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Travail

On est en 2020, peut-on lâcher le costume-cravate quand il fait 40° ?

Le code vestimentaire professionnel des hommes est constant en toutes saisons, ce qui est encore moins pertinent en période caniculaire.

— Publié initialement chez madmoiZelle le 5 juin 2015

Costume, cravate, chemise, pantalon. Pour ces messieurs qui travaillent dans le secteur tertiaire, la question de savoir « comment je m’habille aujourd’hui » est assez simple, et la réponse ne varie jamais quelle que soit la saison.

Costume, cravate, chemise, pantalon. C’est un « code » de l’entreprise, solidement ancré dans la culture et les usages, si solidement ancré que même des températures caniculaires ne sauraient l’amender…

Dès les premiers jours de grosse chaleur, les articles fleurissent sur les rappels aux règles concernant les tenues vestimentaires autorisées par les entreprises, selon les postes, les secteurs, les règlements intérieurs. Je vous la fais courte : à moins d’être dans une joyeuse start-up numérique, vous risquez fort d’être obligé de boutonner votre chemise jusqu’au col et de garder vos mollets bien couverts.

Et pourtant, il est grand temps que cela change.

Climatisation contre cravate

Lorsque je travaillais en entreprise, je trouvais la rigidité du code vestimentaire extrêmement ridicule, mais on va mettre ça sur le compte de mon côté « Génération Y » qui veut tout changer.

Mais le ridicule s’est progressivement mué en indignation, lorsque je me suis retrouvée obligée, comme toutes mes collègues féminines, de porter une laine à l’intérieur des bureaux en été, à cause de la climatisation.

C’est sûr que lorsque le mercure dépasse les 30 degrés à l’extérieur, on supporte assez mal la combinaison pantalon-chemise (nécessairement à manches longues : les courtes sont « une faute de goût » voyons), cravate et chaussures fermées. Pour compenser, et offrir à ces messieurs fort bien sapés une atmosphère de travail agréable, on pousse la clim’ à 20 degrés dans les bureaux.

Du coup, les personnes qui sont effectivement habillées en accord avec la saison se pèlent les bras, les jambes et le décolleté ! Pour éviter ça, je venais au bureau jambes nues et je rajoutais des collants et un gilet une fois arrivée…

Si ce n’était que ridicule, écoutez, je ne dirais rien. Mais le problème est une question d’écologie, ce qui justifie mon échauffement sur le sujet.

Le climat > vos considérations de style

Alors oui, je sais, les bermudas, les tongs, les chemises à manches courtes, tous ces sujets divisent la population française plus profondément encore que l’orthographe de « boloss » ou l’Eurovision.

Mais je ne vous parle pas ici de considérations de style : vous vous habillez comme vous voulez, comme ça vous plaît. J’ai un problème, personnellement, à partir du moment où votre entreprise vous impose un code vestimentaire en décalage avec la météo, et qu’en conséquence, elle pousse la clim’ à fond.

Passons outre le fait que ça va filer la crève à toutes celles qui, elles, sont raccord avec la température extérieure ; ce qui touche à la santé des employé·es affecte la productivité de l’entreprise. Et là encore, vous faites bien ce que vous voulez mesdames et messieurs les dirigeant·es, tant pis pour vous si vous avez à déplorer des bronchites et des angines dans vos équipes en plein été.

Mon problème, en revanche, nous concerne tou·tes : je vous parle de la quantité d’énergie qui est consommée chaque été par la climatisation excessive des lieux de travail. Lisez ce qu’en dit Bruxelles Environnement :

« La climatisation peut faire augmenter votre consommation énergétique de 20%. Et les fluides de refroidissement ont un impact très néfaste sur le climat : 1 500 fois plus élevé que le CO2. Alors, autant s’en passer, surtout sous nos latitudes ! »

Je ne vous demande pas de couper la clim’, je vous demande de l’utiliser avec parcimonie. Et demander à vos employé•e•s de s’habiller de façon cohérente avec la température extérieure ne me paraît pas être une aberration.

L’énergie consommée par une utilisation excessive de la climatisation, en revanche, est une véritable aberration. Et ce sujet est vraiment loin d’être anecdotique, car vous savez, chaque année ont lieu de cruciales négociations internationales pour enrayer la vitesse du réchauffement climatique, et tenter d’empêcher que ses conséquences deviennent irréversibles à horizon 2050. Après-demain, quoi.

En plus, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les appareils de clim’ rejettent de l’air chaud. C’est très agréable de passer devant ces ventilations en été, dans la rue (non, pas du tout).

 

« Super Cool Biz », la tendance qu’on attend toujours en France

Avant de me prendre pour une hippie néo-révolutionnaire ultra-libertaire, notez que je ne sors pas cette proposition, somme toute raisonnable, de mon imagination rendue fertile par la brise qui circule présentement entre mes orteils.

Non.

L’idée de lâcher du lest sur la rigueur du code vestimentaire professionnel vient du Japon, pays aux mœurs ultra-conservatrices s’il en est, où le respect des usages et des conventions est rigoureusement observé.

