C’était un dimanche de veille de rentrée, il y a dix jours. Jean-Michel Blanquer annonçait les nouveaux protocoles de gestion de la pandémie dans les écoles au Parisien.
Au 3 janvier, la procédure impliquait un maintien de l’accueil en présentiel des élèves, de la maternelle à la terminale, mais aussi des tests PCR et antigéniques en cas de contact à risque, ainsi que des autotests 2 et 4 jours plus tard. Le tout pour s’assurer que les enfants et adolescents en classe ne soient, dans la mesure du possible, pas contaminés par le Covid.
Une semaine après, suite à des annonces de Jean Castex, ces protocoles jugés difficiles s’allègent : désormais, plus de PCR ou d’antigéniques en pharmacie ou en laboratoire (qui affichaient ces derniers jours des files d’attentes démentielles), seulement trois autotests à retirer gratuitement en pharmacie.
Plus besoin non plus de devoir aller chercher ses enfants à l’école en pleine après-midi en cas de cas positif déclaré dans une classe : ils pourront y rester jusqu’à la fin de journée.
Pour de nombreux parents, cette gestion des protocoles, de ces changements, et sa mise en pratique dans le quotidien porte son lot de difficultés : comment justifier auprès de son employeur de devoir aller chercher son enfant à l’école à tout moment ? Comment gérer plusieurs enfants dans des classes différentes à la fois ? Comment assurer la sécurité de sa famille quand on a des personnes à risque dans son entourage ?
Quatre parents ont témoigné de leurs galères d’école à l’épreuve du Covid.
Faire tester des enfants en bas âge
Catherine, mère d’une enfant de 5 ans en grande section de maternelle et d’un fils de 2 ans gardé chez une assistante maternelle, s’estime chanceuse : personne dans sa famille n’a encore contracté le Covid depuis les débuts de la pandémie. Celle-ci n’est pourtant pas sans conséquences sur leur quotidien :
« Lorsque l’institutrice de ma fille a attrapé le Covid, nous avons dû réaliser un test antigénique et deux autotests. Aucun laboratoire n’était disponible pour un test salivaire, et nous avons donc opté pour le fameux test nasal en forme de coton tige. Autant vous dire que ma fille a eu très peur, et que ça n’a pas été une mince affaire ! »
Une épreuve aussi bien partagée par les parents que par certains professionnels de santé, qui déplorent les difficultés auxquelles sont soumis les enfants, et la fatigue que cela génère pour eux et pour les familles.
Le poids de la pandémie sur la vie professionnelle des mères
Pendant la convalescence de son enseignante, Catherine tente de télétravailler avec sa fille à la maison. Elle explique :
« Il est difficile de trouver un remplaçant pour assurer la classe dans cette période très tendue pour l’école en général.
Je travaille donc à la maison avec elle, j’essaie de lui proposer des activités mais évidemment c’est difficile et je vois qu’elle s’ennuie. En ce moment, on utilise à fond les cadeaux de Noël (carnet de coloriage, figurines en plâtre à peindre, déguisements…). Cela me rappelle la période très dure des confinements où je jonglais en permanence entre mon écran et ma fille.
Par ailleurs, la profession de mon mari est assez exposée (il est réanimateur) et s’effectue sur site. Cela rend le quotidien plus tendu… Et les gardes d’enfants me retombent très souvent dessus — au détriment de mon propre travail. »
De nombreuses études le montrent, la pandémie a creusé les inégalités professionnelles, y compris les inégalités de genre face à l’emploi. D’après la Fondation des Femmes, en 2021, 70% des femmes estimaient que la crise sanitaire allait avoir des conséquences négatives sur leur carrière.
Catherine n’est pas la seule dans cette situation. Anita, mère d’un enfant de six ans et de deux jumelles de trois ans, explique elle aussi :
« Pendant le premier confinement, j’ai eu une période d’arrêt d’activité. Depuis, il y a eu un arrêt maladie d’un mois, et de nombreuses absences pour cause d’enfants exclus de la crèche à causes des mesures sanitaires, de crèches ou écoles fermées, d’enseignants absents et pas remplacés donc les enfants pas accueillis à l’école, de périodes d’isolement imposées…
Ces absences répétées et le manque de suivi et d’implication qui en découle me font clairement du tort vis-à-vis de ma hiérarchie. Je ne me sens pas comme une personne fiable professionnellement à cause de tous les imprévus qui peuvent me tomber dessus chaque jours à cause des protocoles de la crèche et de l’école. C’est difficile à vivre. »
« On sent que tout le monde est fatigué »
Martin est assistant maternel, et explique avoir la souplesse de pouvoir accueillir des enfants chez lui si besoin. Mais son épouse, elle, soit se justifier en permanence auprès de son employeur.
