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Règlement de comptes

Olivia, 768 € par mois : « Je n’ai pas de frigo chez moi »

Peut-on faire une thèse sans financement ? À quoi ressemble un quotidien dans lequel on tente de s’extraire au maximum des logiques financières ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous nous attaquons dans Règlement de comptes !

Parler d’argent, en France, c’est encore tabou. Pourtant, c’est un sujet passionnant… et féministe, par certains aspects ! Dans Règlement de comptes, des personnes en tout genre épluchent leur budget, nous parlent de leur organisation financière en couple ou en solo, et de leur rapport à l’argent. Aujourd’hui, Olivia a accepté d’éplucher ses comptes pour nous.

  • Prénom : Olivia
  • Âge : 24 ans 
  • Métier : doctorante en anthropologie 
  • Revenus : 768 € par mois
  • Lieu de vie : un appartement de 42 m² dont elle est locataire dans une toute petite ville de la région Bourguignonne. 

Les revenus d’Olivia

Olivia est actuellement en deuxième année de thèse en anthropologie. Pour cette thèse, elle ne touche aucun financement ni aucune rémunération.

« Comme environ 60 % des doctorants en sciences sociales, je ne suis pas rémunérée pour mes recherches. De ce fait, je distingue ma situation financière « objective » de mon vécu de ma situation. Objectivement, je suis clairement précaire, car bien en deçà du seuil de pauvreté. »

Les ressources moyennes des etudiants en France

Elle donne parfois des cours à l’université (en tant que doctorante, elle ne peut pas enseigner plus de 96 heures de cours par an) qui ne représentent pas un revenu notable selon elle : « Comme j’habite assez loin des facultés, la presque totalité de mon salaire part dans la couverture de mes frais de transport et de vie sur place. Par ailleurs, mon salaire n’est pas mensualisé pour ces heures, il est annualisé et peut tomber à des moments variables, parfois plusieurs mois après le moment où j’ai travaillé. »

La majorité de ses revenus provient d‘une aide de la part de ses parents :

« J’ai la chance d’avoir mes parents derrière moi, qui tiennent à financer mes études jusqu’à leur fin. À eux deux, ils me donnent 600 € par mois. »

À cela s’ajoutent 168 € par mois d’allocation logement. En tout, son budget s’élève donc à 768 € mensuel.

RDC_OLIVIA_REVENUS (1)

Le rapport à l’argent d’Olivia

Ces dernières années, Olivia a développé un rapport à l’argent particulier : elle tente d’en être la plus indépendante possible, et de vivre avec peu.

« J’ai le sentiment qu’il existe plusieurs manières de percevoir l’autonomie ou la liberté ; on peut se sentir plus libre en visant un apport financier conséquent qui nous permet de dépenser sans trop compter, ou alors, on peut considérer que l’autonomie financière est de cultiver une certaine indépendance vis-à-vis de l’argent.

J’essaie de construire ma vie dans cette seconde optique : je préfère réduire mes dépenses qu’augmenter mes revenus, c’est une logique qui va avec mes projets de vie. C’est un travail mental assez conséquent, car il nécessite un réel questionnement sur mes représentations, les normes et les habitudes qui m’ont construite. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis installée à la campagne par exemple, et pas en ville où le rapport à l’argent est omniprésent. »

Parce qu’elle s’inscrit dans une démarche de vivre avec peu, mais aussi parce qu’elle dispose d’un filet de sécurité familial, Olivia ne s’estime pas pauvre malgré un revenu sous le seuil de pauvreté :

« Je crois que la pauvreté, c’est à la fois ne pas parvenir matériellement à joindre les deux bouts, et à la fois vivre dans une situation de détresse mentale où l’on doit s’imposer des restrictions permanente, où l’on vit avec l’angoisse de ne pas avoir de filet de sécurité en cas de problème.

Ce n’est pas mon cas particulier, puisque je ne me prive pas et que je ne manque de rien. Je vis par la force des choses, mais aussi volontairement avec assez peu d’argent, et j’ai parallèlement la chance de pouvoir compter sur l’aide financière et morale de ma famille. »

Elle précise que ce cheminement lui est propre, et qu’elle tient simplement à en parler.

« Je ne veux absolument pas faire la morale, donner l’impression que je gère mieux mon budget que d’autres, ou que tout le monde devrait faire comme moi. J’aimerais juste montrer un autre schéma, un autre rapport à l’argent et aux dépenses. »

Les dépenses d’Olivia

Le poste de dépenses principal d’Olivia, représentant près de 50 % de ses revenus, est son loyer.

