Quand j’étais petite et adolescente, une de mes mamies me disait toujours « toi, de toute façon, tu es trop gentille ». C’était pas une critique acerbe, quand elle m’affirmait ça. Elle avait simplement peur qu’une fois sortie du cocon familial, je me fasse écraser par le reste du monde. Qu’on me marche sur les pieds. Qu’on profite de ma gentillesse pour mieux m’écraser.
J’ai longtemps cru qu’elle avait raison, et puis un jour j’ai compris que je ne serai jamais trop gentille. Tout simplement parce qu’on n’est jamais trop gentil. Enfin je crois. En tout cas, je vais essayer d’expliquer un peu pourquoi j’en suis convaincue.
Moi quand j’essayais de pas avoir l’air gentil.
Être gentil, c’est pas être con
Y a un proverbe que j’entends souvent, qui dit « trop bon, trop con ». Son sens, c’est que quand on est un peu trop sympa, ou altruiste, on se prend toujours une bonne grosse baffe dans la face de la personne qu’on a pourtant gratifiée de notre sympathie. Souvent, ce proverbe est dit sur un ton qui semble sous-entendre « oh bah eh, tu l’as bien mérité »…
Ça veut donc dire qu’être bon, être gentil, c’est forcément tendre le bâton pour se faire battre ? Comme si la gentillesse était une provocation pour attiser la méchanceté chez les autres, que les deux allaient de pair, qu’il y avait une dichotomie parfaite dans le monde.
Mais c’est pas être con, être gentil ! Ça n’a rien à voir avec une forme de stupidité. C’est simplement une bienveillance sincère et désintéressée. On ne donne pas de la gentillesse pour recevoir en échange un roulage de pelles ou un cadeau (ça, c’est selon moi une forme sympathique de manipulation, et ça n’a plus grand-chose à voir avec le reste).
Rien que le mot sonne stupide. « Gentil ». Janti. En le disant, on se sent un peu zozo tellement les sonorités font hippie patchouli. On l’associe à des séries françaises pleines de bons sentiments, à la famille Camden dans 7 à la maison, à un manque évident de cynisme et d’esprit critique. Je trouve ça fou, parce que la gentillesse est associée à la faiblesse (faut dire aussi que les Bisounours ont pas tellement l’air capables de pouvoir sortir indemne d’une joute verbale).
Parfois, quand j’assume de l’être et que je me dis « gentille », j’ai l’impression qu’on me regarde comme si j’avais simplement pas la force de caractère pour affronter la vie autrement. Comme si j’étais une petite chose fragile qui pleure à la moindre réflexion négative.
Mais pour moi c’est pas ça. Arrête-moi si je me trompe, mais la gentillesse n’est ni plus ni moins qu’une tendance à la prévenance, à l’altruisme, au fait de faire attention aux autres. Comme tous les traits de caractère, c’est quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas, mais c’est un tempérament qu’on n’a pas tout le temps (et heureusement). Le rejeter, par contre, rejeter en bloc le mot et refuser de l’utiliser, ou se vexer quand quelqu’un dit de nous qu’on est gentille, je trouve ça fort dommage.
Ce petit chien est gentil. Ce petit chien est-il faible pour autant ? Je ne pense pas.
Je me sentais vachement plus faible quand je me laissais aller à dire un truc très cinglant et inutile à quelqu’un qui m’agaçait qu’en ravalant mon impatience pour prendre sur moi et soit lui expliquer en quoi je n’aimais pas ce qu’il disait, soit oublier sa réflexion nulle…
La gentillesse, ça détend
En ce qui me concerne, j’ai commencé à accepter d’être gentille quand j’ai réalisé à quel point ça m’apaisait. Du coup, comme c’est plus rare, je suis d’autant plus frappée par la violence de ce que je ressens quand il m’arrive de me laisser aller à quelques moqueries sincèrement méchantes où à me laisser submerger par des émotions négatives.
