De novembre à mars, le Mucem accueille Les Procès du Siècle ! Au programme : un cycle de passionnants débats autour des évolutions de la société, des luttes et des minorités, notamment de genres. Des thématiques au cœur de la ligne éditoriale de Madmoizelle, qui est partenaire de l’événement.
Ces débats s’appuient à chaque fois sur des « pièces à convictions », des objets tirés des collections du Mucem. La rédaction de Madmoizelle s’est associée aux conservatrices du musée pour vous décrypter six de ces pièces à conviction : des objets qui, comme dans un véritable procès, sont bien plus bavards qu’il n’y paraît… Aujourd’hui, penchons-nous sur un mystérieux petit flacon !
La pièce à conviction du jour : des noyaux de cerise
À première vue, l’objet n’est pas très impressionnant. Il s’agit d’un minuscule flacon en verre qui contient… des noyaux de cerise. Des noyaux qui ont une fonction bien précise : trouver l’amour, le grand amour, celui qui dure toujours. Mais comment les faire fonctionner ?
Si vous êtes une jeune bretonne à marier du 19e siècle, voici le mode d’emploi :
- Regroupez des jeunes prétendants autour de vous et positionnez-vous face à eux
- Placez dans votre main fermée des noyaux de cerise
- N’oubliez pas la formule magique ! Chantonnez « Pépins par-ci, pépins par-là, où le pépin ira, la bonne amie sera »
- Faites jaillir les noyaux, et observez devant quelle paire de pieds ils tombent
- Les noyaux ont choisi un prétendant ? C’est donc forcément vers lui que penche votre cœur : espérons qu’ils ne se sont pas trompé, car vous avez face à vous votre potentiel futur mari !
« Pépins par-ci, pépins par-là… »
Voilà un bel exemple de divination amoureuse : difficile de choisir entre Pierre et Jean ? Le noyau le fera pour vous ! Cette tradition bretonne du 19e siècle peut aujourd’hui nous laisser incrédule quant à sa fiabilité. Comment ?! Des jeunes personnes ont aveuglément confié leur vie amoureuse à quelque chose d’aussi hasardeux qu’un noyau de cerise ?
Mais finalement, est-ce que cette technique ne serait pas la version 19e (et écolo) de l’algorithme des applis de rencontres ? Des applis au fonctionnement tout aussi mystérieux et incertain qu’une poignée de noyaux lancés en l’air…
Quand Cupidon est un algo
Au premier rang des applis, il y a bien sûr Tinder : depuis dix ans, l’appli a contribué à révolutionner la manière de faire des rencontres amoureuses. Vous avez sûrement autour de vous au moins un couple qui s’est rencontré de cette manière ! Mais si l’usage s’est largement démocratisé, le fonctionnement de ces applications n’est pas toujours d’une grande limpidité.
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En effet, dans le cas de Tinder, l’algorithme attribue à ses utilisateurs (à leur insu) une sorte de score, pour ensuite proposer des partenaires potentiels ayant un score similaire. C’est là que les choses se corsent… Car ce score note votre « désirabilité ». Plus vous êtes considéré comme désirable par l’appli, plus cette dernière va pousser votre profil à d’autres utilisateurs. Mais comment est déterminé ce score ?
Des critères franchement sexistes
Il faut d’abord donner à l’appli ce qu’elle veut pour qu’elle vous récompense. En résumé : ce qui va faire sa rentabilité, à savoir votre temps d’attention et vos données. Par exemple, Tinder vous favorise si vous synchronisez votre compte Instagram : cela lui permet de siphonner vos données personnelles et de les revendre à des annonceurs…
Et ce n’est pas terminé : les critères de « désirabilité » sont parfois franchement douteux, voir sexistes. C’est ce qu’explique la journaliste Judith Duportail, qui a décrypté le fonctionnement de Tinder dans son ouvrage « L’Amour sous algorithme » (2020) :
L’algorithme est biaisé. Il mettrait de préférence en relation les hommes avec des femmes plus jeunes, moins diplômées et moins fortunées. Tinder contribuerait à reproduire une logique patriarcale.
Judith Duportail, « L’Amour sous algorithme », 2020
Et l’amour dans tout ça ?
Au-delà de Tinder, la généralisation des applis de rencontre a certainement modifié nos rapports amoureux. Dans la séduction tout d’abord, puisqu’il faut se conformer au fonctionnement d’un algorithme pour trouver des partenaires : quelles photos mettre ? Comment se présenter d’une manière jugée efficace par l’interface ? Quelles infos donner… ou ne surtout pas faire figurer ? Que la lectrice qui ne s’est pas pris la tête sur sa bio me jette le premier noyau.
Et même si ces applis permettent (parfois) de trouver l’amour, elles nous enferment aussi dans des comportements consuméristes, où chaque partenaire potentiel est objectifié, où il est si facile de ghoster, de zapper, d’oublier qu’il y a un véritable être humain de l’autre côté de l’écran…
Comment le Covid a modifié nos relations
Faut-il revenir à la bonne vieille technique de noyaux de cerises ? Sans doute pas ! Mais ce petit flacon est la pièce à conviction parfaite pour instruire le Procès du Siècle sur le sujet : « Tinder et Cie : l’amour sous applications. À la rencontre de l’entre-soi ? » En quoi ces applis ont-elles modifié nos pratiques amoureuses ? Est-ce qu’elles ne contribueraient pas à favoriser un certain entre-soi ? Est-ce que l’amour d’aujourd’hui est différent d’il y a vingt ans ?
Ces questions ont été au cœur du débat animé le 27 février dernier par la spécialiste du sujet, Judith Duportail, avec la sociologue Cécile Méadel, la journaliste et réalisatrice France Ortelli, et la participation de Marie-Charlotte Calafat, conservatrice au Mucem. La captation de cette soirée est à retrouver très prochainement sur le site du musée !
Et rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir notre prochaine pièce à conviction…
Pour découvrir le reste du programme des Procès du Siècle
Crédits : photo de Cottonbro Studio provenant de Pexels
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