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Camélia Jordana // Source : Disney+
Culture

Ode à Camélia Jordana, une artiste populaire et engagée  

A l’affiche de la comédie romantique Irrésistible, Camélia Jordana illumine cet automne 2023. L’occasion de revenir sur la trajectoire singulière d’une artiste populaire et exigeante, qui a grandi sous nos yeux et accompagné les soubresauts de la société française.   

“Quelle présence, quelle fille formidable, quel timbre de voix génial !” s’exclame Lio. On est en 2009 et Camélia Jordana entonne What a Wonderful World de Louis Armstrong. Originaire de Toulon, l’adolescente de 16 ans débarque à Paris pour participer à la saison 7 de Nouvelle Star. Prime après prime, elle impose sa sublime voix jazzy et son style “intello à lunettes”. Son parcours s’achève en demi-finale, mais c’est bien elle qui a tout gagné. 

À lire aussi : Camélia Jordana : « Cela m’a pris énormément de temps avant de connaître mes limites »

Le public l’adore, les critiques aussi. Son premier album, “Camélia Jordana” (2010), qui contient le hit Non, non, non (Écouter Barbara) est disque de platine. La star montante fédère : elle fait autant la couverture de Télé 7 Jours que de Libé. Alors qu’elle prépare son deuxième album (“Dans la peau”), elle se lance en parallèle dans une carrière d’actrice. Elle incarne des seconds rôles dans plusieurs films, dont La stratégie de la poussette (2012), Je suis à vous tout de suite (2015) et donne la réplique à Tahar Rahim dans la série Panthers (2015). 

À lire aussi : Clémence Madeleine-Perdrillat (Irrésistible sur Disney+) : « la comédie romantique peut être un endroit très moderne »

Modèle d’intégration “à la française”

2015 est une année douloureuse pour la France. Le pays est le théâtre de plusieurs attaques terroristes islamistes, dont celle du 13 novembre au Bataclan. Avec Yaël Naïm et Nolwenn Leroy, Camélia Jordana chante “Quand on a que l’amour” lors de la cérémonie d’hommage aux victimes. 

La chanteuse française, d’origine algérienne, devient un symbole républicain. En décembre, elle fait la Une du magazine L’Obs vêtue en Marianne et le sein dévoilé. Camélia Jordana représente l’excellence de l’intégration à la française, et bien malgré elle, le modèle de la “bonne femme arabe”, cultivée et qui ne porte pas le voile. Elle a 23 ans et déjà beaucoup de responsabilités sur les épaules. 

Née en 1992 à Toulon dans une famille qui a tout donné pour son éducation, Camélia Jordana est une enfant d’immigrés, de la deuxième génération. Ses grands-parents, arrivés dans les années 50 en France, après l’indépendance de l’Algérie, ont vécu dans une grande pauvreté.

« J’ai grandi dans le Var dans les années 90, dans un environnement, en dehors de la maison, assez raciste. Quand j’étais petite, j’avais hyper honte de mon identité arabe, liée à l’islam. (…) C’est une chose que je cachais, j’avais tout le temps les cheveux lisses. Il fallait que j’aie mon fer à lisser, que je me peigne les cheveux et qu’il n’y ai rien qui dépasse. »

Déconstruction en cours

Les années suivantes la voient tenir le haut de l’affiche au cinéma, dans Cherchez la femme (2017) et surtout Le Brio (2017). Dans ce film d’Yvan Attal qui parle de racisme et d’intégration, elle impressionne face à Daniel Auteuil et remporte le César du meilleur espoir féminin. Tout en continuant sa carrière ciné, Camélia Jordana sort “Lost”, son troisième album, en 2018, dans lequel elle chante en français, anglais et arabe. Le titre “Freddy Gray” rend hommage à cet homme noir, mort en 2015 à la suite de brutalités policières à Baltimore. 

Cet album engagé, dans lequel elle s’affiche cheveux bouclés, témoigne de l’influence que les mouvements Me Too et Black Lives Matters ont eu sur son art. Dans le titre “Dhaouw”, la compositrice évoque aussi le massacre du 17 octobre 1961, durant lequel la police française a tué au moins 100 manifestants algériens pacifiques, venus à l’appel du FLN. Un rappel de ses racines et du passé résistant de son grand-père. Pendant la promotion de “Lost”, Camélia Jordana qualifie la France de “pays de vieux blancs riches” et essuie sa première polémique médiatisée. 

Elle poursuit son éveil féministe et décolonial, cite des figures comme Lauren Bastide, Virginie Despentes, Victoire Tuaillon… En mai 2020, elle répond dans l’émission télé “On n’est pas couchés” à une question sur les violences policières :

« Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie. Quand j’ai les cheveux frisés, je ne me sens pas en sécurité face à un flic en France. Vraiment. » 

Le backlash ne se fait pas attendre. La classe politique française prend position pour ou contre et Camélia Jordana subit une vague de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux. Elle explique :

« Je ne vais pas dire que ce n’était pas dur, que je n’ai pas pleuré… Mais ce qui était le plus dur pour moi, ce n’était pas la violence de ces propos-là. Depuis que j’ai 16 ans, les gens parlent de la taille de mon corps, de mes fesses, de mon nez, de mes lunettes, mes fringues, mes cheveux… Ce à quoi n’importe quelle femme médiatisée a droit. […] Ce qui était très douloureux pour moi, c’est que ça m’a empêché de travailler. »

Ironie du sort : alors qu’elle cartonne avec le single “Facile”, certifié platine, la chanteuse doit se mettre en retrait.

Faire entendre sa voix 

Cette épreuve ne fait que renforcer les convictions de Camélia Jordana, qui participe le 2 juin 2020 à un rassemblement devant le tribunal de Paris contre les violences policières, emmené par Assa Traoré et le comité La Vérité pour Adama. Elle sort en 2021 l’album “Sorøre”, une collaboration avec Amel Bent et Vitaa, où les trois chanteuses reprennent leur titre les plus importants, mais aussi le culte “Marine “ de Diam’s, qui dénonçait en 2004 la banalisation de l’extrême-droite.

Camelia Jordana, Vitaa, Amel Bent // Source : couverture de l'album Sorore
Camelia Jordana, Vitaa, Amel Bent // Source : couverture de l’album Sorore

Camélia Jordana paie régulièrement le prix de ses engagements. Être une femme, d’origine algérienne, qui s’exprime sur le féminisme et le racisme, suffit à faire d’elle une cible de choix pour les éditorialistes et médias conservateurs. En 2021, dans un entretien accordé à L’Obs, elle analyse une chanson de son album, “Facile x Fragile” (2021) :

« Si j’étais un homme, je demanderai pardon. […] Les hommes blancs sont, dans l’inconscient collectif, responsables de tous les maux de la Terre.»

Sortis de leur contexte, ses propos déclenchent une nouvelle tempête médiatique. Comment Camélia Jordana, l’enfant chérie de la république, peut-elle donner dans la “haine anti-hommes” ? 

Si ses détracteurs prenaient la peine d’écouter ses chansons ou de lire ses interviews en entier, ils réaliseraient que Camélia Jordana dénonce un système, pas des individualités. « Je continue de penser qu’il est nécessaire d’intégrer les hommes à notre combat. […] Et je continue de croire qu’il y a des hommes qui sont des trésors et qui sont nos alliés », affirme-t-elle par exemple.

Dans la série Irrésistible, sortie le 20 septembre sur Disney +, elle incarne d’ailleurs une héroïne romantique des temps modernes. Et déploie ses armes de toujours : son talent, son charme et sa sincérité.  


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