Le 14 mai 2021
Depuis avril 2020, une jeune femme inuite revendique fièrement son héritage culturel sur TikTok à coups de vidéos courtes informatives et inattendues.
Tout juste diplômée en commerce à 22 ans, Shina Novalinga (@shinanova) partage de nombreuses vidéos en compagnie de sa mère :
« Elle m’a élevée seule. Nous avons toujours eu un lien particulier, c’est elle qui m’a tout appris et qui m’a transmis sa culture. Ensemble, nous pratiquons le chant de gorge : nous imitons le bruit du vent, des animaux ou nous inventons nos propres sons. »
Le chant de gorge est une pratique inuite ancestrale, presque exclusivement féminine. Elle implique deux femmes face à face, qui se tiennent les bras et forment des sons profonds avec leur gorge. Le chant prend généralement fin dans un éclat de rire. Shina Novalinga explique :
« C’est une pratique très informelle : même si l’on dit parfois que c’est une compétition, on ne le prend pas trop au sérieux. C’est un passe-temps qui nous reconnecte avec nous-même, avec l’autre et avec la nature. »
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Le chant de gorge fut pourtant menacé de disparition à l’arrivée des colons britanniques au XVIe siècle. Considérée démoniaque, la pratique fut même interdite par les missionnaires chrétiens au début du XXe siècle. La jeune femme explique, la voix serrée :
« Nous avons quasiment perdu toute une partie de notre culture. Ma mère a eu la chance de recevoir un enseignement de la part d’une aînée. Elle m’apprend à son tour, et aujourd’hui, je veux changer la façon dont les gens perçoivent cette tradition. »
Des vidéos aux millions de vues
Au Canada, les populations autochtones, ou indigènes, formeraient 4,9% de la population totale, soit plus de 1,6 millions de personnes. Le terme autochtone dans le pays désigne à la fois les Premières Nations, les Métis et les Inuits. C’est dans cette dernière communauté qu’a grandi Shina Novalinga. Originaire de Puvirnituq, un petit village du Nunavik, un territoire situé à l’extrémité nord du Québec, elle vit aujourd’hui à Montréal pour ses études.
Malgré le succès de ses vidéos, qui cumulent plusieurs millions de vues, Shina Novalinga doit en effet faire face à de nombreux commentaires négatifs, parfois racistes, qui se moquent de ce qu’elle poste. Une situation qui n’est pas sans rappeler le dérapage du Prince Charles et de son épouse Camilla en 2017, lors d’une démonstration officielle de la pratique. La jeune activiste constate :
« C’est une nouvelle façon de nous censurer. Mais il y aussi tellement de retours positifs. Les gens nous envoient des messages des quatre coins du monde pour nous dire qu’ils apprécient notre culture. Cela nous pousse à faire plus de vidéos pour montrer aux jeunes indigènes qu’ils ne doivent pas avoir honte de ce qu’ils sont. »
Dénoncer et combattre les discriminations
Mexique, États-Unis, Canada… Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de jeunes issus des minorités autochtones partagent leur quotidien et leur culture. Comme Shina Novalinga, ils cherchent à s’accepter et à éduquer les autres, en maniant avec brio les nouveaux codes des plateformes numériques.
Au détour d’une musique tendance, la jeune influenceuse évoque ainsi frontalement les discriminations subies par les Inuits depuis l’arrivée des colons : acculturation, enfants arrachés à leur famille, marginalisation des tatouages traditionnels… Shina Novalinga détaille :
« On a souvent l’impression que la situation est parfaite au Canada, mais il y a encore tellement de choses à faire. Les Inuits n’ont pas beaucoup de droits. J’ai rencontré beaucoup de personnes au Québec qui ne savaient même pas ce que voulait dire être Inuk [ndlr : Inuk est le singulier du mot Inuit, qui signifie « personne » en inuktitut.] Ils pensent parfois que nous venons d’un autre pays.