« Je suis locataire de mon appartement de 42 m² depuis un an et demi environ. Il est au deuxième étage d’un vieil immeuble situé dans la rue la plus animée d’une ville de 2000 habitants en région Bourguignonne. Autour de la ville, rivières, champs ou forêts à 30 km à la ronde. »

Elle passe aussi beaucoup de temps chez son conjoint qui vit dans une cabane dans un hameau, à quelques kilomètres.

Elle explique ne pas avoir de frais de charges collectives. « Pour avoir une poubelle, il faut payer au mois et faire des démarches. Je ne l’ai jamais fait : je produis très peu de déchets et je jette le peu que j’ai dans les poubelles de magasins. »

Ses factures lui coûtent environ 52 € par mois pour l’eau chaude et le chauffage. « Je précise que je fonctionne avec le moins d’équipement électrique possible. Pas de frigo, pas de box internet, pas de télé, pas de bouilloire ou de machine à café… ».

Ce fonctionnement est lié à sa volonté de dépenser le moins d’argent possible, qui s’accompagne d’une conscience très forte de l’empreinte écologique et sociale de ces objets :

« Pour moi, tout est entremêlé. L’écologie est quelque chose d’important pour moi depuis toujours, et cela résonne fortement pour chaque objet du quotidien. J’essaie de vivre de manière à protéger l’environnement — et donc moi, car je fais partie de l’environnement, il n’y a pas de distinction entre les deux.

Pour le frigo par exemple, je pense aux matériaux que cela représente, à l’empreinte de sa construction, de sa livraison jusqu’à chez moi, de son utilisation quotidienne et de ce qui se passera quand je le jetterai… À la souffrance humaine que sa fabrication a pu générer aussi, sur laquelle je n’ai pas d’informations. Alors qu’en fait, je peux m’en passer : beaucoup de choses peuvent se stocker et se conserver en dehors des frigos ! Là-dessus, le fait de faire les poubelles de supermarché m’a beaucoup appris. »

RDC_OLIVIA_DÉPENSES

« Je compose beaucoup avec la gratuité »

En effet, au vu de son budget restreint, Olivia explique composer beaucoup avec la gratuité, notamment pour les courses.

« Profitant de la chance que nous avons de vivre hors de la ville, mon compagnon et moi ainsi qu’un petit réseau de personnes avons lancé des potagers qui nous nourrissent presque à 100 % pendant les cinq à six mois les plus chauds de l’année, et qui nous permettent de troquer nos récoltes entre nous.

Idem pour les fruits frais et secs, que nous récoltons directement chez nous, chez nos voisins ou dans le paysage environnant. Nous faisons aussi pas mal de cueillette sauvage. »

Pour les choses qui ne se trouvent pas au détour d’un buisson, Olivia se fournit dans les poubelles des magasins :

« Nous faisons les poubelles des grandes surfaces de ma ville pour le fromage, les yaourts, etc.

Nous complétons en achetant les petites choses qui nous manquent (la farine, le papier-toilette, etc.). Je consomme un peu plus que mon compagnon car j’aime cuisiner des choses spécifiques, tester des recettes ou acheter des choses qui me font envie au marché. Sur mon budget, cela équivaut à environ 60 euros par mois. »

Ses frais fixes mensuels comprennent par ailleurs 22 € de forfait téléphonique (qui lui sert aussi d’accès à internet), 4 € de frais bancaires, et 14 € pour son assurance habitation.

Elle a peu de dépenses dites féminines — celles qui existent le plus souvent dans le budget des personnes perçues comme femmes : maquillage, épilation, coiffure, skincare, mais aussi protections menstruelles ou contraception.

« Je n’ai pas réellement de budget pour ces dépenses-là. Je me protège durant mes règles avec des serviettes hygiéniques lavables que ma grand-mère m’a cousu et offert. Je m’épile très rarement, avec un épilateur que ma mère m’a offert il y a longtemps, et je ne me rase pas. Je ne porte pas de parfum, je mets parfois du mascara ou du rouge à  lèvre que l’on m’a également offert. »

« Je n’ai pas réellement de craquage en matière d’argent »

La dernière grosse dépense d’Olivia ? Le règlement de ses frais d’inscription à l’université, 480 €. Pour cela, elle a dû piocher dans ses économies. En dehors de ce type de dépenses, elle témoigne ne pas avoir de réels craquages en matière d’argent :

« En soi, avec ce mode de vie là, je pourrais réduire mon budget nourriture à pratiquement 0 euro par an. Mais je ne le souhaite pas : j’apprécie l’équilibre dans lequel je suis actuellement.»  

