En 1992, un McDonald ouvrait ses portes à Saint-Barthélemy dans les quartiers nord de Marseille. Presque trente ans plus tard, l’établissement en difficultés financières ferme ses portes, malgré la mobilisation des personnes qui y travaillaient ou qui vivaient à proximité.
La fin d’une époque, mais le début d’une deuxième vie pour le lieu, puisque les anciens salariés, bénévoles et habitants l’ont réquisitionné en mars 2020 afin d’en faire une épicerie et un restaurant solidaire pour ceux dans le besoin, et espèrent bien que l’initiative pourra être pérennisée grâce au soutien de la mairie et des donateurs.
Le fast-food installé dans les quartiers nord de Marseille fait face à un grand rond-point. Sur le toit, on peut lire « L’Après M ». En plus des façades rose et bleu qui se démarquent des bâtiments gris aux alentours, on découvre autour du parking plusieurs banderoles avec des citations accrochées à la place des panneaux publicitaires — « À cœur vaillant, rien n’est impossible ».
Tout ça, ce sont bien des Marseillais qui les ont ajoutées, et cela donne le ton sur leur état d’esprit.
L’Après M : un projet qui s’est développé avec la crise
En arrivant, je tombe sur un petit groupe d’individus qui échangent lors d’une réunion sur la terrasse. Tout de suite, une femme se lève et propose de me faire visiter. En faisant le tour, elle m’explique que la majorité des habitants du quartier connait bien ce restaurant : inauguré en 1992, il a une place particulière dans les cœurs.
« Tout le monde se retrouvait ici, on a fêté beaucoup d’anniversaires, et il y a eu de la lutte ! »
Tapissés sur les murs, plusieurs articles de presse sont affichés, grandeur nature et relatent la bataille menée par les salariés. Pendant toute une année avant la liquidation, ils ont manifesté, fait tourner des pétitions pour que le lieu reste ouvert. En vain… La majorité des employés (une centaine) ont perdu leur emploi et accepté l’accord financier proposé par McDonald en compensation.
Kamel, l’ancien directeur adjoint, est lui toujours en procédures avec son employeur et donc encore salarié de McDonald. Pour lui, comme pour beaucoup de membres de son ancienne équipe, il était impossible que cet endroit emblématique disparaisse. Le garant de l’Après M, c’est donc lui. « C’est ce qui nous a permis de pouvoir encore venir », précise mon accompagnatrice.
Lila, la bénévole avec qui j’ai rendez-vous vient d’arriver, elle prend le relai. « Il faut que tu voies les cuisines, c’est là qu’on rigole le plus ! », déclare l’autre Marseillaise, avant de retourner à sa réunion.
Face à l’entrain de sa collègue, Lila sourit, et poursuit :
« C’est une véritable organisation citoyenne qui est en place ! Nous sommes une centaine de bénévoles, pas tout le monde ne vient à la même fréquence, il est difficile de donner un chiffre précis. »
Entre ces murs, ce n’est pas comme au temps du McDo où les rôles étaient définis. Désormais, tout le monde met la main à la pâte, en fonction de ses compétences : en cuisine, pour nettoyer, s’occuper des livraisons…
« Chaque lundi, une immense file se forme et passe devant la petite fenêtre qui était autrefois le drive. On leur sert des légumes, fruits, conserves… »
Autant de produits que je découvre dans l’immense chambre froide, qui regroupe tous les aliments. Lila, qui est bénévole depuis presque un an me confie que le projet a aidé énormément de familles pendant la crise.
« En novembre 2020, à 5h du matin, des gens étaient déjà là pour venir chercher à manger… On comptabilise 150.000 dons depuis l’ouverture. »
Un constat qui fait réfléchir la femme de 36 ans, mais qui lui confirme que l’Après M doit se maintenir pour les aider. Elle qui vit dans le centre-ville de Marseille connait un bénévole qui lui a donné envie de prendre part à l’aventure à son tour en novembre dernier, et elle s’est sentie tout de suite accueillie à bras ouverts par les membres du collectif. Malgré son 35h à côté de l’Après M, elle confie que sa vie sociale ne pâtit pas de son choix.
« C’est une seconde famille ici, c’est du temps bénéfique à mes yeux. Moi qui ai vécu une liquidation judiciaire dans mon ancien emploi, je me suis identifiée à leur combat. Je trouve que l’idée de se renouveler de cette façon est très belle. »
L’Après M, un restaurant solidaire porté par ses bénévoles
Au sein du collectif, il y a autant d’hommes que de femmes et le but est le même pour tout le monde : se rendre utile. Cependant, ici, nous avons souhaité mettre en lumière les femmes qui participent au projet. Certaines sont mères, travaillent à temps plein, sont bénévoles dans d’autres associations… Le jour de l’entrevue, elles sont une dizaine à être présentes. Comme c’est dimanche, elles sont dans le rush pour la distribution, le lundi.
