J’ai été contaminée en 1984, alors que j’avais 23 ans, par mon petit copain de l’époque, qui ne savait pas qu’il était séropositif. Je ne l’ai découvert que dix ans plus tard. J’ai vécu sans le savoir toutes ces années avec le virus en moi. En 1994, je suis tombée malade, une petite bronchite. Mais comme le virus avait détruit mes défenses immunitaires, les antibiotiques ne fonctionnaient pas, j’étais de plus en plus mal. En voyant que je ne guérissais pas, mon médecin m’a proposé de faire un test de dépistage. C’est là que j’ai appris que j’étais séropositive.
Ça a été une déflagration. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque : en 1984, on mourait encore du sida. Le médecin qui m’a appris que j’étais séropositive m’a annoncé que je n’avais que deux ans à vivre. Ça a été très brutal. J’ai immédiatement pensé à ma fille, qui avait alors 6 ans. Ma première pensée a été qu’elle allait devoir grandir sans moi à ses côtés. Je me suis aussi tout de suite demandé si elle pouvait être contaminée. Le médecin m’a demandé si elle était en bonne santé. Elle l’était, alors il m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’elle serait déjà décédée, ou bien très malade si elle était porteuse du virus.
Mais mon médecin a préféré lui faire faire un test par prise de sang. Le résultat est revenu positif et le médecin m’a dit, avec beaucoup de tact, qu’elle n’arriverait pas à l’adolescence. Ça a été d’une extrême violence, je ne m’en suis jamais remise. Ça m’a complètement traumatisée. C’est comme si on avait signé notre arrêt de mort à toutes les deux.
« Maman, on va mourir »
À partir de là, nous avons toutes les deux eu un suivi très lourd. Je me suis immédiatement demandé comment j’allais pouvoir en parler à ma fille. Mais elle n’avait à l’époque que six ans et demi. Le médecin m’a conseillé d’attendre avant de lui annoncer, que de toute façon, elle me poserait des questions.
J’ai donc attendu. Il lui a fallu dix ans pour poser des questions, alors qu’elle était au lycée. Un jour, son établissement m’appelle pour m’informer qu’elle est en pleurs, qu’ils ne savent pas ce qu’elle a, qu’il faut que je vienne la chercher en urgence. C’est là que j’ai compris. Pendant toutes ces années, elle devait savoir que l’on avait toutes les deux quelque chose de grave, mais elle n’arrivait pas à mettre le mot exact dessus. Elle ne m’a jamais posé de questions, sans doute pour ne pas me faire peur.
C’est là, après être allée la chercher au lycée, que j’ai annoncé à ma fille qu’elle était, tout comme moi, séropositive. Ça a été terrible. Elle s’est mise à pleurer, m’a dit : « Maman, on va mourir. » Elle a ensuite fait une grosse dépression, a arrêté sa scolarité pendant un an. Elle a bénéficié d’un suivi psychologique et s’en est remise peu à peu. Elle a repris sa scolarité, a passé son Bac… Mais ça a été très compliqué.
Moi, pendant toutes ces années, j’attendais qu’elle me pose des questions. J’ai aussi vécu cette attente avec l’angoisse de lui annoncer, de me demander quelle serait sa réaction. Quelque part, ça a aussi été un soulagement pour moi, d’enfin pouvoir lui dire la vérité. Il fallait que ça sorte.
En 2023, c’est encore très difficile d’annoncer sa maladie
Avec ma fille, nous avons toujours été très fusionnelles, et cette épreuve a encore fortifié notre relation. Les allers-retours à l’hôpital, les traitements nous ont beaucoup rapprochées… Mais aussi le secret qui entourait notre maladie. Il ne fallait en parler à personne – hormis à nos proches -, encore moins au travail et à l’école. Dans les années 90, il y avait encore un sentiment de rejet très fort vis-à-vis des personnes séropositives. Les gens se demandaient comment on avait été contaminés. Est-ce que nous nous étions drogués ? Prostitués ? Heureusement, mon entourage a été super à l’annonce de notre maladie, et nous a beaucoup soutenues. Je sais, hélas, que ce n’est pas le cas pour toutes les personnes séropositives.
Nous sommes aujourd’hui en 2023 et c’est encore très difficile d’annoncer sa maladie, on risque de subir du rejet, des discriminations. Cette stigmatisation force de nombreuses personnes à vivre leur condition dans le silence, ce qui est très douloureux.
« Je devais vivre avec la culpabilité de lui avoir refilé ce virus »
Vivre avec le VIH, c’est aussi composer avec des traitements très lourds. Lorsque j’ai appris que nous avions été contaminées, ma fille et moi, il n’existait encore que l’AZT, à prendre toutes les 4 heures. Il a fallu imaginer un moyen pour que la maîtresse donne à ma fille son traitement sans jamais éveiller les soupçons de qui que ce soit. J’ai donc transféré les pilules dans un vieux flacon et prétexté un problème d’allergie pour justifier qu’elle prenne son médicament toutes les 4 heures. Je crois qu’aujourd’hui, ce subterfuge ne serait plus possible.
Puis, en 1996, sont arrivées les trithérapies. On avait alors 25 médicaments par jour à avaler. En plus de la trithérapie, nous devions suivre un traitement antibiotique parce qu’on avait de très gros risques de tuberculose. Pour lui faire avaler tout cela, je faisais le petit train : les médicaments les uns derrière les autres, comme des petits wagons. J’ai eu de la chance qu’elle accepte ça sans aucun problème.
On allait très souvent à l’hôpital, c’était un peu comme notre deuxième maison. Ma fille connaissait toutes les infirmières en pédiatrie, elle rangeait la salle de jeux… Pour elle, ça n’a pas été du tout traumatisant. Le personnel soignant a aussi été très bienveillant, il a tout fait pour que ça se passe pour le mieux pour elle, malgré les effets secondaires très lourds des médicaments. Même en étant très souvent hospitalisée, ma fille a gardé le sourire. Elle a été incroyablement forte.
