Tu connais sans doute Beckett pour son théâtre, plus « populaire » que ses autres textes. Son écriture est souvent perçue comme hermétique, voire incompréhensible. Beckett, dans ses textes « romanesques », insuffle plus d’intimité et de confessions que dans son théâtre, et instaure une ère narrative assez particulière. Je vous propose donc Nouvelles et textes pour rien, un recueil de nouvelles et de textes (sans déc ?) explorant chacun une « facette » d’une humanité.
La figure du vagabond
Presque tous les personnages des Nouvelles sont des vagabonds : l’un est chassé de chez lui et erre, l’autre a rejeté toute notion de société et vit dans la nature, et le dernier semble attendre indéfiniment. Ces 3 hommes sont donc perçus comme des reclus, des marginaux. Ces vagabonds forment, en réalité, une épopée de la vie humaine. Chaque homme va symboliser un aspect de la vie humaine : ainsi, le premier vagabond (« l’expulsé ») est mis à la porte de son appartement, et laisse cet habitant derrière lui sans se retourner. On peut comprendre là le passage de l’enfance à l’âge adulte, le fait de quitter le nid familial. « La fin », elle, est symbolisée par un homme qui va progressivement se laisser mourir, ne se rendant plus si humain. En ce sens, la fin peut symboliser le désir de quitter la société, mais aussi tout simplement le désir de quitter la vie. Les « textes », eux, ne sont que des successions de paragraphes sans forcément de rapport, émis par une voix inconnue. Ceux-ci traversent également la vie humaine, avec des réminiscences de l’enfance par exemple. L’alliance des souvenirs confus avec certains mythes (celui de Narcisse est explicité dans l’un des textes) fait correspondre la vie humaine avec une sorte d’universalité. Celui qui erre, c’est simplement n’importe qui, c’est nous-même.
L’importance des objets
Les objets sont, dans ces Nouvelles et textes pour rien
, tout aussi importants que les personnages. En effet, les personnages ne sont jamais décrits physiquement : on ne sait ni leur taille, ni la couleur de leurs yeux ou autre. Les objets participent à l’image que nous pouvons nous faire du narrateur : le corps ne se définit qu’à travers certains vêtements (le manteau ou le chapeau sont, dans ces « histoires », capitaux). Le chapeau d’un des personnages, par exemple, sert à expliciter une sorte de kyste sur le crâne. Les haillons d’un des vagabonds permet de nous « montrer » un état physique délabré, malade. Dans la nouvelle « Le calmant », le banc permet à l’histoire de se dérouler : il sert de lien entre les personnages, mais aussi de fil conducteur temporel. Cette temporalité est désignée uniquement par les objets : les personnages n’ont pas d’âge, pas de localisation, il n’y a que les objets qui semblent s’user, se perdre, bouger… Cela permet à Beckett d’appréhender une forme originale et novatrice de cadre spatio-temporel pour un texte.
L’importance du bas corporel
Beckett utilise certaines figures du bas corporel dans beaucoup de ses récits. Non, cela n’est pas une confessions de penchants scatophiles et d’amour pour la saleté. Le bas corporel, c’est le grotesque relié au corps humain. Les personnages peuvent présenter des difformités physiques (le kyste que j’ai déjà évoqué), l’humain n’est donc plus désigné par son corps, mais par les excès de son corps, ses « bizarreries ». Les excréments sont aussi très importants : chaque personne est plus ou moins confronté à des excréments (souvent le siens). Ce qui peut paraître étonnant, c’est qu’aucun n’en ressent du dégoût. Bien au contraire, les personnages évoluent dans leurs excréments, se laisser aller à se faire dessus, et aimer cette sensation. Cette omniprésence des excréments peut symboliser tout simplement la vie, et surtout son caractère éphémère. N’oublions pas, par exemple, que la mort s’inscrit aussi dans un ultime « relâchement » du corps. Les personnages ne sont pas effrayés par la mort tout comme nous, humains, ne devrions pas l’être et l’accepter comme élément essentiel de toute vie. Le bas corporel, c’est aussi l’absurdité du corps, sa maîtrise comme sa non-maîtrise.
Ainsi, les Nouvelles et textes pour rien s’inscrivent dans la continuité des œuvres de Beckett. D’ailleurs, ces textes ont été rassemblés sans pour autant avoir été écrits à la même période ou dans une quelconque suite logique. Ces nouvelles seront plus facile à comprendre que les romans purs de Beckett, en raison notamment de leur caractère rapide et du format court.
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