Révélée à 38 ans dans le rôle de Jeanine Stifler, le fantasme de la MILF (« Mother I’d Like to Fuck » : littéralement « mère que j’aimerais baiser ») par excellence, Jennifer Coolidge sait ce qu’elle doit à American Pie et ses suites. « Je m’en suis délectée jusqu’à la dernière goutte », plaisante-t-elle en janvier dernier, alors qu’elle reçoit le premier Golden Globe de sa carrière, devant ses pairs hilares.
« Il n’y a pas de petits rôles… » dit l’adage, seulement une grande actrice. Jennifer Coolidge n’a eu besoin que d’une scène, dans cette comédie potache sortie en 1999, pour rendre iconique ce personnage de maman sexy. Elle double la mise en 2001 dans La revanche d’une blonde et sa suite en 2003, où elle incarne l’inénarrable Paulette, une esthéticienne peu sûre d’elle qui s’épanouit aux côtés de Elle (vive la sororité !) et finit par confronter son ex toxique. Elle apprend au passage la fameuse technique du « Bend and Snap » et l’utilise de façon très personnelle avec son crush (elle lui casse le nez par accident !). Jennifer Coolidge excelle dans la parodie de la « Barbie cassée », trop vieille pour porter des jupes roses et des barrettes pastel, trop gaffeuse pour jouer les femmes fatales.
Catégorisée dans le stéréotype de la bimbo, à la fois objet de désir et de mépris du male gaze, l’actrice parfait ce personnage, le rendant si camp (cette bouche en coeur, ses yeux mi-clos, ce sourire grimaçant, ses looks hyper-féminins) qu’il en devient subversif. Elle enchaîne ensuite les seconds rôles pimentés dans des comédies : Comme Cendrillon (2004), Date Movie (2006) ou American Dreamz (2006).
Sauvée par les gays
Sur la scène des Golden Globes, l’actrice, âgée de 61 ans, livre un discours tour à tour drôle et touchant. « J’avais tant de si grands rêves quand j’étais jeune, mais, vous savez, ce qui arrive, ils sont éclipsés par la vie… Je pensais devenir la reine de Monaco ! Et puis vous vieillissez et vous vous dites, ça n’arrivera plus. » Derrière ses blagues, elle exprime ses désillusions avec une sincérité désarmante. Elle célèbre aussi des rencontres qui ont sauvé sa carrière, remerciant chaleureusement Michael Patrick King, Ryan Murphy ou Mike White, trois producteurs gays qui l’ont engagée sur diverses productions (Sex and the city, Nip/Tuck, Glee…). « Vous m’avez permis de continuer à travailler, ces petits rôles m’ont porté pendant vingt ans. »
Le monde des séries aime Jennifer Coolidge, qui s’est illustrée de façon récurrente dans The Secret Life of the American Teenager et 2 Broke Girls. Ryan Murphy, qui a de nouveau tourné avec elle en 2022 pour The Watcher, ne tarit pas d’éloges sur ses compétences. « Il y avait des moments où Jennifer improvisait pendant sept minutes et recevait des ovations de l’équipe. […] Jennifer est l’une des plus grandes comédiennes de tous les temps. »
L’autre bonne fée gay de Jennifer Coolidge se nomme Mike White. Après avoir fait appel à elle en 2009 sur Gentleman Broncos, il lui propose une décennie plus tard le rôle de Tanya, riche héritière chaotique, qui passe ses vacances dans une chaîne d’hôtels de luxe. Ce personnage hot mess, d’une naïveté confondante, mais aussi très conscient de ses failles (« J’ai besoin qu’on s’occupe de moi. Et je manque profondément d’assurance », lance-t-elle au premier venu dans l’hôtel), est son chef-d’œuvre. Il synthétise la carrière d’une actrice sous-estimée, qu’on n’attendait pas à ce niveau de profondeur. Dès la première saison de la série HBO, elle nous offre des moments savoureux, comme la plus gênante scène de dispersion de cendres de l’histoire des séries.
Aveuglée par ses privilèges, mais aussi en manque constant d’amour, elle est le supplément d’âme (et de rires) de White Lotus. Adoubée par un groupe de gays siciliens qui la vénèrent, mais fomentent aussi son meurtre, Tanya se retrouve piégée sur un bateau de luxe et tente de s’échapper. « Ces gays, ils essaient de me tuer ! » lance-t-elle, effrayée. Une réplique déjà culte et méta s’il en est, Jennifer Coolidge ayant un fan club gay conséquent, qui a tendance à l’enfermer dans son rôle d’éternelle blonde anxieuse.
White Lotus a donné à Jennifer Coolidge l’occasion d’exprimer toute sa vulnérabilité et son talent comique incomparable. Sur la scène des Golden Globes, elle remercie son showrunner, dans un style qui n’appartient qu’à elle : « Mike, tu m’as offert un nouveau départ, même si au final c’est pour me tuer ! Tu as changé ma vie de millions de façons différentes. Mes voisins me parlent maintenant ! Je n’étais invitée à aucune soirée sur ma colline, et maintenant, tout le monde m’invite. » Touchée par cette nouvelle reconnaissance, l’actrice en profite pour faire rire l’assemblée, et dire, l’air de rien, ses quatre vérités à une industrie qui fonctionne à la hype. Comme Michelle Yeoh et Angela Bassett, également récompensées ce soir-là, elle a intégré le club très select des actrices de plus de 60 ans célébrées dans l’industrie. Et elle a vengé toutes les blondes sous-estimées de la planète.
Crédit photo de Une : HBO.
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