Disponible sur la plateforme Arte, “Icon of french cinema” signe le retour de Judith Godrèche en France, après dix ans d’expatriation à Los Angeles. Dans un exercice de mise en abyme réussi, c’est exactement ce que raconte son autofiction, petite sœur frenchy de Fleabag de Phoebe Waller Bridge ou I May Destroy You de Michaela Coel. Judith se voyait en icône du cinéma français, mais son retour s’avère moins glamour que dans ses fantasmes. Virée d’un projet sans ménagement, elle se retrouve dans une télé-réalité, “Le doudou qui chante”, déguisée en hamster ! Elle est aussi inquiète face à sa fille adolescente, Tess, qui en pince pour un chorégraphe beaucoup plus âgé. L’angoisse de voir sa fille entrer dans cette relation illicite la plonge dans ses propres souvenirs : ses débuts, enfant, dans le cinéma français et sa relation, débutée à 14 ans, avec un réalisateur de 40 ans.
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L’émancipation par l’art
On attendait pas Judith Godrèche sur le terrain des séries, encore moins de l’autofiction. Et on avait tort. Cette dramédie inspirée dévoile l’univers singulier de l’actrice, scénariste et réalisatrice, qui parvient à réaliser un grand écart étonnant, entre des scènes de comédie délicieusement fantaisistes et des séquences de flashbacks au ton plus grave, revenant sur la jeunesse de l’actrice, interprétée par la formidable Alma Struve.
C’est un peu comme si Judith Godrèche proposait un contrepoint aux images du cinéma d’auteur des années 90 auquel son visage juvénile reste associé. Regardez ce que Benoît Jacquot ou Jacques Doillon n’ont pas filmé dans La Désenchantée (1990) et La Fille de 15 ans (1989), deux films qui ont révélé la jeune actrice, mais l’ont aussi placée dans le rôle de la “lolita”, version intello. Cette engueulade dans la rue où le réalisateur attrape la jeune fille par le bras. Ce tournage où Judith doit embrasser son réalisateur une quarantaine de fois devant la caméra. Cette séquence durant laquelle l’adolescente, ivre dans une soirée mondaine et entourée d’adultes, vomit, presque dans l’indifférence générale. Autant de moments rejoués de sa propre vie et sous son contrôle cette fois.
Dans une interview accordée à Elle, Judith Godrèche se souvient : “Quand on a 15 ans et qu’on fait une scène torse nu, qu’il y a quarante-cinq prises, qu’on doit embrasser un homme de 45 ans et que cet homme c’est votre réalisateur, c’est fou qu’il n’y ait aucun adulte sur le plateau pour dire “On va s’arrêter là”. […] Quand j’ai voulu reproduire cette scène dans ma série, il était hors de question qu’Alma embrasse vraiment l’acteur.” La cinéaste s’est assurée du consentement de son actrice et a engagé un coordinateur d’intimité.
La relation entre l’actrice et sa fille, Tess (incarnée par sa propre fille, Tess Barthélémy) se trouve aussi au cœur de la série. Dans une interview accordée à Brut avec sa fille, elle explique avoir eu un choc en la voyant un jour dans une tenue de danse : “L’enfance que raconte son corps a été un déclic. ‘Ah oui, c’est ça, une fille de 15 ans’. L’idée qu’elle puisse se retrouver dans une situation que j’ai vécu, c’était impossible pour moi.” Comme une réponse à ces artistes incapables de filmer les jeunes femmes sans les sexualiser, le corps de Tess est filmé dans toute sa beauté et sa puissance, notamment en train de danser.
Dans la série, l’alter ego fictionnel de Judith Godrèche, qui a manqué de protection de la part des adultes, veut protéger les femmes : sa fille, mais aussi son employée de maison, Kim (Gina Cailin), sous l’emprise d’un homme violent. “Je voulais écrire une comédie avec des personnages féminins pas idéalisés. Des guerrières, des ‘sœurs’ qui se soutiennent, des emmerdeuses aussi, parce que ma vie est celle d’une femme privilégiée. C’est une version fictionnalisée de mon histoire, même si tout n’est pas vrai.” explique-t-elle.
La parole est à la “Lolita”
Durant la promotion d’Icon of french cinema, Judith Godrèche a pris la parole. Et quelle parole puissante. Au-delà de ses qualités artistiques indéniables (des dialogues truculents, une mise en scène léchée), la série se fait le témoin de ce que peut vivre une jeune actrice française dans le milieu du cinéma. “Les histoires qu’on lit, les films qu’on voit, tout valorisait cette image de lolita, de baby doll”, se souvient Judith Godrèche à propos du male gaze ambiant des années 90.
Dans ses premières interviews, l’actrice évoque son vécu, sans nommer Benoît Jacquot. Mais un extrait d’une interview du cinéaste dans le documentaire de Gérard Miller, “L’interdit” (2011), visible sur les réseaux sociaux, l’a fait sortir de sa réserve. Le réalisateur explique que Judith Godrèche a “braqué son désir”, et que la différence d’âge entre eux “l’excitait beaucoup”. Avant d’avouer, avec une désinvolture glaçante : “Faire du cinéma est une sorte de couverture pour des mœurs de ce type-là.”
“On ne consent pas et on n’est pas excitée à l’idée de coucher avec un type de 40 ans, à 14 ans.”
Après s’être exprimée sur Instagram, Judith Godrèche se rend sur le plateau de Quotidien pour livrer un témoignage terrible et indispensable. “Le voir parler à ma place, de mon désir, c’est tellement violent. Je me suis mise à trembler, j’ai vomi. […] Le consentement n’existe pas à 14 ans. On ne consent pas et on n’est pas excitée à l’idée de coucher avec un type de 40 ans, à 14 ans. Il inverse les rôles, il projette sur moi son excitation.”
La réalisatrice témoigne ensuite avec précision de l’emprise qu’elle a subi pendant six ans, la comparant à celle d’un culte. “Il a pris la place du père, de la mère, de la loi, du travail. Il était mon univers entier. […] Je rêvais de faire des trucs interdits par lui : prendre la pilule, aller en boîte de nuit, des trucs de fille de mon âge. […]”. Ce n’est pas la première fois que Judith Godrèche évoque cette relation, mais les médias avaient choisi jusqu’ici de l’ignorer ou de la romantiser. Dès 1994, elle écrit un roman, “Point de côté” (1994), dans lequel l’héroïne vient de quitter un homme plus vieux. “Je te quitte pour savoir qu’elle est la vraie vie, pour essayer d’être”, écrit-elle. La jeune femme de 22 ans explique alors que son héroïne veut découvrir “ce que c’est que la liberté”.
Ce n’est pas la première fois non plus que Judith Godrèche témoigne d’un abus de pouvoir dans le milieu du cinéma. En 2017, elle est l’une des premières actrices à dénoncer une agression sexuelle perpétrée par Harvey Weinstein à son encontre. Alors que l’affaire Depardieu annonce un nouveau temps Me Too, Judith Godrèche poursuit sa guérison par l’art. Avec Icon of french cinema Judith Godrèche s’est réappropriée son histoire et a développé un regard d’autrice prometteur.
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Les Commentaires
Judith Godrèche m'a parue à la fois courageuse, très forte et très fragile, j'ai l'impression que le traumatisme est toujours là en elle, et qu'il est aggravé par le fait d'avoir une fille de 15ans. Elle le dit elle-même : elle est horrifiée à l'idée qu'une telle horreur puisse arriver à son enfant.
Elle m'a beaucoup émue.