Quand je suis arrivée à Santiago (Saint-Jacques-de-Compostelle, pour celles qui suivent), je venais tout droit de Sheffield, une petite ville du South Yorkshire, en Angleterre. Les mauvaises langues diront que si je commence ma seconde carte postale sur la Galice de cette manière, c’est pour dire qu’en fait, j’étais déjà habituée à la pluie avant de venir installer mes pénates à Santiago.
C’est bien malin, mais non.
Je pourrais tout à fait m’étendre sur le sujet et vous expliquer combien la pluie de Sheffield, ce n’est pas la même pluie que celle de Santiago, ne serait-ce qu’à cause de ces 10°C d’écart dans la température moyenne et le fait que le vent anglais est une petite pute sournoise du soir au matin, mais alors que vous bâillez, vous comprenez soudain que la météo n’est pas un sujet sur lequel vous voulez me brancher. Si je commence comme ça, c’est bien pour marquer une idée de comparaison, mais sur la vie gastronomique plutôt que sur celle des parapluies. D’où le titre.
Car je vais être honnête avec vous : la nourriture occupe une place de choix dans ma vie ; où que j’aille, la découverte touristique passe avant tout par la découverte gustative. Du coup, la première chose à laquelle je fais attention lorsque je débarque quelque part (après la météo mais on a dit que non), ce sont les habitudes culinaires. Lorsque j’ai posé mes valises sur le sol galicien, je l’ai fait avec un reste d’habitudes d’étudiante anglaise, de sandwiches ou « wraps » sur le pouce pour un lunch au pas de course, de pintes le ventre vide, de « chips » et de pubs et leur nourriture simple qui tient au corps.
C’est au regard horrifié d’un de mes colocs, alors que je venais de lui dire que je n’avais pas le temps d’aller manger, que je compris vraiment que j’avais mis les pieds dans un autre pays. Donc, oui, cet article parle bien de bouffe. Joie, fête, et tortillement du postérieur : de la bouffe !
Reposez vos cotillons. À la fin de cet article, vous allez regarder votre soupe, pleurer, et puis vous allez me haïr. (Je le sais : je me suis mordue la main douze fois pendant la rédaction de cet article.) (Et sauvagement.)
On ne déconne pas avec la nourriture
Dans l’article précédent, je vous parlais de l’heure espagnole et de ses avantages. Or, si, ayant grandi très près de la frontière espagnole, les gros jambons serrano pendus à tous les étalages des boucheries-charcuteries ne m’ont pas impressionnée tant que ça à mon arrivée (« Vazy, chez moi aussi on a du jambon »), et si j’avais déjà vaguement tâté de l’heure espagnole… figurez-vous qu’adapter mon horloge gastronomique à celle du pays s’est avérée tâche ardue (« Vazy, chez moi on mange, là »).
Il m’aura fallu deux semaines pour arrêter d’avoir faim toute la journée, et prendre mes repas normalement, c’est-à-dire vers 15/16h et 22/23h. Ce n’était pourtant pas tant une question de rythme qu’une histoire de tentation. Pourquoi ? Parce que les Galicien-ne-s prennent la nourriture très au sérieux, qu’elle occupe une place importante dans la vie de tous les jours, et que ça se voit. Trop.
Imaginez-vous, à tous les coins de rues, des pâtisseries à la vitrine bien garnie, des boulangeries pleines de croissants, « palmitas » et « napolitanas » qui font trois fois la taille de ton pain au chocolat parisien, des cafés où tu pleures devant ton chocolat chaud et épais à 1 euro que tu dois manger à la cuillère, des restaurants ou traiteurs où ça sent bon dès onze heures du matin alors que tu ne déjeunes que dans trois heures au mieux, et partout dans le vieux centre, des gens qui tiennent à te faire goûter leurs recettes de « pedras » ou « tarta de Santiago ». J’y reviens. Vous vous imaginerez encore mieux.
C’est sans parler des supermarchés implantés par dizaines dans chaque pâté de maison. On sait jamais, on pourrait venir à manquer. Habituée aux sempiternels Tesco anglais, j’ai cependant été ravie d’aller explorer leurs collègues espagnols – Gadis étant le plus répandu. J’adore explorer les supermarchés, c’est un peu le temple de la bouffe pour moi. Alors quand le plus petit, qui ressemble de l’extérieur à une brave épicerie, étend en réalité ses rayons pleins à craquer sur toute la longueur du pâté de maison (j’exagère à peine), vous comprendrez que j’étais sur un petit nuage quand j’allais faire les courses.
