Vous avez déjà remarqué que quand un enfant tombe, on se précipite vers lui dans un premier temps et on dit tout de suite : « C’est pas grave ! » Je ne m’en étais pas rendu compte avant d’avoir des enfants, et qu’on me le fasse remarquer.
Mes jumeaux de 16 mois passent leur temps à se péter la gueule, et je passe mon temps à dire : « C’est pas grave, tout va bien ». Comme une réaction instinctive, puis après, je vais regarder si c’est vrai ou si j’ai été une grosse menteuse.
Mais pourquoi fait-on ça ? Et est-ce une bonne idée ?
Pourquoi on réagit de cette manière ?
On a tout de suite l’envie de minimiser, peut-être se croit-on pourvues d’un pouvoir magique avec une parole performative ! Si je dis que c’est pas grave, ça ne sera pas grave…
Ou peut-être est-ce aussi une réaction naturelle ou instinctive. Ou encore on imite ce que l’on a déjà entendu. Nos parents ne disaient-ils pas déjà à l’époque « C’est pas grave » aussi ?
Pour Héloïse Junier, docteure en psychologie du développement de l’université de Paris, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques :
« À la base, il s’agit d’une volonté naturelle et spontanée du parent de vouloir rassurer son enfant.
On a peur que l’enfant se mette à pleurer ou à crier. On redoute sans doute cet élan émotionnel de la part de l’enfant, comme si on arriverait pas à le gérer s’il explosait. On se dit alors que si on arrive à le rassurer, la sensation de douleur qu’il peut ressentir sera peut-être moins vive »
Pour Marie Chetrit, docteure en sciences, qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante :
« Peut-être aussi qu’en tant que parent, on aime pas que notre enfant pleure car on associe ces pleurs à une manifestation de malheur, de tristesse, de quelque chose qui n’irait pas dans sa vie.
On se sent responsable de son bonheur en tant que parent. On a tendance à vouloir chasser la tristesse. »
On fait donc à la fois ça pour se rassurer mais aussi pour rassurer l’enfant.
C’est une réaction saine et utile
Bien sûr cela dépend de la gravité de la chute ou du bobo. Caroline Goldman, psychologue pour enfants et adolescents, docteur en psychopathologie clinique, auteure de File dans ta chambre ! Offrez des limites éducatives à vos enfants, nous l’indique :
« S’il a mal, on le câline et on met en mots ce qu’il éprouve : “tu as mal mon chaton ! Et tu as dû avoir un petit peu peur !“ puis on parle des perspectives sympas à venir.
Et si c’est une chute sans douleur, on fait un grand sourire et on embraye sur la suite pour ne pas l’inquiéter et faire émerger une plainte inutile : “waou ! Quelle championne ! Et hop, on retourne faire du galop ! À nous la cavalcade !“ »
Notre réaction rassurante, à base de « C’est pas grave » ou « Tout ira bien » permet à l’enfant de savoir lui-même comment réagir. Héloïse Junier nous l’indique :
« Il est classique que les plus jeunes enfants, quand ils tombent, regardent le parent dans les yeux avant de se mettre à pleurer.
Cette conduite peut être mal interprétée. Certains parents peuvent penser, à tort, que leur enfant “joue la comédie“ ou qu’il “fait exprès“ et que “en réalité, il n’a pas vraiment mal“. »
L’enfant ne cherche pas à attirer l’attention (et casser les pieds de ses parents) mais juste à savoir s’il y a de quoi s’inquiéter, et ainsi comprendre comment réagir.
« Il y a fort à parier que si le parent affiche une expression faciale de peur, l’enfant risque de se mettre à pleurer.
À l’inverse, si le parent affiche une expression faciale détendue, l’enfant va probablement passer à autre chose ! »
L’enfant appréhende l’acte suivant la réaction du parent. Héloïse Junier nous l’explique, le parent est le référent social de l’enfant :
« Cette conduite, bien étudiée en psychologie du développement, s’appelle le mécanisme de “référenciation sociale“.
Depuis son plus jeune âge, l’adulte joue le rôle de référent social de l’enfant. Dès qu’il y a un danger dans son environnement, dès qu’il sent quelque chose d’inhabituel, il est programmé pour se référer à l’expression faciale de son interlocuteur pour évaluer la dangerosité ou non de l’environnement ou de ce qu’il vit.
Les adultes entre eux fonctionnent de la même manière ! Par exemple, si un grand bruit retentit dans le train dans lequel vous voyagez, il y a de grandes chances pour que votre premier réflexe soit de dévisager le passager qui est assis en face de vous ! »
Pour Marie Chetrit également, ce n’est évidemment pas pareil s’il tombe du haut d’un toboggan ou de sa hauteur. En effet, il faut adapter son comportement à la circonstance :
« Bien sûr il ne s’agit pas de nier le ressenti de l’enfant et de lui faire croire que rien n’est grave et qu’il faut prendre sur soi, ce n’est pas ça la bonne attitude.