Et pourtant, au lendemain de la catastrophe nucléaire de Fukushima, ses habitant·es ont fait le bon calcul : a-t-on suffisamment d’énergie à investir dans la climatisation de tous les espaces de travail ? Est-ce qu’il ne vaudrait mieux pas repenser la façon dont on s’habille, histoire d’être un peu plus raccord avec la température extérieure ?

Dès l’été 2011, quelques mois après la catastrophe, le gouvernement japonais avait demandé aux entreprises de baisser leur consommation d’énergie de 15 %, en réduisant notamment la part de climatisation.

En parallèle, il appuyait la campagne « Cool Biz », qui consistait à réinventer le code vestimentaire professionnel estival, histoire d’être tout aussi classe et distingué qu’en costume, mais sans crever de chaud enserré dans sa chemise-cravate.

La collection « Super Cool Biz » d’Uniqlo reste un exemple très réussi de ce à quoi peut ressembler le code vestimentaire « business » en ces temps caniculaires.

japon-uniqlo-super-cool-biz-bermuda

ALERTE BERMUDA

Croyez-moi les gars,

vous êtes moins ridicules en bermuda qu’en costume-cravate par cette chaleur. On vous voit, on voit la sueur perler sur vos sourcils… Et pour tous ceux qui subissent les inepties réglementaires de leur entreprise, on vous plaint.

Le ridicule ne tue plus… mais votre crédibilité en souffre

Juillet 2012, je suis en mission d’audit sur des chantiers du Sud de la France. La Méditerranée, les chantiers (c’est-à-dire des surfaces de béton ultra-réfléchissantes), le mois de juillet.

Trois facteurs qui m’ont fait opter pour des petites robes avec sandales (le port du short étant véritablement vécu comme un impair professionnel, je fais péter la robe à fleurs, et tant pis).

Mon chef de mission, impassible, monte dans le TGV à Paris en pantalon, chemise et cravate (sa veste sur le bras). Mon stagiaire est habillé exactement pareil. Mais voilà, c’est MON stagiaire, donc avant la descente du train, je lui glisse qu’il n’est pas obligé de porter la cravate.

Il peut ouvrir sa chemise aussi, et s’il a pris des pantalons plus légers (toile, lin) dans sa valise, ainsi que je le lui avais conseillé, il a mon autorisation pour les porter. Si le chef lui fait la moindre remarque, il doit m’en référer : c’est moi son supérieur hiérarchique sur cette mission.

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Mais que fait la fashion police ?

Je sens le chef de mission un peu surpris de l’apparente décontraction de mon stagiaire, mais eh : c’est moi qui décide, point.

En arrivant dans l’entreprise que nous devions auditer, nous sommes reçus par le patron du site : pantalon de toile, chemise en lin ouverte à mi-poitrine, et aucune cravate à l’horizon. Chaussures ouvertes. Sa première réaction ? À mon collègue : « Vous n’avez pas chaud comme ça ? ». (Si. Très.)

Eh bien oui, les gens qui sont habitués à vivre dans la chaleur six mois par an ne s’embarrassent pas de codes surannés quand viennent les mois d’été !

Le chef a fini par laisser tomber la cravate aussi (mais l’a remise sitôt de retour à Paris).

Pour le bien de la planète, pour les économies d’énergie, et pour le bien de vos employés, mesdames et messieurs les chef•fe•s d’entreprises, faites un geste citoyen et cohérent : autorisez vos salariés à tomber la cravate, alléger les chemises et raccourcir les pantalons.

Baissez la clim’ ! Votre facture d’énergie aussi sera plus légère, vous verrez.

Et puis honnêtement, être bien dans ses fringues n’a jamais nui à la productivité (c’est plutôt le contraire, même).

Je conçois qu’on doive faire des efforts de représentation lorsque l’on est en contact avec de la clientèle, mais si, comme moi, vos employé•es sont vissés à leur clavier, sachez que les tongs et les shorts n’ont jamais été un frein à l’efficacité.

Les matchs qui se prolongent à Roland Garros, en revanche, c’est une autre histoire. (Mais ça ne m’a pas empêché de boucler cet article. Comme quoi !)

Libérez la Défense !

Allô la Défense, ici les Grands Boulevards : ceci est un appel à rébellion. À chaque fois que la température extérieure excèdera les 28 degrés, prenez la liberté que la rigueur de conventions professionnelles surannées vous refuse : tombez la cravate ! Sortez les shorts ! Ouvrez les chemises ! Libérez vos orteils !

Quand je vous vois vous déverser sur le parvis de la Défense, de noir et blanc vêtus, engoncés dans des vêtements inadaptés au climat de votre environnement, vous me rappelez ces hordes de manchots empereurs errant sur la banquise… (Si en plus votre hiérarchie est anti-sieste, je vous plains sincèrement.)

Contrairement aux manchots, vous pouvez vous adapter à la chaleur de votre environnement. Et au passage, moins vous pousserez la clim’, plus vous aiderez à les sauver, les manchots.

À bon entendeur…


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

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