À Sheffield, le rayon de supermarché le plus garni, c’était le rayon chips (oui, il y a un rayon chips). Il me foutait dans une angoisse, ce rayon… J’avais fini par ne plus manger que des Pringles, parce que je n’avais à choisir qu’entre trois ou quatre saveurs différentes. À Santiago, on pourrait arguer que le rayon le plus garni, c’est le rayon huile (oui, il y a un rayon huile). Je ne savais même pas qu’il existait autant de sortes d’huiles différentes. Si mes colocs n’avaient pas déjà eu un stock d’huile et des goûts bien fixés, ce rayon m’aurait foutu une angoisse pas possible aussi. C’est un peu comme demander « du » beurre en Bretagne, tu vois ?
Bref. En Galice, on cuisine à l’huile.
Autres rayons vedettes de l’épicerie galicienne : la charcuterie, le fromage, et le poisson/fruits de mer. C’est-à-dire, en gros, les spécialités espagnoles habituelles, plus les avantages de la côte.
À noter cela dit que si les végétarien-ne-s ne sont pas les gens les plus heureux du monde en Espagne (entendre un scandalisé « Sérieux, tu manges pas de jambon ? » vingt fois par jour en se faisant coller un plateau de ladite charcutaille sous le nez, ça doit fatiguer un tantinet), ils peuvent survivre, car toute obsession pour le cochon ne saurait porter ombrage au reste de l’alimentation dans un pays aussi sérieux sur la question. Fruits, légumes, champignons, graines diverses et variées, féculents… Tout est non seulement disponible en abondance dans les rayons et les marchés, mais aussi largement utilisé dans la gastronomie galicienne. Même, à mon grand dam, cette salope d’aubergine. (Non, je n’aime pas les aubergines, et cette croquette à l’aubergine constitue la plus grosse arnaque de ma vie.)
En vérité, je me moque quand je critique l’incrédulité du galicien carnivore face à un végétarien : ce n’est pas tant le fait qu’il ne mange pas de viande, qui heurte sa conception du monde, que le fait qu’on puisse écarter tout un pan de l’alimentaire de sa vie. Je vous dis que je ne veux pas de vos beignets aux épinards à la crème, bon sang. (Je me moque encore.)
Mais enfin. Le meilleur moyen de réconcilier tout le monde, c’est encore de s’asseoir autour d’une « tortilla » : une omelette de pommes de terre, une vraie, ni baveuse ni trop cuite. J’hésite à dire si j’ai mangé la meilleure de ma vie au petit bar caché dans la vieille ville, El Caballo Blanco, ou chez des amies étudiantes. Ou encore à cette cafèt’ de ma fac, qui en a fait un « bocadillo », ou « bocata » (sandwich), au thon et à la tomate. C’est dire si la patate, c’est ancré dans les moeurs.
« Vamos a tomar algo » – ou l’apéro en Galice, et plus si affinités
Parlons-en, des « bocadillos » ! Après les « ensaladas » (salades) garnies et les « platos combinados » (grandes assiettes combinant plusieurs aliments, pas toujours diététiques mais on essaie), il s’agit de l’alternative vénérée par l’étudiant pressé, flemmard et affamé. En effet, la culture bocadillo signifie pouvoir en acheter n’importe où pour pas cher, ou le reproduire à la maison. Le bocadillo, sans être propre à la Galice, règne pourtant en maître à Santiago. À différencier du « sandwich », pour lequel on utilise du pain de mie (« pan de molde ») et qui, peut-être parce qu’il est plus petit que son collègue, passe plus pour un en-cas qu’un repas.
Il est aussi ton ami, celui qui remplace le kebab dans ton coeur en cas de petit creux en soirée. Mais attention, conseil d’amie : trouvez-vous vite un favori. Parce qu’en plein milieu de soirée, on est en général un brin imbibé-e, et il faut savoir que choisir un bocadillo dans un menu classique en Galice, ça revient à choisir entre : un bocadillo au fromage, aux calamars, au lomo, au serrano, au chorizo-fromage, à la tortilla, avec du bacon, au blanc de poulet, au poulet frit, au thon, à la milanaise, et quel pain tu veux, et le lomo, comment tu le veux, et du fromage avec ton lomo, et un bocadillo ou un sandwich, et en fait on a des « hamburguesas » énormes aussi, chorizo ou jambon braisé, et… Bref, pour reprendre l’image de Gad Elmaleh, vous allez vite vous mettre à chanter Il était un petit navire devant le cuisinier, en mode Néanderthal.
Pourquoi, qu’est-ce que vous auriez bien pu boire, ce soir-là ? Hmm ? Reprenons depuis le début.