C’est donc très important de sensibiliser les gens, sinon personne ne prend vraiment acte de notre existence. »
@shinanova Take action to learn more about Indigenous history and experiences in Canada. Link in bio, it’s free!!! ##IndigenousCanada ##Coursera ##Sponsored
La situation dramatique des femmes inuites
La situation est particulièrement dramatique pour les femmes indigènes, surreprésentées dans les cas de violences conjugales, de disparitions et de meurtres.
En janvier 2021, le ministre canadien des Services aux autochtones, Marc Miller, révélait qu’elles faisaient face, avec leurs enfants, à un taux de violence 14 fois plus élevé que les autres femmes au Canada.
@shinanova In honour of Missing and Murdered Indigenous Women and Girls #MMIGW #indigenous #motheranddaughter @kayuulanova
Pour leur venir en aide, Shina Novalinga et sa famille ont décidé, fin 2020, de lancer une collecte de fonds sur les réseaux sociaux. En deux mois, plus de 12.000$ ont été récoltés. Une belle somme qui a permis l’achat de masques, de gants, de nourriture et de produits d’hygiène pour des centaines de femmes indigènes accueillies dans les foyers de Montréal. L’activiste explique :
« Je n’ai pas pu les rencontrer à cause du Covid, mais j’espère pouvoir le faire une fois la crise sanitaire passée. J’ai été élevée par des femmes fortes, belles et indépendantes : s’aider les unes les autres a toujours fait partie de nos valeurs. »
Vers une véritable reconnaissance de la culture inuite ?
Les actions et prises de parole de Shina Novalinga ont été saluées par sa communauté, qui bénéficie aujourd’hui des retombées de son succès médiatique. La jeune activiste raconte, enthousiaste, le jour où elle a reçu un message d’une amie inuite :
« Un inconnu avait reconnu le manteau traditionnel qu’elle portait, appelé atigik, car il avait vu mes vidéos. Il lui a dit qu’il le trouvait magnifique. Cela me touche, car quand j’étais petite et que je portais ce type de manteau, les gens me lançaient des regards mauvais. Les choses sont en train de changer. »
Pour promouvoir l’art inuit, Shina Novalinga a aussi lancé sa propre boutique de vêtements et de bijoux traditionnels, Ikuma. Même s’il est encore à l’état de développement, le projet propose déjà des boucles d’oreilles faites main par la jeune femme, en peau de phoque.
« Nous ne chassons pas pour le plaisir, mais pour survivre, car les prix sont très élevés dans les régions nordiques. Les gens ne comprennent pas forcément cela et nous disent parfois des choses très blessantes. Nous chassons de façon éthique et nous utilisons toutes les parties de l’animal. Tous nos vêtements sont faits main : le haut que je porte par exemple en ce moment, en peau et fourrure de phoque, a été fait par ma mère. »
Par le biais de sa boutique, elle souhaite à l’avenir aider de jeunes créateurs inuits à vendre leurs produits. « Nos bijoux sont si beaux, explique-t-elle avec émotion. C’est important de diffuser et de partager notre savoir-faire. »
@shinanova This land is Native land ☀️💗 @kat_jefferson
À la rentrée scolaire, Shina Novalinga entamera un cursus en études autochtones pour en apprendre davantage sur sa culture, son histoire et son héritage. Elle souhaite par ailleurs revenir dans son village natal une fois la crise sanitaire passée, pour se reconnecter à sa communauté.
« On verra ensuite. Je veux pouvoir dire aux jeunes indigènes qu’ils sont magnifiques, qu’ils sont importants, qu’ils sont capables de tout. Notre culture est si riche. Je veux réaliser un changement positif. »
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Les Commentaires
Deux autres activistes Inuit qu'on peut suivre sur Instagram/TikTok : @marikasila (vêtements traditionnels, sport, droits des natifs, féminisme, ...) et @kayuulanov (la maman de Shina Novalinga, qui montre beaucoup de nourriture traditionnelle et de chant de gorge).