Dit comme ça, on pourrait croire que je suis en train de décrire une punition céleste, mais c’est simplement que les émotions négatives ont un effet néfaste sur certaines personnes. D’ailleurs, une étude (parmi des milliers d’autres publiées chaque année, il est vrai) a étudié les conséquences de pensées négatives sur le cerveau humain.
Pour réaliser l’expérience, des scientifiques ont travaillé en deux temps avec des volontaires, comme on peut le lire sur le site de Psychologies Magazine :
« Des volontaires ont été mis en situation d’évoquer deux réactions opposées à la suite d’une agression (Granting forgiveness or harboring grudges de C.V.O. Witvliet et al., in Psychological Science – 2001).
Dans un premier temps, on leur demandait d’imaginer qu’ils se vengeaient. Pour alimenter leur ressentiment, ils devaient songer à leurs blessures, aux douleurs subies…
Dans un second temps, ils étaient invités à pardonner, à se dire que l’agresseur était un être humain comme eux, avec ses difficultés… bref, à se montrer empathiques.
Le verdict des électrocardiogrammes et des mesures physiologiques effectués dans les deux situations a été sans appel : les émotions négatives et le ressentiment étaient corrélés à une élévation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, alors qu’en état d’empathie, le stress physiologique des mêmes personnes s’abaissait illico. »
Ça veut pas dire que c’est le cas pour tout le monde, mais c’est le mien : me sentir revancharde, par exemple après une rupture, ne m’a jamais fait me sentir bien. J’en souffre presque plus que du manque de l’autre des premiers jours. J’ai le ventre qui gonfle et qui me fait mal, des palpitations, les mains plus moites que jamais… Ce n’est que quand je suis capable d’envoyer un message à l’autre, pour lui dire en substance que je ne lui en veux plus, que ces symptômes nuls passent.
Ça veut pas non plus dire qu’on doit pardonner tout de suite, sans raison, et nous écraser face à ceux qui nous ont fait du mal volontairement ou pas ! Ça prend le temps que ça prend, de pardonner, faut pas non plus brûler les étapes en se disant que plus vite on se persuade qu’on est prêts à passer l’éponge et plus vite on soulagera notre ulcère. C’est pas l’idée.
Du coup, être gentille c’est aussi devenu dans mon cas un petit plaisir égoïste. Si ça se trouve, être gentil c’est pas très gentil, en fait. Du coup.
Alors ouais, il y a quatre ou cinq ans, après des années à faire semblant d’aimer me moquer méchamment des autres, après des années à faire comme si ça me dérangeait pas de blesser les gens, après des années à ressentir des émotions négatives dès qu’autrui faisait un pet de travers, j’ai compris que j’étais devenue nocive avec moi-même avant tout. Ça veut pas dire que j’ai perdu mon sens de l’humour, du cynisme ou de l’ironie, ou que je laisse les autres m’écraser sans rien dire, que je donne de l’argent à tous les SDF que je croise ou que je suis digne d’un épisode de La Petite Maison dans la Prairie 24h/24, capable de ne faire preuve que de bons sentiments. J’en reste pas moins humaine.
Ça veut juste dire que j’accepte l’idée d’être bienveillante, et que c’est un peu ce qu’on est tous par défaut ; que j’ai arrêté de croire les gens qui prétendaient que c’était quelque chose de mal ou une faiblesse. C’est tout l’inverse ! Parce qu’au final, c’est surtout quand j’ai fait l’effort d’être « gentille » avec moi-même que j’ai appris à l’être avec le reste du monde et à savoir m’entourer de gens dépourvus de mesquinerie.
Et n’oublie jamais que c’est pas gentil d’être méchant :
C’est mieux d’être gentil.
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Les Commentaires
Paradoxalement, pas mal d'études anthropologiques affirment que nous étions beaucoup plus altruistes à l'époque préhistorique (prends ça, la guerre du feu !) et qu'on a commencé à se bouffer le nez quand on s'est sédentarisés, ce qui pose question quand au sens à donner au mot "civilisé".