« On répond à tes questions, mais pas longtemps hein, il faut qu’on soit prêtes pour demain matin ! », déclare Warda, une cagette de haricots à la main. Chaque semaine, c’est la même chose, entre l’excitation et l’anxiété de ne pas être prêt à temps. Lila s’active également : « On ne veut laisser personne repartir sans rien. »
Avec le sourire, Warda s’octroie une petite pause pour raconter son histoire, même si cette mère de quatre enfants n’aime pas se mettre trop en avant. Je remarque que les volontaires mettent toujours à l’honneur l’équipe entière de l’Après M, mais restent pudiques sur leur propre investissement. Pourtant, chaque personne avec laquelle j’ai échangé m’a confié passer des heures à œuvrer pour le « fast social food », comme ils l’appellent.
Tout en décortiquant les légumes, la femme de 40 ans finit par évoquer son arrivée en janvier dernier.
« Je possédais une boucherie à Marseille, j’étais la gérante. Avec le Covid, mon commerce a fermé. Encore aujourd’hui, je ne travaille plus. »
L’ancienne patronne se souvient du moment où elle devait choisir entre « se loger ou se nourrir ». Tout de suite, Warda fait des pieds et des mains pour que ses enfants mangent à leur faim. Elle se présente alors auprès de différentes associations. Chaque fois, le constat est similaire : des semaines d’attente pour être inscrit.
« Un jour, je suis venue à l’Après M. On m’a tout de suite écouté et donné de la nourriture ! »
« Une ouverture d’esprit, du partage, s’intéresser aux autres… »
C’est ainsi que la quadragénaire fait la connaissance de quelques personnes du collectif, se sent épaulée et rassurée.
« Depuis, je me rends là-bas chaque jour, pour agir moi aussi. C’est vrai que sans cette situation précaire où je me suis retrouvée, je n’aurais peut-être pas pensé à devenir bénévole…
Lorsqu’on travaille, on est vite pris dans des habitudes. On ne pense pas toujours aux autres, car on est concentré sur nos propres quotidiens. »
Rahima se joint à nous, des dattes et de l’eau à la main. Les minutes passent, les discussions s’allongent et du monde se réunit autour de la table. Entre quelques blagues, chacune fait part de son récit.
Warda rit beaucoup, elle taquine les autres et déclare, amusée, avoir la « positive attitude ». Rahima est tout aussi souriante, plus timide. Proche du fast-food se trouve un laboratoire d’analyses ; c’est en s’y rendant que cette mère d’une petite fille s’est questionnée sur l’Après M.
« Je suis venue voir, et je me suis tout de suite sentie bien ici. Chaque jour, je viens après avoir déposé ma fille à l’école. Avant j’étais toute seule chez moi, maintenant je me sens utile, je me suis fait des amis et j’apprends de belles valeurs à ma petite ! ».
Comblée, la jeune femme parle de son travail saisonnier, qui ne démarre que dans quelques semaines. Elle qui vit dans le 14ᵉ arrondissement marseillais avait toujours souhaité rejoindre une association. La proximité l’a aidée à se lancer, elle ne le regrette pas. Pendant que leurs enfants s’amusent autour des tables, Warda insiste sur les valeurs que cette expérience apporte à leurs familles.
« L’ouverture d’esprit, le partage, s’intéresser aux autres… Je pense que nos enfants apprennent beaucoup ! ».
Les clés de l’ancien McDo seront bientôt à eux
Une semaine après mon reportage, la bonne nouvelle est tombée : la ville a annoncé le 2 juin sa décision de se porter acquéreur de la structure. Le maire indique qu’une délibération sera soumise au vote le 9 juillet, lors du prochain conseil municipal. Sur les vidéos du discours, on peut entendre le soulagement des bénévoles, mais aussi la joie.
Avant cela, les bénévoles avaient créé une cagnotte, mais aussi une « Société citoyenne immobilière », afin de racheter le McDo. Le but était de récolter 1.250.000 euros en vendant 5.000 parts à 25€.
La décision de Benoit Payan va permettre aux volontaires d’atteindre leur but plus rapidement : celui de doubler leurs activité de distribution de colis alimentaire d’un restaurant où les clients payent en fonction de leurs revenus avec des salariés et salariées issues du quartier. C’est aussi un moyen de rendre leur emploi aux personnes qui travaillaient anciennement dans le fast-food.
Lorsqu’ils avaient lancé l’Après M, beaucoup parlaient d’une « utopie ». À force de semer les graines de l’espoir, il semblerait que les rêves deviennent réalité.
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