Pour moi, ça a été plus compliqué. Je devais vivre avec la culpabilité de lui avoir refilé ce virus, tout en ayant toujours en tête que l’on m’avait dit qu’elle n’arrivait pas à l’adolescence. Chaque fois qu’elle attrapait un petit rhume, j’avais peur qu’elle tombe gravement malade et risque de mourir. Toutes ces années, j’ai vécu avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
« J’avais fait une croix sur le fait de devenir un jour grand-mère »
L’autre problématique à laquelle il faut penser quand on est séropositive, c’est qu’elle bouleverse la vie intime. Personnellement, j’ai pris la décision de l’annoncer d’emblée à mes partenaires. Je me disais que ça passait ou ça cassait. Je n’ai, heureusement, jamais eu de réaction négative de ce côté-là. Après, il faut évidemment se protéger. Nous avons la chance, depuis 2008, d’avoir une charge virale indétectable et de ne plus transmettre le virus dès lors que nous prenons correctement notre traitement et que nous avons une bonne observance. C’est très important pour nous, cela veut dire que nous ne sommes plus des « bombes à retardement ». Car la crainte de contaminer son ou sa partenaire était toujours présente jusque-là.
Mais ça ne m’a pas empêchée d’être très inquiète pour ma fille. Je me demandais si elle pourrait avoir une vie amoureuse et sexuelle normale. Lorsqu’elle est devenue adolescente, elle a eu ses premiers petits copains, à qui elle a parlé de sa séropositivité. Et puis finalement, elle a trouvé son chéri, qui l’a rassurée en lui disant qu’il n’avait pas peur. Ils sont toujours ensemble et ont eu un petit garçon il y a sept ans.
Cette grossesse a été un miracle et mon bonheur. J’avais fait une croix sur le fait de devenir un jour grand-mère. Mon petit-fils est la preuve qu’une maman séropositive peut avoir un enfant séronégatif, en bonne santé, à partir du moment où elle prend son traitement et que le virus est indétectable dans son organisme. À sa naissance, il a dû prendre un petit traitement antirétroviral pendant quelques semaines, puis être suivi pendant deux ans. Ma fille n’a simplement pas pu l’allaiter, par précaution – même si aujourd’hui le discours tend à changer à ce sujet. Il est aujourd’hui en parfaite santé, tout comme ses parents.
« Chaque année de plus qui passe est comme un cadeau que l’on me fait »
Aujourd’hui, je suis la plus comblée des mères, des grands-mères. Nous avons la chance de vivre à quelques minutes les uns des autres, nous partons la semaine prochaine faire un grand voyage en Égypte tous ensemble… Mon petit-fils est celui qui me fait avancer. Quand je ne suis pas bien, je pense à lui et je m’accroche. Je veux le voir grandir, l’accompagner dans toutes les étapes de sa vie.
Je viens d’avoir 62 ans et je suis la plus heureuse des femmes à la perspective de vieillir ! Chaque année de plus qui passe est comme un cadeau que l’on me fait, à moi à qui on avait dit qu’il ne me restait que deux ans à vivre.
Je reste cependant vigilante quant à ma santé. Je suis quand même restée dix ans sans savoir que j’étais porteuse du VIH, et donc sans traitement. Pendant ce temps, mon système immunitaire s’est beaucoup dégradé et ne s’est jamais complètement restauré, malgré les traitements que je prends encore aujourd’hui. C’est ma grande préoccupation. Chaque fois que je vais à l’hôpital pour mon suivi, je suis inquiète pour mes taux de lymphocytes T4 (qui permettent d’éliminer les agents pathogènes, ndlr). Heureusement, je suis aujourd’hui en bonne santé. J’ai passé l’hiver tranquillement, je n’ai pas attrapé la grippe.
Il faut aussi rappeler que même si nous vivons aujourd’hui bien mieux avec le VIH que dans les années 90, le virus est toujours dans ma vie, je ne peux pas l’oublier. Alors, même si je suis beaucoup plus sereine, il reste toujours cette petite crainte tapie en moi. Et puis je m’inquiète pour ma fille – je suis une maman, c’est normal. Même si je vois qu’elle va bien, elle est quand même très fatiguée, la maladie a aussi un impact sur sa vie.
« Je veux dire aux jeunes femmes séropositives qu’elles vont vivre longtemps »
Aux femmes et aux jeunes femmes qui, comme moi, il y a 30 ans, découvriront aujourd’hui leur séropositivité, je voudrais déjà les rassurer. Leur dire qu’elles vont vivre longtemps, qu’elles n’auront qu’un seul médicament à prendre par jour, avec des effets indésirables minimes. Qu’elles seront très bien suivies, qu’il ne faut pas qu’elles aient peur. Par ailleurs, en prenant correctement leur traitement, elles ne pourront pas transmettre le virus, ce qui leur permettra d’avoir une sexualité tout à fait normale, sans utiliser de préservatif, et qu’elles pourront avoir des enfants si elles le souhaitent. Je veux vraiment les rassurer.
Mais avant de se retrouver séropositive, il faut aussi dire aux jeunes filles et aux jeunes femmes de se protéger ! Même un premier rapport sexuel peut être à risque, le préservatif est vraiment indispensable, en toute circonstance.
Il faut aussi ne pas avoir peur de se faire dépister régulièrement, pour soi et ses partenaires. C’est gratuit et anonyme. Plus vite on est dépisté, plus vite on est diagnostiqué, et plus vite on a accès aux traitements qui permettent de vivre longtemps. Il ne faut pas faire l’autruche.
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