet. Sans serre-tête et sans Lady Gaga, mais avec cette même envie de débriefer. XOXO…
Gossip Girl, le reboot, sera diffusé en France sur Warner TV.
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