22h. Vous n’avez pas encore mangé, mais on vous propose de sortir. C’est jeudi/vendredi/samedi soir, l’ambiance va être à son comble dans toute la ville, autant en profiter ! Un groupe d’amis vous a proposé de passer par chez eux d’abord, pour un « bótellon » avec des connaissances. Le moyen idéal pour rencontrer des gens sans se ruiner, puisque le principe du bótellon, c’est justement d’apporter chacun son alcool et partager, ce qui revient moins cher que les bars. Très prisé par les plus jeunes, c’est sûrement ce système qui a vu naître les « calimocho » : des mélanges vin et soda (Coca, Fanta…), servis d’ordinaire dans des grands verres. Ah, et qui a valu l’interdiction de boire dans les rues. Oui, on a dit alcool le ventre vide, hein, faites le calcul.
Mais bon. Mettons que boire juste pour boire (probablement de la piquette en plus), ça ne vous dit pas. À la place, vous rejoignez deux amis dans une « vinoteca » qui, comme son nom l’indique, offre un grand choix de (bons) vins, mais aussi bières ou boissons non alcoolisées
– parce qu’il en faut pour tout le monde. Vous ne manquerez pas de tourner à droite au bout de la rúa do Franco, en face du Bar Ourense, pour vous installer à la Vinoteca cachée dans la petite traverse. En effet, si la plupart des bars à vin vous servent des petites rations pour accompagner votre boisson (une pensée émue pour cette mini-paella à l’encre de sèche), celle-ci vous garantit un plateau de jambon, lomo, pain et fromage sans aucun supplément dans le prix.
Oui, je ne vous l’avais pas encore dit, mais une bonne manière de dîner pour pas grand-chose avant de sortir, et donc une pratique répandue parmi les étudiants, c’est de profiter pleinement du système de tapas. Les tapas, c’est assez connu : ce sont ces petits plats à partager à l’apéritif ou même en tant que repas. Mais toutes les régions d’Espagne ne sont pas aussi généreuses sur la question ; en fait, les deux régions les plus à même de vous servir gratuitement une bonne dose de bouffe variée, ce sont étrangement les plus en difficulté financière : l’Andalousie et la Galice. Je me souviens d’un bar où l’on se retrouvait pour suivre un match de foot (oui, hein, l’Espagne et le foot, bon), et qui sert, en plus des pipas emblématiques, un sandwich avec chaque verre. Encore autre chose avec un autre. Et ainsi de suite. C’en est au point qu’au bout de quelques semaines, si vous vous inst allez dans un bar qui vous apporte votre verre sans rien (il y en a), vous risquez de lâcher un « C’est tout ? » outré. (Bande de pourris gâtés, va.)
Après trois bars, donc, vous avez facilement pris votre repas du soir, et vous êtes prêt-e à commencer les festivités pour de vrai. À Santiago, les Galicien-ne-s passent souvent d’un bar à un autre, avant que ce ne soit l’heure pour les clubs, soit aux alentours de 5h/6h – mais il y a aussi beaucoup de concerts, en plein air ou comme à la « Casa das Crechas », où ça peut jouer de la musique galicienne entêtante.
On peut y boire du vin, oui, si vous y tenez, ou une « caña » (pression), ou le plus souvent, la fameuse « estrella galicia », une bière blonde assez légère et attachante. D’ailleurs, si vous aimez la bière, inspiration celtique oblige, il est facile de trouver quelques pubs irlandais (et je vous raconte pas la St Patrick). Mais si vous voulez du plus typique, il y a les fameuses liqueurs… « Licor cafe » (liqueur au café), la plus prisée, « licor de hierbas » (je… herbes ?), « crema de orujo » (qui ressemble à du Bailey’s, en encore plus méchant)… Si, comme moi, tu n’aimes ni le café, ni la liqueur, sache qu’il ne faut pas respirer la licor cafe, ça fait tousser.
Mais puisque nous parlons d’alcool en Galice, il m’est impossible de ne pas parler de la « queimada ». Soyons clairs : c’est pas mon truc. Mais c’est son rituel un peu obscur qui est intéressant. Parce que la queimada, en gros, c’est : un punch à l’eau-de-vie d’Orujo, dans lequel on rajoute encore de l’alcool, du citron, du café et pleins de trucs non-identifiés par ma personne, et auquel on met le feu. Ah ben ça, ça brûle bien, hein. Mais ce qui est fascinant avec la queimada, c’est qu’on « l’allume » dans le noir, toute l’assistance rassemblée autour de la flamme bleue, pendant que quelqu’un récite une sorte de poème (ou incantation) en galicien : la « conjuration de la queimada ». Vous pouvez trouver ledit texte sur Internet, et vous verrez que ça parle en gros de chasser les sorcières ou esprits malfaisants. Un véritable rituel, dont personne n’a l’air de vraiment connaître l’origine. On parle d’origines celtiques, comme d’ivrognes qui ont eu une illumination après le x-ème verre de liqueur – quoi qu’il en soit, c’est une pratique assez répandue en Galice ! (Peut-être parce que si l’humidité te file des rhumes, ça te décape d’enfer ?)
