La semaine passée, la Fondation des Femmes sortait un rapport intitulé Numérique : le sexisme en liberté, piloté en partenariat avec Sciences Po Paris. En analysant les 200 vidéos les plus vues sur YouTube France en 2019 et 2020, le dossier pointe une « hausse des contenus présentant une image dégradante et humiliante des femmes » : parmi les vidéos étudiées (dont 74% sont des clips musicaux), les hommes gardent le premier rôle à plus de 60%. Et cette surreprésentation s’accompagne largement de stéréotypes de genre, comme l’explique Clara Lopez, l’une des autrices du rapport :
« Quasiment 70% des vidéos étudiées présentent au moins un stéréotype de genre, mais dans plus de 40% des cas, il y a une accumulation de ces stéréotypes et archétypes. »
Parmi ces stéréotypes, on retrouve celui du séducteur ou de l’hyper-viril côté masculin, et de la sentimentale, de la séductrice ou de l’hystérique chez les femmes.
Sylvie Pierre-Brossolette, de la Fondation des Femmes, rappelle que :
« Dans le secteur numérique, il est crucial de lutter contre les stéréotypes et séquences dégradantes pour les femmes, qui font le lit des violences, trop souvent mortelles. »
Car ces stéréotypes, en formatant les mentalités, fournissent des modèles et renforcent les rôles sociaux de genre. Le non-consentement est présenté comme de la drague, la masculinité se retrouve renforcée, et les femmes restent dans des rôles figés.
Les stéréotypes ont des conséquences sur toutes celles qui passent de l’autre côté de la caméra, et s’affichent sur Internet. Comme le déclare Clara Lopez, autrice du rapport de la Fondation des Femmes :
« Quand les femmes rentrent en jeu, ce n’est jamais anodin ».
Syndrome de l’impostrice, commentaires misogynes et absence de role models
Ce sexisme en ligne, Justine Reix, journaliste chez Vice, l’a vécu depuis le début de sa carrière. « On lançait un nouveau format, et la majorité des commentaires insultaient mon physique ; si j’avais été un homme, ça n’aurait pas été le cas », explique-t-elle. Il y a quelques mois, elle s’était fendue d’un thread sur Twitter pour expliquer son ras-le-bol.
« Ce qui m’a agacée le plus, ça a été ma réaction ! De me dire que je n’étais pas belle sur la vidéo, que j’aurais dû être plus féminine, me maquiller… », raconte-t-elle. Une violence patriarcale qui veut continuer à silencier les femmes. Pauline Stumpf, autrice du rapport de la Fondation des Femmes, détaille :
« La violence est liée à la masculinité. Dans le contenu que nous avons étudié, 18,6% des vidéos contiennent des propos violents et/ou à caractère sexuel ou sexiste. »
Insultes, propos misogynes, culture du viol : pas étonnant alors que cette violence à l’écran se retrouve dans les commentaires… et dans la vie hors ligne.
Cette violence peut être un frein pour les femmes à se lancer sur YouTube — ou d’autres réseaux qui permettent la création de contenus. D’autant qu’elles sont peu représentées dans les vidéos les plus vues : comme l’expose Lucie Chataigne, autrice du rapport, « dans les vidéos d’humour les plus regardées, il n’y a aucune femme en rôle principal ».
Au-delà du sexisme des commentaires, la sous-représentation des femmes sur YouTube emmène peu de modèles hors des corps féminins réifiés et sexualisés, comme le rappelle Amélie Coispel, présidente de l’association Les Internettes, qui vise à promouvoir et visibiliser les femmes créatrices sur YouTube. Elle ajoute :
« Il y a aussi le syndrome de l’imposteur : énormément de filles qui ne se sentent pas capables et ne savent pas comment commencer. […] Il y a de plus en plus de femmes qui parlent de science, de cinéma… et plus il y en aura, plus il y en aura d’autres : ça va essaimer au fur et à mesure. »
Selon Amélie Coispel, c’est en multipliant les role models que l’on pourra encourager les créatrices à se lancer.
L’association Les Internettes, à travers de l’accompagnement, des cycles de formation et des masterclass, tente de montrer aux jeunes créatrices que c’est possible — « voir quelqu’un comme nous faire des choses, ça permet de se projeter », explique la présidente. Cela passe notamment par le concours des Pouces d’Or, qui s’adresse aux vidéastes ayant moins de 10.000 abonnés.
Et maintenant, on fait quoi ?
Parmi les solutions exposées par le rapport de la Fondation des Femmes, des pistes juridiques peuvent permettre d’aller plus loin.
Les activistes suggèrent d’améliorer les lois pour y intégrer la notion de propos et d’images sexistes, mais aussi mettre en place une charte de bonne conduite sur ces questions, sur lesquelles s’engageraient le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et les plateformes — « il faut gonfler l’arsenal juridique », selon Camille Mogan et Caroline Leroy-Blanvillain, avocates et membres de la force juridique de la Fondation des Femmes.
De plus, elles proposent d’instaurer un contrôle sur ces questions de propos et images sexistes au sein des dispositifs de soutien à la création, et notamment dans les attributions de financements. « Il faut soutenir la création sans que cela ne se fasse au détriment des femmes », expliquent les avocates.
Enfin, l’un des points essentiels est d’intégrer les grandes plateformes du Web, en premier lieu YouTube, à ces discussions : « il ne peut y avoir d’encadrement juridique sans la participation de ces réseaux » expose Caroline Leroy-Blanvillain. Cela passe par améliorer et harmoniser la modération par exemple, pour repérer plus tôt les commentaires sexistes.
Depuis 2018, l’association Les Internettes échange avec YouTube, notamment au sujet de la démonétisation de vidéos traitant de la santé sexuelle des femmes. « Il y a un gros travail à faire là-dessus, sur la place des femmes dans la sphère publique », pose Amélie Coispel.
Tout n’est pas perdu pour autant : la présidente des Internettes voit du positif dans la nouvelle génération du YouTube game.
« Moi, j’ai l’impression que depuis 2016, ça avance. On a des Léna Situations, Bilal Hassani et compagnie qui déconstruisent les codes. »
Une nouvelle génération beaucoup plus ouverte à ces questions de sexisme, et qui affirme que certaines choses ne sont ni drôles, ni acceptables. Amélie Coispel se sent, en tout cas, pleine d’espoir pour la suite.
« Il y a plein de choses qui avancent — dans le cinéma, les séries, les spectacles… Je pense que YouTube, c’est une autre brique de ce mur de la pop culture. »
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Crédit photo : @canweallgo / Unsplash
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