La durée moyenne de séjour des personnes hébergées y est de deux ans et demi. En 2020, 32% des résidents étaient des familles monoparentales — des femmes seules avec enfant(s) en majorité.
Le manque de places en hôtel comparé à la demande conduit à la saturation du dispositif, particulièrement dans la région Île-de-France. Depuis 2014, le Samusocial de Paris travaille à améliorer les conditions de vie des familles à travers le programme « mieux vivre à l’hôtel ».
Le 13 juillet 2016, Sarah* pose ses valises dans un hôtel du XXe arrondissement de Paris. Elle a alors 24 ans et Danielle*, sa fille, en a 5. Le Samusocial de Paris les avait hébergées quelques nuitées au début du mois, dans quatre hôtels différents situés en Île de France. Cette fois-ci c’est pour un long séjour.
Toutes deux sont arrivées en France en 2014. D’Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire, direction Paris.
Au moment du départ, Sarah ne sait pas ce qui l’attend. Elle saisit simplement l’opportunité d’une nouvelle vie. Elle est alors employée comme femme de ménage. Sa patronne, qui voyage régulièrement entre les deux pays, lui propose de l’aider à quitter le continent africain. Les deux premières années, elle loge chez elle.
Le temps passe. Le jeune femme décide de partir, pour « faire quelque chose de sa vie » et compose alors le numéro vert du Samusocial : le 115, pour un hébergement d’urgence.
« C’est vrai, on ne dort pas à la rue, mais ici rien n’est facile »
Depuis l’été 2016, quatre années se sont écoulées. La chambre d’hôtel d’une douzaine de mètres carrés s’est transformée en studette.
Sarah nous fait la visite. Tout de suite à droite après la porte, un lit deux places longe le mur, avec à ses pieds, un frigo surmonté d’un micro-ondes. Sur la gauche, une armoire et un évier, tout près de la fenêtre. Sarah a acheté tout le mobilier, sauf le lit qui était déjà là.
« J’ai été obligée de faire palabre pour avoir un verrou. »
Au début, Sarah avait entrepris de marquer d’un trait chaque coupure d’électricité. La feuille est d’ailleurs restée accrochée à la porte de la penderie, mais elle a rapidement laissé tomber. Trop nombreuses.
Il n’est pas autorisé de brancher de quoi cuisiner dans les chambres, pour justement éviter une surconsommation électrique, mais aucun des résidents ne respecte véritablement cette règle. Non pas par insubordination mais parce que la cuisine collective, située au rez-de-chaussée est insuffisamment équipée pour l’ensemble des bénéficiaires. La viande déborde du congélateur ; quant aux plaques de cuisson, il n’est pas rare que le gaz vienne à manquer.
« C’est vrai, on ne dort pas dans la rue, mais ici rien n’est facile. Pour eux, tu es à l’hôtel et c’est bon. Ils ne s’occupent plus de toi après. »
Danielle est atteinte de surdité et bénéficie de soins en France. À son arrivée dans l’Hexagone en 2014, sa mère obtient pour cette raison un titre de séjour qui lui permet de rester sur le territoire. Elle exerce le métier de femme de chambre et finit même par trouver un CDI dans une société de nettoyage, fin 2019.
Mais en février de cette même année, elle reçoit une OQTF (obligation de quitter le territoire français) de la préfecture. Les soins de « la petite » sont terminés, lui explique-t-on.
Sans papiers, impossible de continuer à travailler. N’avoir aucune activité professionnelle est ce qui éprouve le plus Sarah.
L’attente quotidienne sans connaître la date du grand départ
Sarah sort rarement de l’immeuble, à part pour accompagner sa fille à l’école. En Côte d’Ivoire, elle avait aussi l’habitude de rester à la maison. Ici, la vie à l’hôtel, l’attente quotidienne couplée à l’incertitude du lendemain ne l’encouragent pas à aller à l’extérieur.
Aller boire un café ou se balader toute seule, ça ne lui dit rien. Et puis avec 200€ d’aides sociales mensuelles pour seules ressources, les dépenses sont comptées.
La journée défile entre les quatre murs. Des fois, elle regarde des films sur son téléphone ou prépare un gâteau.
« On est fatigués. On se lève, on dort, on se lève, on dort. J’ai mal partout. »
Mais même si elle préfère rester à l’intérieur, la liberté d’aller et venir lui fait dire que son hôtel, « c’est le meilleur ».
Le propriétaire est toujours absent. Au moment de notre rencontre, Sarah ne l’avait pas vu depuis plusieurs mois. Les deux gardiens à l’accueil sont les interlocuteurs principaux des familles. Ils ne répondent pas à leurs plaintes mais n’entravent pas non plus leur liberté : interdites en principe, les visites sont tolérées ; Sarah s’est déjà absentée quelques jours pour voyager et a pu conserver sa chambre.
Elle sait que ce n’est pas le cas dans tous les hôtels où les déplacements des résidents peuvent être davantage contraints.
« C’est nous-mêmes qui nous gardons. On veut qu’on nous laisse notre liberté. Au début, ils [les gardiens, ndlr] se plaignaient quand nos enfants criaient, maintenant nous sommes devenus amis. »
Foi en l’avenir
Le temps semble être suspendu, sans que l’alternance des saisons ne change grand-chose en ce lieu. Quel passant soupçonnerait, derrière ces quatre étages et l’enseigne « Hôtel », l’existence de cette immense salle d’attente ?
À la fenêtre, sur la barre d’appui, une voisine à l’air las repose sa tête contre ses bras. Les occupants sont en majorité des femmes seules avec enfants. L’entraide et la solidarité entre les voisines apportent un peu de baume au cœur.
« Tout le monde s’entend. C’est ça qui est bien ici, souvent on s’encourage, si tu n’as pas de riz, on partage. Si tu as besoin de 20€, tu vas emprunter chez la voisine ».
Sarah est très croyante, la prière rythme ses journées. WhatsApp lui permet de pratiquer sa religion avec d’autres membres de la communauté chrétienne, comme suivre des offices, et participer chaque soir à une séance de prière collective, via la messagerie instantanée WhatsApp, au côté d’autres fidèles du monde entier.
Sa foi lui donne de l’espoir et de l’énergie. Elle en est convaincue : si Dieu l’a fait venir ici, il trouvera une solution.
« Dans ce pays, il y a beaucoup de lois, mais personne n’est au-dessus de Dieu. Il a fait en sorte que je sois en France, ça va aller je suis sûre, il faut être patient. »
Depuis notre dernière rencontre, à l’automne 2020, Sarah a inscrit sa fille en classe de 6e pour la rentrée scolaire 2021. Quant à elle, elle a obtenu un rendez-vous à la préfecture pour régulariser sa situation et attend patiemment que sa demande soit traitée.
*Les prénoms ont été modifiés.
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Crédit photo : Devon Owens / Unsplash
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