Pour ces parents de deux filles de 11 et 15 ans, en effet, la première semaine de 2022 a été compliquée à gérer. Il raconte :
« On avait déjà constaté avant les vacances que les cas se multipliaient dans le collège de ma fille. La classe de notre plus jeune a été fermée la semaine juste avant les vacances, et dès que la rentrée a eu lieu, les mails du collège se sont multipliés concernant les cas positifs et contacts.
La classe de 6è de notre fille n’a pas été concernée la première semaine… jusqu’au vendredi soir où on a eu un message de parents d’une camarade de classe testée positive. Le lendemain une autre camarade positive. Nous avons donc dû emmener notre fille de 11 ans se faire tester. Le lundi, nouveau cas positif dans sa classe.
Pourtant, à l’heure actuelle, sa classe n’est pas précisée dans les cas positifs /contacts dans les communications du collège. Sans consignes, nous appliquons les protocoles de notre propre chef, avec les autotests à j2 et J4.
Concernant notre grande de 15 ans, c’est le silence radio du lycée. Nous n’avons absolument aucune info alors que l’établissement est extrêmement grand… »
Un silence de la part des établissement qui se transforme en source de stress pour Martin et sa compagne, lesquels constatent un sentiment d’usure qui ne fait qu’augmenter.
« On sent que tout le monde est fatigué de la situation — y compris les élèves (ce qui pendant longtemps n’était pas vraiment le cas ici). On constate un laisser-aller total au fur et à mesure, et des protocoles dont on voit au jour le jour qu’ils sont inefficaces. »
Se sentir « balloté » au gré des protocoles
Si Martin affirme trouver les protocoles « clairs, mais pas cohérents », le son de cloche est différent pour Catherine, qui traduit une certaine solitude du côté des parents :
« Il a fallu comprendre le protocole pour le retour à l’école : j0 puis j2 puis j4, quel type de test effectuer, quel document à remplir… Heureusement nous avons un groupe d’échange entre parents pour s’aider et s’encourager.
Les protocoles changent souvent et ont d’ailleurs rechangé cette semaine. Difficile de suivre, on se sent ballotés et je plains beaucoup le corps enseignant qui depuis 2 ans doit en permanence s’adapter, surtout avec des jeunes enfants !
À titre personnel, j’ai l’impression que les protocoles changent plus pour des raisons économiques et politiques que réellement scientifiques. »
Des protocoles scolaires, mais aussi administratifs qui peuvent finir par ressembler à un parcours du combattant pour les parents. Ainsi, quand deux des trois enfants d’Anita ont été testées positives pendant les fêtes, les suites ont été compliquées :
« Quand mes deux filles de trois ans ont été testées positives, mon conjoint a pris un arrêt maladie pour la durée de leur isolement et j’ai pris plus de jours de télétravail qu’autorisé pour être isolée en tant que cas contact et pour pouvoir aider mon conjoint.
Mais la première des difficultés a été administrative : la Sécurité Sociale ne nous a jamais contactés suite aux tests positifs. Comme il faut impérativement avoir été contacté par la Sécu pour pouvoir faire un arrêt maladie sur le site Ameli.fr, il a fallu faire la démarche autrement. Nous ne savons toujours pas si l’arrêt a été validé.
Autre point administratif : avant de pouvoir faire revenir nos enfants à la crèche, on nous a demandé un certificat d’isolement à fournir impérativement … Délivré par l’Assurance Maladie, donc évidement, nous ne l’avons pas. Nous avons dû négocier auprès de la crèche pour qu’elle accepte les filles à la fin de leur période d’isolement même sans le certificat — comme preuve, j’ai proposé de fournir le résultat des tests où figure la date et ils ont accepté. »
En parallèle, Anita doit gérer la rentrée de son fils en CP, cas contact mais testé négatif :
« Après beaucoup de recherches dans la journée où sont parues les nouvelles règles dans la presse, nous avons compris que les cas contacts familiaux n’étaient plus distingués des autres cas contacts mais ce n’était explicité nulle part. Nous sommes partis du principe qu’avec un autotest négatif, notre fils aîné pouvait retourner à l’école le lundi, comme cela était indiqué maintenant pour les cas contacts.
Le lundi matin, après avoir bataillé pour lui faire faire l’autotest, je l’emmène à l’école mais le directeur nous dit qu’en tant que cas contact intrafamilial, il ne peut pas l’accepter, et qu’il doit rester isolé 7 jours. Nous n’avions pas les mêmes interprétations, et chacun notre document de référence.