Elle cultive, en compagnie de son conjoint, des loisirs qui sont en accord avec son mode de vie et qui coûtent peu, ou rien.

« Avec mon compagnon, on fait des sports de combat avec un ancien militaire qui habite à côté, et qui nous entraîne gratuitement – cela lui permet aussi de ne pas perdre la main et de travailler ses prises. Le reste du temps, on s’entraîne seuls tous les deux.

On se promène à pied ou à vélo, on part parfois en randonnée pendant une dizaine de jours selon les mêmes modalités de vie, ou bien en voyage/week-end en stop ou en vélo, dans des lieux collectifs ou juste dans nos familles. On fait notre potager en troquant des graines de nos récoltes contre d’autres, on bricole avec du matériel de récupération, on dessine, on se prépare mutuellement de grands repas expérimentaux… Le seul « loisir » qui me coûte de l’argent (et beaucoup en l’occurrence !) ce sont les livres ! »

Ces livres, qui sont tant pour ses loisirs que pour son travail de thèse, lui coûtent en moyenne 30 € par mois.

Pour ses recherches en anthropologie, elle doit régulièrement se rendre à Paris, ce qui lui coûte environ 80 € mensuels lissés à l’année en train et en tickets de transport. En ville, elle ressent son budget et ses dépenses de manière très différente :

« Quand je suis chez moi, je ne dépense pratiquement rien en loisirs. Lorsque je suis à Paris, c’est différent, je dépense beaucoup plus en verres, sorties, parfois vêtements… Et dans ce contexte, c’est plus difficile d’être à l’aise avec mon budget, ou de ne pas me sentir pauvre à côté de mes amis qui ont tous un salaire, et proposent des restaurants ou des sorties ! »

L’épargne d’Olivia

Chaque mois, Olivia estime économiser en moyenne 150 €. Elle les laisse généralement sur son compte courant, et les dépenses lorsqu’elle doit se rendre à Paris pour ses recherches.

À l’avenir, elle aimerait s’installer de manière pérenne avec son conjoint :

« Nous commençons à regarder les maisons. Cela se fera sûrement lorsque j’aurai achevé ma thèse, sur la base de mes économies et de celles de mon compagnon lorsqu’il travaillait.

Nos parents souhaitent aussi nous aider un peu, si besoin. Nous visons une maison qui coûterait à l’achat entre 20 000 et 40 000 euros maximum, avec pour objectif de la rénover selon nos goûts, notre temporalité, et de sorte à ce qu’elle soit en accord avec notre mode de vie. »

Merci à Olivia de nous avoir ouvert ses comptes !

Règlement de comptes est une rubrique qui accepte tous les profils et tous les types de revenus. Pour participer, écrivez-nous à : [email protected].

Nous vous répondrons avec la marche à suivre !

Crédit photo de Une : Jake Melara


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

19
Avatar de Aesma
13 février 2023 à 21h02
Aesma
J'ai passé 2 mois sans frigo lorsque j'étais étudiante, c'était la rentrée, il faisait beau, il faisait chaud, j'ai eu des asticots. Bref si vous voulez tenter je vous recommande les beurriers pour éviter que vos spaghettis prennent vie. D'ailleurs y a pas mal d'alternatives qui existent, dans certaines vieilles habitations il y a des placards sous les fenêtres qui permettent de garder au frais l'hiver (mais ils sont aujourd'hui souvent reboucher car ce sont des trous dans l'isolation du logement) et sinon y a des tutos pour fabriquer un frigo du désert ou pot Zeer qui requiert deux pots en céramique, de la flotte et du sable.
Je suis également impressionnée par la sobriété de son mode de vie, je la trouve également particulièrement lucide sur certains points, elle ne se considère pas pauvre car elle sait qu'elle pourra bénéficier du soutien de ses parents et que c'est un privilège et son choix de vie à la campagne a été motivé par son constat (que je rejoins) sur la difficulté d'avoir un mode de vie équivalent en ville (c'est pas dans mes jardinières que je pourrais faire pousser assez de légumes pour me nourrir plusieurs à la belle saison, les appels à la consommation sont trop proches et trop présents etc)
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