Selon les circonstances, on peut encourager l’enfant à poursuivre son activité ou son jeu. On ne peut pas tout mettre au même niveau de gravité. Il faut aussi accueillir ses émotions, rassurer, écouter, consoler. C’est un équilibre à trouver. »
Plus que les paroles, c’est aussi l’attitude rassurante qu’on l’on va avoir qui va aider l’enfant à affronter l’événement.
Les parents colorent les émotions de l’enfant
Caroline Goldman nous le dit, c’est plus la charge affective que l’on met dans l’événement que le discours qui aura un impact sur l’enfant :
« Vous interrogez la notion passionnante de “présentation de l’objet“ théorisée par Winnicott, grand psychanalyste d’enfant.
Cette notion décrit la puissance des parents à colorer émotionnellement les évènements qu’ils présentent à leur enfant. C’est en effet cette charge affective, circulant dans ce contexte précis, que l’enfant retiendra ; bien plus que l’information verbale et rationnelle qui lui sera offerte. »
Elle donne une exemple concret pou illustrer cela :
« Si une mère accueille la chute de son enfant en criant, avec des tremblements dans la voix et en prévenant : “holala mon chéri ! Mais tu n’as pas fait attention ! Mais tu t’es blessé ? J’espère qu’on ne va pas être obligés d’aller aux urgences !“ puis lui répète ensuite plusieurs fois que “ça n’est pas grave“…
L’enfant ne retiendra que les pleurs maternels et l’idée qu’il faut se défendre d’une certaine gravité, à laquelle il n’aurait probablement pas pensé tout seul.
Rappelons ici que l’enfant est, au départ, vierge de toute association entre faits et émotions. Si cette mère avait annoncé sur le même ton à son enfant que ses lacets sont bleus et pas verts, il est à parier qu’il aurait pleuré tout autant. »
La façon de réagir des adultes est donc très importante pour colorer l’émotion de l’enfant. Et instinctivement, le parent, dans un premier temps, est rassurant. Donc tout va bien !
Dans un second temps, il convient aussi de partager avec lui ses émotions car la peur peut-être très présente.
Comment réagir dans un second temps ?
Pour nos trois spécialistes, la première réaction qui consiste à rassurer, en disant que ce n’est pas grave est donc normale, et saine.
On peut dans un second temps lui dire que l’on a compris qu’il pouvait avoir eu peur et mettre des mots sur les émotions.
« On oublie trop souvent que lorsqu’un enfant tombe, il peut aussi ressentir de la peur, et pas seulement de la douleur.
Imaginez-vous tomber, en tant qu’adulte, sur le sol. Même si vous ne vous êtes pas fait mal, vous avez sans doute eu drôlement peur !»
Bien sûr, il est important de lui demander s’il a mal ou non mais il ne faut pas se limiter à cela, l’émotion de peur peut être importante. Héloïse Junier poursuit :
« Il ne faut pas obligatoirement se limiter aux dommages corporels et au fameux “Ça saigne“ versus “ça ne saigne pas“. L’émotion de peur est probablement présente.
Idéalement on pourrait lui dire, sur un ton de voix rassurant : “Je ne sais pas si tu t’es fait mal mais tu as sans doute eu peur !“ »
Pour résumer : la première réaction qui consiste à rassurer l’enfant est saine car elle indique à l’enfant comment réagir. Les mots sont importants mais le comportement générale aussi, car l’enfant s’y fiera également.
Bien évidemment, on s’adapte à la situation, on ne réagira pas de la même manière si l’enfant a seulement eu peur ou s’il s’est fait vraiment mal. Et dans tous les cas, l’idée n’est pas de minimiser à tout prix ce qu’il s’est passé.
Dans un second temps, qui peut intervenir très rapidement, l’idée est de rassurer, cajoler et d’inciter l’enfant à partager ses émotions.
Dans tous les cas, pas de pression, on réagit aussi comme on peut. En effet, en tant que parents, on peut aussi avoir très peur et du mal à le cacher.
On ne peut pas mettre ses enfants dans des grosses boîtes remplies de coton (et c’est bien dommage), donc leur enfance va être parsemée de chutes et de bleus. Alors autant avoir une petite idée de comment réagir !
À lire aussi : Faut-il punir les enfants ? On s’attaque au sujet du siècle dans Débats de parc
Image en une : © Picsea/Unsplash
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