C’est la rentrée littéraire et les libraires spécialisés en bandes dessinées n’échappent pas au mouvement. Au moment où vous lirez ces lignes, je serai en train d’affronter la déferlante de nouveautés, en me prenant pour Godzilla au milieu d’une ville faite de piles de cartons, ou bien je serai frappé de désespoir, allongé en position fœtale au fin fond de ma réserve. Mais pour le moment, je rattrape mon retard sur mes lectures et surtout je donne de l’espace aux coups de cœurs que je conseille aux client•e•s en quête de lecture rafraîchissante !
Je vous ai concocté une petite sélection de titres que je prends un plaisir infini à conseiller à mes lecteurs et lectrices. Bonne lecture et bon automne !
Petit, de Bertrand Gatignol & Hubert
Au commencement il y a le Fondateur. Personne ne connaît ni son nom, ni d’où il vient. Si sa corpulence était déjà exceptionnelle, c’est surtout sa férocité et sa cruauté qui lui ont permis de s’imposer. Il eut cent femmes et la taille exceptionnelle des nouveaux-nés qu’il engendrait transformait les grossesses en supplices, provoquait la mort des mères durant l’accouchement. À un moment, l’union entre les descendants du Fondateur et les humains n’était plus possible et les géants commencèrent à se marier entre eux.
Et comme si traiter les humains en esclaves n’était pas suffisant, ils commencèrent à les dévorer, pour marquer définitivement la rupture entre les deux espèces. Chaque nouvelle génération était plus grande que la précédente et le château devint un chantier permanent pour l’adapter à la taille des géant•e•s ! Jusqu’au jour où le phénomène s’inversa : la taille des rejetons de cette dynastie monstrueuse diminuait de génération en génération…
Lorsque la reine accouche au milieu du banquet, elle ignore qu’elle est enceinte et le bébé présente la corpulence d’un nouveau-né humain. Elle fait min d’avaler l’enfant pour éviter qu’il ne finisse dévoré et le confie à Desdée, une vieille géante pleine de compassion pour l’humanité et qui vit à l’écart de ses semblables, dans ce château gigantesque aussi grand qu’une ville. Cette dernière prend en charge l’éducation de l’enfant loin du tumulte de la vie des ogres. Mais les choses se compliquent lorsque Petit se met en tête de découvrir le monde…
Petit (dont les dessins sont de Bertrand Gatignol, et le scénario d’Hubert) est un album surprenant aux graphismes somptueux qui alterne planches de bandes dessinées et courts textes qui expliquent les différents maillons de cette dynastie. À l’image du personnage principal, à cheval entre deux espèces, le lecteur évolue dans un château immense et inquiétant, animé par un dessin qui regorge de trouvailles graphiques audacieuses qui jouent sur les confrontations d’échelles.
Ce conte poétique et cruel questionne sur la liberté de nos actes au sein de notre histoire familiale !
À lire aussi : Double chronique BD de Pénélope Bagieu « live from New York » (màj)
Sunny, de Taiyou Matsumoto
En marge de la très codifiée production japonaise mainstream évoluent des auteurs surprenants. Matsumoto Taiyō (aucun lien avec le papa d’Albator) est de ceux qui font immédiatement mouche dans mon petit cœur ! Très influencé par la bande dessinée européenne qu’il a découvert dans les années 80, Matsumoto a développé des codes graphiques et narratifs qui en font un auteur inclassable.
Avec Sunny, Matsumoto nous plonge à travers des histoires courtes, dans le quotidien d’un orphelinat rural japonais durant les années 80. S’il avait déjà abordé la thématique de l’enfance avec Amer Béton, l’incroyable Go-go Monster et Ping-Pong, il offre ici à travers des récits intimistes une galerie de personnages fascinants à qui il donne vie avec sensibilité.