Je rentre donc à la maison avec mon fils, déçu de ne pas pouvoir faire la rentrée avec ses copains. Finalement, dans la journée, le directeur de l’école transmets les nouvelles consignes qu’il a reçues de l’Éducation Nationale et, en un coup de téléphone, nous confirme que notre fils aurait pu être accepté à l’école le matin… »
Pour elle aussi, le moment de tester son fils a été très stressant. Quant à ses filles, positives mais asymptomatiques, elles ont plutôt bien vécu l’isolement. Mais pour les deux parents, le quotidien est devenu très difficile. Anita, qui est passée par un burn-out peu après le premier confinement, confie :
« Nous sommes tous les deux à bout de devoir gérer tous les nombreux imprévus en plus du quotidien déjà chargé et mouvementé d’une famille avec 3 enfants. »
« On se sent très seuls, dans ces situations »
Face à la recrudescence des cas et à la fréquence des situations de cas contact ou de contamination, les parents sont amenés à devoir télétravailler aux côtés de leurs enfants de plus en plus souvent. Hélène, mère de deux jumeaux de 18 mois, explique :
« Dans les cas où nous devons nous isoler, on doit gérer les enfants, il n’y a pas vraiment de possibilité de faire autre chose. Nous avons bien tenté de continuer à travailler en laissant un de nous deux avec les enfants et l’autre au travail dans la chambre. Mais le bruit des enfants permet difficilement de se concentrer.
D’autre part, la fatigue due à la gestion de jumeaux de 18 mois permet elle aussi difficilement d’être efficace ou fructueux au travail. On se sent très seuls dans ces situations. »
Elle rappelle toutefois qu’elle se sent chanceuse de vivre un fait aussi grave qu’une pandémie dans un pays qui prend en charge une grande part des dépenses liées à la santé. Pour elle, les protocoles sont clairs et leurs dernières évolutions sont pratiques : plus besoin de s’isoler si l’on est cas contact avec un parcours vaccinal complet, autotests…
Martin, à l’inverse, déplore que les choses soient aussi difficiles à suivre :
« Les protocoles changent de plus en plus souvent, les consignes ne sont pas claires dès le début. Par ailleurs, les modifications ne nous semblent pas logiques compte tenu de l’évolution de l’épidémie.
Même si cela nous arrange pour la gestion au quotidien, ça nous semble difficilement compatible avec la régulation des contagions. »
L’inquiétude pour le corps enseignant et le personnel de santé
Anita le confie, elle aborde l’année à venir avec anxiété.
« Je vis assez mal de vivre dans l’incertitude, les changements récurrents des règles auxquelles il faut s’adapter, les changements de programmes forcés dans les projets personnels… Et je pense que nous allons encore subir cette incertitude pendant un moment. »
Certains des parents interrogés pour cet article témoignent par ailleurs d’une inquiétude : celle de voir la fatigue du corps enseignant s’aggraver, face à une pandémie qui ne s’arrête pas. Hélène explique ainsi :
« Je trouve que l’éducation nationale est très malmenée et sans moyens, de même que les hôpitaux. Les consignes semblent établies, et tous ces professionnels doivent se débrouiller avec ça sans soutien.
Je m’inquiète du port du masque, du personnel qui change beaucoup, des absences, de la colère, de la fatigue des enseignants… »
Pour exprimer cette face à la situation, les enseignants appellent à la grève demain, le 13 janvier, avec le soutien de certaines organisations de parents d’élèves.
À lire aussi : Go la galère : mon enfant est cas contact ou positif au Covid-19, je fais quoi ?
Crédit photo : August De Richelieu / Pexels
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Les Commentaires
@Matilda Verdebois J'avoue que ça fait du bien, pour une fois .
@CCCC Je plussoie ! L'institution nous maltraite tous. Reste que les projecteurs des médias devraient tout éclairer (par exemple, quand je vois le boulot actuel de la directrice périsco de mon école ou les tâches de ménage décuplées ou la paye de l'aesh de ma classe... etc).
@Iris Chase Comment font les PE ? Je pense qu'une petite partie de ces tâches font partie de notre métier (vu le lien avec les élèves). Et les autres, on les fait parce que personne ne peut les faire pour nous et qu'on sait que si elles ne sont pas faites, ça va être le ... Et du coup, en temps covid, ça devient simplement ingérable.
(Le ""bon"" côté du nouveau protocole, c'est que je n'ai plus à me geler les miches à 8h35 devant le portail pour vérifier les attestations sur l'honneur de mes élèves, et éventuellement les refouler/appeler les parents, en priant pour que mes autres élèves dans la cour ne s'écharpent pas dans mon dos) (oui, je m'en réjouis :cretin