Il faut en avoir du courage, de l’influence, et surtout un nom qui rime avec pognon pour acquérir les droits d’un monument comme West Side Story.
Heureusement pour lui, pour nous, et pour quiconque aime les comédies musicales, Steven Spielberg a les trois.
West Side Story : l’adaptation d’une adaptation d’une adaptation
Vous vous souvenez forcément de la première fois que vous avez rencontré Tony et Maria, dans le chuintement de robes à froufrous qui tournent. On oublie jamais les 151 minutes du premier West Side Story !
Et ça n’est pas pour rien s’il vous a fait tant d’effet, s’insérant dans votre bide avec l’énergie du désespoir. C’est que voyez-vous, le premier West Side Story est l’adaptation d’une comédie musicale lancée à Broadway en 1957, à un moment où le théâtre musical était en déclin.
Cette création canonique, signée Leonard Bernstein, Stephen Sondheim et Arthur Laurents, marque alors un tournant dans l’histoire du genre, qui a permis à l’Amérique de lui laisser une seconde chance.
À l’heure où les comédies musicales étaient souvent drôles, cucu, et légères, West Side Story est venue briser les codes, faisant du théâtre la scène d’un drame social et amoureux — inspiré bien sûr par Roméo et Juliette de Shakespeare.
Ainsi, pendant près de trois ans, le spectacle a connu un succès sans précédent, donnant envie aux producteurs de la Mirisch Company d’en faire un film.
C’est Robert Wise qui se voit confier le projet, et le mène à bien — jusqu’à créer ce qui est, d’un commun accord aujourd’hui, qualifié de chef-d’œuvre aux 10 Oscars.
Adapter ce qui était déjà l’adaptation d’une adaptation aurait pu être une mission suicide pour qui s’y attelait. Mais c’était sans compter la force de frappe de Steven Spielberg qui a non seulement le bras très long mais sait surtout s’en servir pour tenir une caméra.
Adapter West Side Story, un projet de longue haleine
C’est donc en 2014 que Steven Spielberg pense à adapter une œuvre dont il est lui-même fan et demande à la 20th Century Fox d’en acquérir les droits.
En 2018, le projet devient officiel : on sait désormais que c’est Tony Kushner, le scénariste de Lincoln et Munich, qui est en charge de sa réécriture. Spielberg lui confie qu’il souhaite que cette nouvelle mouture soit plus proche de la pièce de théâtre musical d’origine que du film de Robert Wise.
Un an plus tard, Spielberg débute le tournage qui dure trois mois, avec Ansel Elgort et Rachel Zegler dans les rôles titres, pour livrer ce mercredi 8 décembre sa mouture 2021, dont on a eu grand peur qu’elle nous déçoive… et qui a précisément fait l’inverse.
West Side Story par Spielberg, la splendeur au service du social
Si l’on ferme les yeux très fort pour faire comme si Indiana Jones 4 n’avait pas existé, on doit admettre qu’elles sont rares, les bouses signées Steven Spielberg. Pour ne pas dire inexistantes. (On a dit qu’on oubliait Indiana Jones 4.)
Il n’est donc pas surprenant que West Side Story version 2021 subjugue dès ses premières minutes, dans un plan-séquence aussi musclé que l’original qui trimballe la caméra dans les décombres de l’Upper West Side, en pleine guerre de rues où s’affrontent deux clans ennemis.
A priori, l’art technique du cinéma n’a plus de secret pour Spielberg depuis les années 1990. Et ça se voit.
West Side Story virevolte dans les jupes avant de bondir dans les airs lors de travellings formidables, West Side Story valdingue dans les lumières du plein jour avant de plonger dans les ombres nocturnes (grâce à la maestria de Janusz Kaminski, le directeur de la photographie), West Side Story tourne, longe, saute, grandit et dépérit sous les meilleures hospices d’un créateur qui l’aime follement.
Plusieurs médias se sont interrogés sur les motivations de Spielberg à relire une œuvre aussi intouchable. Était-ce par ambition ? Gloire ? Défi ? Amour ?
Sans doute un peu pour tout ça et certainement aussi pour approfondir encore la dimension sociale du film initial.
West Side Story 2021, grâce à un recul historique lui permettant de scruter les années 1960 avec la précision qu’on alloue aux temps révolus, aborde en effet la gentrification des bas-quartiers de New York avec plus de férocité que celui de Robert Wise, transformant les familles respectives des amants maudits en personnages fielleux sans foi ni loi.
Spielberg s’évertue à dresser un portrait tout aussi féroce pour dénoncer la xénophobie et le racisme prégnant dans les années 1960, au cœur d’un New York en quasi guerre civile.
Dans West Side Story, plus de place aux personnages portoricains
Spielberg a fait le choix de laisser beaucoup plus de place à la communauté portoricaine dans sa mouture à lui, en filmant davantage les personnages portoricains que dans le film initial.
De plus, il a tenu à caster des acteurs et des actrices d’origines latines (dans le premier film, beaucoup d’acteurs blancs campaient des personnages latinos), ce qui est encore beaucoup trop rare pour ne pas être souligné.
Il a expliqué au magazine IGN :
« Je n’allais pas prendre en compte les auditions de celles et deux qui n’ont pas des parents ou des grands-parents ou eux-mêmes originaires de pays latino-américains. En particulier Porto Rico : nous avons beaucoup cherché à Porto Rico, nous avons 20 interprètes dans notre film qui viennent de Porto Rico ou qui sont Nuyorican. »
Sa volonté d’inclure réellement la culture portoricaine va jusqu’à la non-traduction des répliques en espagnol dans le film. Et pas de sous-titre non plus pour aider à la compréhension d’un public non hispanophone !
Le réalisauter a précisé, toujours au magazine IGN :
« Si j’avais sous-titré l’espagnol, j’aurais simplement doublé la présence de la langue anglaise, et donné à l’anglais le pouvoir sur l’espagnol. Cela n’allait pas se produire dans ce film, je devais respecter suffisamment la langue [espagnole] pour ne pas la sous-titrer. »
Intérêt réel pour la représentation de la culture latine ou opportunisme lié à l’époque ? Difficile à dire, mais au moins le résultat est là… n’en déplaise à ceux qui auraient aimé comprendre tous les dialogues.
En tout cas, West Side Story agira sur vous comme un coup en plein bide, que vous soyez une fine connaisseuse de l’œuvre initiale ou une novice en la matière. Alors foncez au cinéma !
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Les Commentaires
Je me permets juste de soulever une mini coquille:
"sous les meilleures hospices" > hospice c'est plutôt le bâtiment où l'on met les vieux, ici nous sommes plutôt sur "auspices"