Bref, voyez, tout ça, si vous vous y mettez à coeur joie – et que vous évitez le bol de queimada qu’on vous fait passer… à 6h, ça peut effectivement vous laisser un creux que seul un vrai bocadillo peut combler.
Et si tu as encore faim…
Non, mais je rigole : à 6h, après votre bocadillo, vous pouvez aller vous coucher. Les autres continuent de faire la fête jusqu’à au moins 7 ou 8h, mais c’est déjà honorable. Je vous parle maintenant de la bouffe à découvrir, par exemple, un dimanche – puisque tout ce qu’il y a d’ouvert ces jours-là, ce sont les restaurants.
Je te parlais des tapas, plus communément appelés par les français qui débarquent « bouffe gratuite ». L’étape au-dessus, que tu vas voir sur tous les menus et te demander quelle est la différence avec les tapas, ce sont les « raciones » (ou rations) : comme les tapas, mais en portions plus grosses, donc payantes. En général, si on ne se fait pas arnaquer, c’est de la belle portion, comme cette assiette de moules à l’albariño (vin blanc) plus grosse que ma tête. C’est l’occasion de goûter les « pulpos a feira » (poulpes à la galicienne), le poulpe étant assez répandu en Galice pour qu’il y ait carrément des « pulperías », du « chorizo al vino blanco » (chorizo au vin blanc), des piments de Padrón (sortes de poivrons), des croquettes au poulet, au jambon, aux fruits de mer (etc.), ou des coquilles Saint-Jacques, en passant par les « churrascos » (grillades), parmi les plus connus et en sautant l’étape charcutaille.
Très galicien aussi : les « empanadas ». Sorte de beignets ou parts de tarte fourrée à ce que vous voulez (thon, viande, oignons, tout à la fois…), c’est généralement une tuerie, et ça fait partie des petits machins qu’on vous apporte avec votre verre – avec les « albondigas », petites boulettes de viande en sauce ; je tuerai mes peluches pour en avoir, là, tout de suite.
En plat de résistance, puisqu’on est assez calés fruits de mer dans le coin, il est facile de se trouver une bonne « mariscada » (plateau de fruits de mer), ou une « caldeirada » (soupe de poisson). On favorisera en général les plats à base de poisson et patates. Pour la forme. Ah, quant à la paella, si elle n’est pas aux « produits de la mer », c’est à ranger avec les robes de sévillanes vendues dans les boutiques à touristes pour faire plaisir à certains de ces derniers qui pensent encore que Galice = clichés espagnols.
Pour le fromage… Bon, il y en a une quantité assez effrayante, mais mon petit préféré, c’est le « queixo de tetilla », le fromage de tétine en gros, parce qu’il a la forme, euh, ben d’un nichon, hein, voilà, on va pas se mentir. Du coup, j’ose pas dire qu’il est mou et tout doux. Mais faites-vous à l’idée, parce que le fromage de tétine, c’est tellement galicien qu’il y en à toutes les vitrines de traiteurs et restaurants. Ça te marque vite un paysage, ça.
Et last but not least : les desserts. Là, c’est assez varié, même si on a des produits phares ; par exemple, on aime bien le chocolat et le miel, mais on a un truc avec l’amande. En témoignent les « almendrados », et surtout la célèbre « tarta de Santiago », un gâteau aux amandes assez simple et reconnaissable entre tous grâce à sa petite croix de St Jacques dessinée sur le sucre glace qui la recouvre. Véritable symbole de la ville, on peut en trouver partout… mais le mieux, c’est encore de prendre le temps de vous en acheter une petite à la boulangerie du coin, faite du jour et donc encore plus moelleuse.
Mangez-la tranquillement en vous promenant dans le parc de l’Alameda, comme la plupart des Galicien-ne-s, pendant que le jour se termine et que votre estomac continue sa sieste (ou son coma, à ce stade on sait plus trop). Je vais éviter de vous parler des « filloas », ces petites crêpes préparées à toutes les sauces, parce que vous pensez déjà à, dès demain matin, brûler votre carte de bus et rejoindre les foules de joggeurs qui ont passé le week-end à manger en famille, pour vous mettre à la course dans ce même parc où, en attendant, vous vous effondrez sur un banc comme une limace espérant se métamorphoser en papillon léger.
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