Vous connaissez les mèmes sur internet qui débutent par “Si vous avez grandi dans les années 90” ? Si c’est le cas, les aventures surnaturelles de Prue, Phoebe et Piper vous sont forcément familières ! Lancée en 1998 au États-Unis sur la chaîne The WB, Charmed a débarqué sur le petit écran français via l’iconique “Trilogie du samedi soir” sur M6. Produite par Aaron Spelling (Beverly Hills) et créée par Constance M. Burge, la série suit les aventures de trois sœurs adultes, qui vivent dans un manoir hérité de leur famille, les Halliwell, à San Francisco (les plans de coupes sur le fameux pont rouge nous le rappellent à chaque épisode !). Dans le pilote, elles découvrent qu’elles font partie d’une puissante et longue lignée de sorcières. Dans le grenier, un grimoire magique, le “Livre des Ombres”, les attend. Par une incantation, elles activent leur pouvoir et deviennent les “Charmed Ones”, les sorcières les plus puissantes du monde, destinées à œuvrer du côté du Bien.
C’est le moment de l’article où j’insère le générique absolument culte (meilleur que la série elle-même en fait) et où résonne le fabuleux titre “How Soon Is Now?” des Smith. Un conseil : si vous vous lancez dans un rewatch sur Disney +, conservez précieusement ce lien, car pour d’obscures raisons de droits, le générique n’a plus la même musique et perd donc toute sa saveur. Hérésie !
Les trois premières saisons sont portées par Shannen Doherty dans le rôle de Prue, la grande sœur responsable et rabat-joie (il en faut une), Holly Marie Combs dans celui de Piper, la cadette posée et maternelle, qui va avoir une histoire d’amour au long cours avec Leo (Brian Krause), un être de lumière chargé de veiller sur la sororie ; et Phoebe (Alyssa Milano), la petite dernière. Elle est fun et toujours partante pour botter des fesses démoniaques, jusqu’à ce qu’elle tombe in love de Cole Turner (Julian McMahon), aka le démon Balthazar, aka La Source, aka le petit ami toxique et plus vieux que la fiction des années 90 adorait nous faire passer pour le grand amour ! Si ce profil vous dit quelque chose, c’est qu’à la même époque, un autre brun ténébreux, mi-démon, mi-humain, en faisait baver à une héroïne qui avait autre chose à faire, comme sauver le monde : je parle bien de Buffy et Angel.
A y regarder de plus près, Buffy contre les vampires et Charmed possèdent plus d’un point commun : diffusée à la même époque, sur la même chaîne (The WB demanda à Aaron Spelling de plancher sur un nouveau show surnaturel, après le succès de Buffy, lancée en 1997), les deux séries pour ados mettent en scène des héroïnes puissantes, qui luttent contre les Forces du Mal et se transmettent leur pouvoir de façon matrilinéaire. Mais Charmed n’a jamais atteint la qualité d’écriture et la profondeur de Buffy, et c’est pour cette raison qu’elle appartient pour moi à la catégorie “plaisir (bien) coupable”. Il suffit de se lancer dans un rewatching des deux séries (chose que votre servitrice a fait) aujourd’hui pour le réaliser.
Si vous trouvez les effets spéciaux et les monstres de Buffy kitschs, attendez de revoir ceux de Charmed ! Ils sont au diapason des piètres performances du cast, en particulier des démons. Vous me trouvez dure ? Le guest pépite de David Carradine dans le final de la saison 1 vous prouvera que je suis “sévère mais juste”. Plusieurs visages familiers sont apparus dans Charmed : citons Charisma Carpenter, Elizabeth Hurley, Coolio, Amy Adams, Eric Dane ou encore Kaley Cuoco. Reconnaître un·e acteur·ice en début de carrière est un des petits plaisirs de revisionnage de la série.
Face à ces figures maléfiques interchangeables, souvent des mecs en costard avec un bouc (une belle illustration de l’enfer sur terre !), Shannen Doherty, Alyssa Milano et Holly Marie Combs font ce qu’elles peuvent avec des dialogues souvent insipides et des incohérences scénaristiques plus grosses que le Livre des Ombres. Rose McGowan apporte son charme d’ingénue au rôle de Paige (saison 4 à 8), la demi-sœur cachée des Halliwell, bien pratique pour recréer le Pouvoir des Trois. La mort de Prue, à la fin de la saison 3, est d’ailleurs extrêmement mal mise en scène (j’ai cru que j’avais raté un épisode), probablement car les scénaristes ne savaient pas si Shannen Doherty allait rester ou non au moment d’écrire le script.