Entre Haruo, le rebelle à la chevelure blanche qui se rêve en gangster agonisant dans le désert pour mieux oublier l’absence de sa mère, Junsuke qui a toujours la morve au nez, Sei, le nouveau aux grosses lunettes, élève studieux persuadé que sa mère viendra le chercher à la fin de l’été ou encore la sensible Megumu et bien d’autres que vous découvrirez au fil des chapitres, Matsumoto dresse avec subtilité et poésie un instantané de la vie de ces jeunes innocent•e•s et désabusé•e•s.Et puis il y a surtout Sunny, la vieille Nissan jaune abandonnée au fond du jardin, dans laquelle les gamins viennent se réfugier pour échapper à leur quotidien, laissant libre cours à leurs rêves : c’est la porte que Matsumoto utilise pour nous propulser dans l’imaginaire de ces gosses.
Le dessin en apparence naïf et dépouillé de Matsumoto est terriblement expressif et les quelques planches mises en couleurs à l’aquarelle sont de véritables bijoux qui apportent une charge émotionnelle supplémentaire au récit.
Le Grand Méchant Renard, de Benjamin Renner
Si dans la culture populaire le renard renvoie à l’image d’un animal sauvage, malin et grand prédateur du poulailler, le personnage principal de cette histoire, trop maigre et chétif, est ici bien loin d’occuper la place la plus haute de la chaîne alimentaire !
Lorsqu’il se rend à la ferme, le chien de garde, absolument pas alarmé par sa présence, lui fait juste remarquer qu’il va encore devoir passer le balai à cause du tunnel que le renard a creusé sous la palissade. Même les poules, ses proies de prédilection, semblent indifférentes à sa présence.
Et pour couronner le tout, un cochon jardinier lui propose gentiment de prendre un panier rempli de légumes du potager avant de repartir dans son terrier. Un comble pour celui dont la simple évocation devrait faire frémir la population de la ferme ! Plus que jamais déterminé à endosser le rôle de prédateur ultime que la nature lui destinait et surtout à trouver de quoi calmer sa faim, le renard va se laisser embarquer dans une stratégie élaborée par le Loup, qui consiste à s’introduire dans la ferme, voler des œufs, couver les œufs, attendre que les poussins viennent au monde, les engraisser et les dévorer.
Mais cette stratégie implacable va prendre une tout autre tournure quand les poussins fraîchement éclos vont immédiatement identifier comme leur mère cet étrange animal à la fourrure rousse…
Benjamin Renner, co-réalisateur du film d’animation Ernest et Célestine, nous livre ici un conte drôle et décapant servi par un dessin expressif très efficace où chaque planche amène son lots de gags et de situations désopilantes.
À lire aussi : PODCAST — Chronique Livre #14 : « Ouvert la nuit » (Abel, Soria, Pleece)
Le Sculpteur, de Scott McCloud
Scott McCloud est un nom bien connu des spécialistes du neuvième art. Et pour cause : il est l’auteur d’une série d’ouvrages dont le célèbre L’Art invisible, essai sur l’esthétique de la bande dessinée justement présenté sous la forme d’une BD !
Alors quand l’annonce d’un album signé par McCloud est sortie, je vous avoue que j’ai ressenti un mélange d’excitation et de méfiance. Cet auteur est un théoricien brillant qui a su explorer et vulgariser l’essence même de ce qu’est la bande dessinée ; j’étais curieux de voir de quelle manière il allait mettre en application les théories développées dans ses essais. Le résultat se présente sous la forme d’un roman graphique de près de 500 pages qui a demandé six années de travail.
David Smith est un artiste new-yorkais paumé, qui a connu une très brève reconnaissance avant de tomber dans l’oubli. Il rencontre par hasard un vieil oncle dans une cafétéria, mais attendez… Cet oncle est mort il y a longtemps ! C’est à la Mort que David a affaire, la Mort qui lui propose justement un pacte. Un génie créatif inhumain, celui de sculpter à main nue sans aucune contrainte n’importe quel matériau, et deux cent jours pour en profiter, pour sculpter l’œuvre qui marquera à tout jamais le monde du génie de David.
