Dans la saison 4 de True Detective, showrunnée par Issa López, Jodie Foster incarne la flic Liz Danvers, qu’elle qualifie avec humour de « Karen en Alaska ». Cette détective, toxique avec son entourage, fait face à un trauma et entretient une relation compliquée avec sa collègue Native-Américaine, Evangeline Navarro (Kali Reis), aussi torturée qu’elle.
Interviewée sur Sky News, elle explique :
« On me pose souvent cette question : ce n’est pas génial de voir des femmes aux commandes d’une telle série ? Ça ne me paraît pas si incroyable. Je suis actrice et j’ai joué des rôles de femmes fortes toute ma vie. Ce qui est remarquable et subversif, c’est que nous avons des personnages très étoffés et complexes, qui ont plein de défauts. Le monde de la complexité n’a pas toujours été ouvert aux personnages féminins. Nous étions ‘la mère de’, ‘la sœur de’, ‘la prostituée de’… Ça a demandé beaucoup de travail aux femmes pour parvenir à étoffer les personnages féminins dans cette industrie.»
Un passage à l’âge adulte sous l’oeil des caméras
Jodie Foster pourrait écrire un livre sur l’évolution des personnages féminins à Hollywood. Et pour cause : elle a démarré dans le business à l’âge de 3 ans ! Ce « bébé de la télé » investit les foyers américain dans les années 60, apparaissant dans de nombreuses séries comme Mayberry R.F.D. ou Gunsmoke. Elle grandit à Los Angeles, managée par sa maman, Evelyn « Brandy » Foster, qui choisit ses rôles, lui fait découvrir les cinéastes de la Nouvelle Vague et l’emmène aux manifestations féministes et antiracistes des années 70.
Jodie étudie au lycée français de Los Angeles, d’où son élocution parfaite dans la langue de Molière. Bientôt, ses cachets font vivre toute la famille. Cette responsabilité, couplée à une éducation intellectuelle poussée et à une connaissance précoce du système hollywoodien, font d’elle une jeune actrice très mature et en contrôle de ses émotions. Au New York Times, elle confie :
« Je ne me sentais pas à l’aise pour exprimer mes émotions. J’étais méfiante et suspicieuse. Il y avait une innocence que je ne trouvais pas en moi, à cause de la façon dont j’avais grandi. »
Durant les années 70, elle tourne dans des films Disney comme Napoleon et Samantha (1972), Freaky Friday (1976) ou La Course au trésor (1977). Considérant le métier d’actrice comme alimentaire, Jodie Foster change d’avis quand elle rencontre Martin Scorsese. Après un rôle secondaire dans Alice n’est plus ici (1974), le cinéaste la recrute dans Taxi Driver (1976) pour incarner Iris, une prostituée âgée de 12 ans que Travis (Robert De Niro) tente de sauver.
Sa performance subtile d’enfant-femme la propulse au rang de star internationale, à une époque – rétrospectivement bien problématique – où la figure de la « Lolita » est prisée des réalisateurs. À 14 ans, elle obtient sa première nomination aux Oscars. À Cannes, le film remporte la Palme d’Or. Le public et les médias français tombent sous le charme de l’actrice francophile et cérébrale. Au début des années 80, elle intègre l’université de Yale et continue de tourner l’été dans des films comme Ça plane les filles (1980), L’hôtel New Hampshire (1984) ou Mesmerized (1986).
Des personnages féminins révolutionnaires
Jodie Foster a la réputation d’être une personne privée. Elle ne prend pas plaisir à être une célébrité. Une perspective qui trouve ses racines dans un trauma. Dans les années 70, elle est harcelée par un fan obsédé par elle depuis Taxi Driver. Le 30 mars 1981, John Hinckley Jr tire sur le Président Ronald Reagan et explique avoir voulu « impressionner Jodie Foster ». Âgée de 19 ans, l’actrice se retrouve au cœur d’une tempête médiatique, son nom pour toujours associé à un drame national.
