Le 14 mai 2019
C’est une histoire qui n’a pas de mots. Car il n’y a déjà pas de mots en français pour définir des parents qui ont perdu un enfant.
Alors on essaie tant bien que mal de les poser, ces mots. Pour raconter l’histoire de notre enfant, sa vie, si courte a-t-elle été. Pour trouver la force, quelque part, de se lever tous les matins, et continuer. Continuer à vivre. Car il faut continuer.
J’ai eu une grossesse magnifique, neuf mois de bonheur, parfois empreints de petites angoisses comme toutes les femmes lors de leur première grossesse. (« Docteur Google, désolée de te déranger si tard mais selon toi, peut-on manger de la mozzarella enceinte ? Et au fait, quelle est la meilleure position pour dormir ? »)
L’émerveillement en sentant ses premiers petits coups. Le soulagement après les trois mois « fatidiques », ces douze premières semaines dont on a tant entendu parler. La joie sans limites après chaque échographie, où tous les voyants sont au vert. Après les 24 semaines, on profite de plus en plus. Puis vient le début du congé maternité. La dernière ligne droite ! S’inscrire à la maternité, préparer la chambre, aller chercher la poussette quelques jours avant la date prévue de l’accouchement…
Le cœur de notre bébé ne battait presque plus
Le 14 novembre 2018, 4 jours après le terme, notre monde s’est effondré. En allant faire un contrôle à la clinique, les sages-femmes ont vu que le cœur de notre bébé, notre premier petit garçon, ne battait presque plus. « Presque ». En sept minutes, j’étais sur la table d’opération, endormie pour une césarienne en urgence. Ils ont tenté de réanimer notre fils, mais c’était trop tard.
Victor, notre petit soleil de 3,9 kg, à la bouille toute ronde et à la bouche bien dessinée, nous avait déjà quitté, quelques heures auparavant.
Les heures qui ont suivi… les mots me manquent. Tout ce que je peux dire, c’est que dans le brouillard du choc le plus total, je me rappelle des visages. J’ai vu toute l’humanité à ma porte. Toute la bienveillance, toute la générosité, tout l’amour concentré dans les quelques mètres carrés de ma chambre d’hôpital. Bercée dans les bras de mon amoureux, le papa de Victor. Entourée de mes parents, mes frères et sœurs, mes beaux-parents, nos amis… tous présents pour nous soutenir, pour essayer de prendre un peu de notre peine.
Que dire alors que le pire est arrivé. Que répondre aux amis qui demandent « Comment tu vas ? », « Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? ». Que dire à la dame qui regarde ton petit ventre post-partum avec un gentil sourire ? Que dire à la jeune mère avec son bébé dans les bras qui ne comprend pas pourquoi tu pleures à côté d’elle dans le bus ?
Le deuil périnatal et la vie avec la douleur
Et puis malgré tout, les jours passent. Sans que l’on ne le veuille, les semaines s’égrènent et nous éloignent temporellement de cette date. Et on se rend compte qu’on peut vivre avec la douleur. Qu’elle a beau nous accompagner jour et nuit, seconde après seconde, elle laisse la place à d’autres choses.
Parfois après une petite séance de yoga, un calme apaisant. En sirotant un petit verre de Gascogne, un petit plaisir gustatif. Le soleil de février sur ma peau, par exemple, je ne l’ai jamais autant apprécié. Douleur horrible, petites joies du quotidien : toutes les émotions, qu’on ne penserait plus jamais sentir, s’entre-crochent, s’enlacent, se mêlent comme les couleurs d’une aquarelle…
La place de Victor a été, elle, difficile à trouver. Se sentir si vide, au retour de la maternité… Il est partout, m’ont alors dit des mamans endeuillées. Cette phrase, au départ je ne l’ai pas comprise. Où est-il ?
Alors, j’ai commencé à le chercher dans la nature, et je l’ai trouvé dans les petits V qu’elle m’envoie tous les jours. Les branches des arbres de l’hiver. L’ombre des immeubles et les traces sur le sol, laissées là par hasard. Maintenant, je le sens de plus en plus dans mon cœur, et je m’enlace à ce moment-là. C’est le geste qu’on fait toutes, mamans orphelines : on croise nos bras contre notre cœur, comme si on serrait notre enfant invisible contre nous… Trouver des signes, faire des gestes et des rituels, tout cela devient notre quotidien, quand on ne peut rien expliquer.
Une mort subite in-utero et aucune explication
Car il n’y a eu aucune explication, malgré toutes les analyses. La mort subite in-utero. Une statistique extrêmement faible en 2018 en Europe. J’habite en Allemagne, et ce pourcentage est de 0,24 % pour les naissances ici. Ce petit chiffre nous a brisé encore un peu plus le cœur. Faire partie de cette statistique minime… dont on n’a jamais entendu parler. On nous a bassinés pendant 9 mois avec les risques de la toxoplasmose ou de la listéria, attention aux chats et aux fromages crus… Pourquoi n’a-t-on jamais entendu parler de la possibilité de perdre notre enfant, alors qu’il allait naître ?
Aucune recherche n’est en cours à ma connaissance en France, ni en Allemagne, sur la mort à terme in-utero. On a fait beaucoup de progrès pour définir et limiter les facteurs de risque de la mort subite du nourrisson depuis les 20 dernières années. Les décès in-utero seraient quant à eux 10 fois plus fréquents et aucune trace d’études, de campagnes de mobilisation pour réduire ces « chiffres », derrière lesquels se cache une immense tragédie.
C’est là ma façon de célébrer Victor et de m’engager pour faire changer les choses. Alors je cherche, je pose des questions, je prends rendez-vous avec des spécialistes, je regarde ce qu’il se passe dans d’autres pays, par exemple en Grande-Bretagne, où le sujet est beaucoup plus thématisé et où de nombreuses associations se mobilisent pour la recherche et la prévention de telles naissances.
Trouver des explications, je sais, ça ne me le rendra pas, mon fils. Mais ça aidera peut-être de futures mamans. Moi, cela me permet de célébrer Victor, tous les jours, et de le faire vivre. Et puis prononcer son prénom, parler de lui, me rappeler les doux moments de la grossesse, et continuer à respirer, un peu plus tous les jours. Faire exister Victor, notre premier, notre soleil, notre lune, notre voile, notre moteur, notre rame. Tous les jours. Pour toujours.
Vous pouvez lire le blog Bonjour Victor où Alexandra raconte son deuil
Ou suivre son compte Instagram @bonjourvictor
Vous pouvez aussi regarder le très beau documentaire « Et je choisis de vivre » . Il raconte l’histoire d’une mère ayant perdu son bébé et qui décide de partir discuter avec d’autres parents qui ont traversé la même tragédie.
À lire aussi : « Je lutte pour que ça ne devienne pas un tabou » : Lucie raconte son accouchement d’un bébé décédé
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