Deux cent jours au terme desquels elle viendra chercher la vie de l’artiste, car vous imaginez bien que la Mort ne donne jamais rien sans rien attendre en retour.
L’impasse créative comme sentimentale dans laquelle David se trouve ne le fait pas hésiter. Mais deux cent jours, quand vous rencontrez une fille formidable dont vous tombez immédiatement amoureux dès le début du compte à rebours… c’est court, non ?
Pari tenu pour McCloud qui livre donc un album passionnant aux multiples facettes, de l’essai sur l’art au conte philosophique en passant par la comédie romantique, et qui prouve ainsi qu’il est un conteur d’histoires hors-pair.
Max Winson, de Jérémie Moreau
J’ai envie de vous parler d’un garçon que j’ai rencontré il y a quelques années à la librairie. Un mec adorable, hyper humble, qui s’est timidement présenté en me disant qu’il allait sortir son premier album et qui voulait savoir si l’idée d’organiser une signature dans la librairie me branchait. Ce garçon s’appelle Jérémie Moreau et au risque de me répéter, il est adorable. Il est surtout hyper talentueux et je ne peux que vous encourager à vous plonger dans la lecture de son premier album, Le Singe de Hartlepool (sur un scénario de Wilfried Lupano, aux éditions Delcourt).
Toutefois, ce n’est pas du Singe dont je veux vous parler ici, mais de Max Winson, la série écrite et dessinée par Moreau.
Max Winson est un joueur de tennis. J’ai envie de vous dire qu’il est un peu la fusion entre Nadal, Federer, Agassi et Son Goku (j’ai les références que je peux, hein !). À 23 ans, il est le numéro un mondial depuis sept ans et n’a jamais perdu un seul match. En réalité, il est plus qu’un joueur, il est un demi-dieu du sport. Les petits garçons adoptent sa coupe de cheveux quand des artistes réalisent des statues à son effigie.
Avec son look d’adolescent qui aurait grandi trop vite, ses bras et ses jambes démesurément longs et sa mine toujours mélancolique, Max vit dans l’ombre de son père, qui est également son coach. Ce dernier est un un vieux type tout rabougri, humiliant, qui fume clope sur clope et qui lui fait subir un entraînement inhumain.
Une fois le match fini (match que Max a bien évidement remporté de manière écrasante), le père et le fils rentrent à la maison, un manoir gigantesque, et Max doit affronter une machine qui ressemble à un tank et qui va lui lancer des milliers de balles. Une fois cet entraînement achevé, la machine s’ouvre pour révéler un lit et Max peut enfin dormir…
Un jour, le jeune sportif va devoir assurer seul une interview pour une émission télé, le monde entier pendu à ses lèvres. Pour une fois, le père de Max est absent car il est malade. La journaliste va attaquer Max sur le sens qu’il donne à sa vision du sport. A-t-il seulement conscience que face à lui, il n’y a plus de rêve, plus de compétition ? A-t-il seulement conscience des vies qu’il brise ? En plus de provoquer une attaque chez son père, cette interview traumatisante va surtout être le commencement de quelque chose de nouveau pour Max…
Laissez-vous embarquer par un récit qui, vous l’aurez compris, va bien plus loin qu’une simple histoire de tennis. Moreau a signé un récit intelligent, aux thèmes passionnants servis par un dessin audacieux dont le découpage nerveux rappelle le dynamisme du manga.
À lire aussi : Deux bandes dessinées jeunesse aux héroïnes bien badass
Les Commentaires
Je sens que je vais tester Le Grand Méchant Renard, ça a l'air bien fun.
Et es dessins du Sculpteur m'inspirent aussi, vais regarder ça !
Sinon, moi je m'étais sacrément éclatée en lisant la BD "Louca", et pourtant c'est sur un thème qui ne me passionne pas une seconde : le foot.
A la base, c'est une BD pour enfants, je suppose, mais tous les adultes à qui je l'ai conseillée se sont bien marrés.
Bref, une bonne BD à lire sous la couette quand le thermomètre descend, c'est le top !