En coulisses, plus de rivalités que de sororité
Une série qui réhabilite la figure longtemps diabolisée de la sorcière et qui est en plus showrunnée par une femme ? Que demander de plus au début des années 2000 ! Malheureusement, on sait que les coulisses du tournage étaient tout sauf féministes. La rivalité entre Shannen Doherty et Alyssa Milano était de notoriété publique. Les médias ont longtemps pris le parti de la deuxième. Des années plus tard, Rose McGowan a vertement dénoncé le comportement d’Alyssa Milano sur le plateau de Charmed, le qualifiant de “toxique”. Pas facile de créer une solidarité féminine dans le milieu hollywoodien, ultra sexiste et compétitif, de la fin des années 90…
Les dramas en coulisses ont ironiquement été ravivés par le fait que les interprètes de Paige et Phoebe se sont retrouvées en première ligne du mouvement Me Too. Rose McGowan a été l’une des premières actrices à témoigner publiquement du viol qu’elle a subi par Harvey Weinstein. En octobre 2017, Alyssa Milano a proposé sur Twitter de reprendre le hashtag “Me Too”, créé par Tarana Burke en 2007 pour lutter contre les violences sexuelles faites aux femmes. La suite, on la connaît. Mais au grand dam des fans, les deux stars, devenues militantes féministes, ne se sont pas réconciliées. En mars 2023, une convention a réuni les “Charmed One”, (Shannen Doherty, Holly Marie Combs et Rose McGowan), sans Alyssa Milano.
Une série mi-gênante, mi-divertissante
D’un point de vue féministe, la série est ambivalente. Certes, elle met en scène des figures de femmes fortes qui apprennent à maîtriser leur pouvoir, et tentent de trouver un équilibre entre leur vie pro et perso. Mais les trois sœurs passent aussi beaucoup de temps à se jalouser les unes les autres et à se battre pour l’attention masculine. Les personnages de Phoebe et Paige sont hyper-sexualisés, tandis que Piper est sans cesse ramenée à la maternité et à ses hormones. Pour une série qui se passe à San Francisco, la ville la plus queer de tous les États-Unis, Charmed est comiquement hétéronormative. Aucun personnage LGBTQ+ ( à part quelques démons codifiés queer, façon méchant·e·s dans les Disney) ne vient perturber les incessantes histoires d’amour hétérosexuelles de nos trois héroïnes, qui terminent la série mariées, avec une belle colonie d’enfants prêts à prendre la relève. En revanche, la série possède un personnage noir récurrent (qui ne meurt pas) dès sa saison 1, avec Darryl Morris (Dorian Gregory), alors que de nombreuses fictions grand public et progressistes de l’époque (Dawson, Friends, Buffy…) n’en n’avaient pas.
Charmed souffre indéniablement d’une écriture paresseuse, mais elle a aussi ses moments très fun : ses retours dans le passé, ses fantômes féminins bienveillants (qui ne rêve pas de pouvoir convoquer le fantôme de sa grand-mère adorée quand ça ne va pas ?), ses épisodes historico-mythologiques (le procès de Salem, Phoebe transformée en sirène, les trois sœurs en déesses grecques ou en Valkyries)… Et ne sous-estimons pas la joie que peut nous procurer une série dans laquelle un trio de femmes envoient brûler en enfer une plâtrée de démons, souvent masculins et macho ! D’autres arcs narratifs, comme cet épisode où un homme est transformé en hibou, prennent une tournure franchement comique, non voulue à la base, qui font toute la saveur kitsch d’un rewatch de Charmed.
S’il y a un domaine où nos sorcières excellent, c’est côté look ! La série est une ode aux pantalons taille basse, aux robes à bretelles fines et aux petits top pastel à froufrous. De quoi vous donner un max d’idées pour votre prochaine soirée déguisée années 2000 ! Et puis franchement, qui n’aurait pas envie de vivre à San Francisco entre meufs, dans un manoir canon, à pratiquer des sorts dans le grenier avec de jolis cristaux ? Ah ce manoir, ses vitraux colorés, ses meubles détruits dans chaque épisode et miraculeusement neufs dans le suivant…
Difficile de fermer les yeux sur ses défauts quand on revisionne Charmed en 2023. Et pourtant, les sœurs Halliwell nous ont probablement jeté un sort (qu’on appellera la nostalgie !) car dès le générique lancé, on a qu’une envie, se glisser sous son plaid avec un bol de chocolat chaud, et apprendre par cœur les incantations du Pouvoir des Trois.
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