Après cet événement, elle incarne très souvent des personnages féminins qui font face à des expériences traumatiques et décident de répliquer. Dans Les Accusés (1988), elle interprète Sarah Tobias, une femme victime d’un viol collectif (inspiré de l’histoire de Cheryl Araujo), qui se bat pour faire condamner ses violeurs. Elle remporte son premier Oscar pour ce film qui parle de mépris de classe, slut-shaming et PTSD (troubles du stress post-traumatique), trente ans avant #MeToo.
Dans Le Silence des Agneaux (1991), elle se glisse dans la peau de Clarice Starling, une jeune agente du FBI. Cette héroïne moderne s’émancipe face à des collègues masculins sexistes et méprisants. Elle utilise la fascination qu’elle exerce sur Hannibal Lecter pour sauver une femme, retenue en otage par un serial killer. Elle remporte un deuxième Oscar pour son interprétation d’une Clarice très intelligente et déterminée, mais aussi vulnérable et en apprentissage de sa confiance en elle. Le genre de personnage féminin qui n’existait pas avant elle.
« Je veux des rôles avec des modèles féminins que les ados aimeraient voir. »
(“Jodie Foster, Hollywood dans la peau”, Arte).
Jodie Foster s’éloigne des rôles habituellement dévolus aux femmes – elle n’a jamais joué dans une comédie romantique – pour inventer des pendants féminins à des rôles généralement attribués aux hommes. Dans Contact (1997), elle incarne une scientifique envoyée dans l’espace, dont les croyances sont remises en cause. Des films au féminin dans l’espace, comme Interstellar (2014), Gravity (2013) ou Proxima (2019), portés respectivement par Jessica Chastain, Sandra Bullock et Eva Green, doivent quelque chose à Contact, tout comme le personnage d’analyste instable de Carrie Mathison, incarné par Claire Danes dans la série Homeland, a des airs de petite soeur chaotique de Clarice Sterling.
Jodie Foster a marché, pour que Kristen Stewart puisse courir
Dans Panic Room (2002) de David Fincher, Jodie Foster se glisse dans la peau d’une mère persécutée par des braqueurs, qui rend les coups pour protéger sa fille de 11 ans, Sarah, incarnée par Kristen Stewart. En coulisses, la star se prend d’affection pour la jeune actrice, qui lui rappelle sans doute ses propres débuts à Hollywood. « Je ne voulais pas vraiment qu’elle soit actrice, j’étais protectrice, j’avais peur que ça la ruine. J’ai l’impression que c’est ma fille, ça me fait toujours du bien de la voir », confie-t-elle à Konbini.
En 2012, quand la jeune femme est victime d’un acharnement médiatique après que des photos volées dévoilent une infidélité envers Robert Pattinson, Jodie Foster écrit une lettre ouverte pour soutenir Kristen Stewart. « Si j’étais actuellement une jeune actrice, je quitterais ce milieu avant même d’avoir commencé. Si j’avais dû grandir dans cette ère des médias, je pense que je n’aurais pas survécu émotionnellement parlant », écrit-elle. Les deux actrices ont plus d’un point commun. En 2016, Kristen Stewart réalise son coming-out. Pour Jodie Foster, être out à Hollywood a été un cheminement plus long. « Elle appartient à une époque où il était difficile d’être ouvertement lesbienne à Hollywood. C’est certainement une leçon qu’elle a dû apprendre, casting après casting. Si ces hommes pensent que vous ne coucherez pas avec eux, ils ne vous embaucheront pas. Jodie Foster est un peu coincée entre deux générations », analyse la critique B. Ruby Rich.
En 2007, lors d’un discours au Hollywood Reporter breakfast, Jodie Foster remercie sa compagne de longue date, Cydney Bernard, avec laquelle elle a eu deux fils. Elle effectue une forme de coming-out, plus médiatisé, en 2013 lors des Golden Globes. Il est teinté d’une certaine amertume. Elle explique que les personnes qui comptent dans sa vie savent depuis longtemps qu’elle est lesbienne et insiste sur son droit à la vie privée.
« Si vous aviez été une figure publique depuis toute petite, si vous aviez dû vous battre pour mener une vie sincère et normale envers et contre tout, vous protégeriez aussi votre vie privée, avant toute chose. »
Si les militants LGBTQ+ reprochent à l’actrice de ne pas être « loud and proud », cette représentation mainstream reste importante. La preuve ? Une de ses interviews refait surface en 2016 et devient un mème qui figure le « silence gay ». On la voit, enfant, tenter de répondre à une question hétéronormée et super gênante d’une journaliste.
En 2016 toujours, Jodie Foster inaugure son étoile sur Hollywood Boulevard en tant qu’actrice, mais aussi réalisatrice. Un autre plafond de verre à Hollywood que la star a brisé dès 1991, en réalisant Le petit homme, puis Week-end en famille (1995), Le Complexe du Castor (2011) et Money Monster (2016). Elle a aussi réalisé des épisodes de House of Cards et Orange is the new Black et fondé Egg Production dès 1992. Sur Hollywood Boulevard, Kristen Stewart est là pour célébrer sa « première amie adulte ». « Elle a toujours représenté un exemple pour moi. Et elle a toujours été là pour moi », affirme l’actrice dans un discours émouvant.
Hollywood et Jodie Foster, après Me Too
Le « cultural reset » vécu après #MeToo a mis Jodie Foster dans des positions compliquées : amie avec Mel Gibson depuis 1994, elle l’a longtemps défendu, avant de reconnaître qu’il était « problématique » et qu’elle ne cautionnait pas ses agissements répréhensibles. Comme Kate Winslet, elle a tourné avec Roman Polanski dans Carnage (2011) et le regrette. Elle comprend les critiques autour du Silence des agneaux, dont le tueur, Buffalo Bill, est codifié transgenre. À l’époque, l’association Queer Nation avait manifesté. « Ces protestations ont été utiles car elles ont conduit à des débats inédits. Regardez à quel point nous avons grandi en termes de visibilité et de compréhension trans. […] Ces conversations sont importantes et je les accueille. Je grandis grâce à elles »; confie-t-elle.
Jodie Foster souhaite guider les nouvelles générations d’actrices, notamment queer, dans la jungle hollywoodienne, comme le prouve son amitié intergénérationnelle avec Kristen Stewart, mais aussi avec la jeune star non-binaire Bella Ramsey, qu’elle a invité fin 2023 à une soirée hollywoodienne où elle était invitée d’honneur. Elle admire son talent et sa liberté de se présenter au monde habillé comme iel l’entend.
« Nous n’avions pas cette liberté. Et j’espère que c’est ce qu’offre le vecteur d’authenticité qui se produit : la possibilité d’une vraie liberté. Nous avions d’autres bonnes choses. Et je dirais que j’ai fait de mon mieux pour ma génération. J’étais très occupée à comprendre où était ma place, et où je voulais me positionner en termes de féminisme. Mais mon champ de vision n’était pas assez large. Je vivais dans un monde incroyablement ségrégué », explique-t-elle.
Cette liberté, Jodie Foster peut y goûter aussi aujourd’hui. Dans Insubmersible, réalisé par Elizabeth Chai Vasarhelyi et Jimmy Chin, elle incarne pour la première fois de sa carrière un personnage ouvertement lesbien, celui de Bonnie Stoll, la BFF et coach de la nageuse Diana Nyad. Au-delà de l’exploit sportif, ce film célèbre les femmes de plus 60 ans et une amitié lesbienne dans toute sa beauté et sa complexité. On a rarement vu une Jodie Foster aussi musclée (on peut établir un nouveau parallèle avec Kristen Stewart, qui performe aussi un corps queer musclé dans le très attendu Love Lies Bleeding) et détendue que dans Insubmersible. Comme si, enfin, elle pouvait respirer.
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