Depuis quelques jours, on subit gaiement le matraquage festif, on se congratule, on s’aime un peu plus fort – ou juste un peu plus démonstrativement, on se gâte, on offre, on reçoit, on consomme… Mais si les fêtes de fin d’année sont synonymes de joie, champagne et cotillons, elles seraient aussi particulièrement propices à l’apparition d’un sentiment de nostalgie.
En 1688, le terme « nostalgie » désignait une souffrance réelle induite par le mal du pays ressenti par les jeunes soldats. Aujourd’hui, nous pourrions la définir de deux manières :
- Il existerait une nostalgie « historique » (exprimant notre appréciation, notre attirance pour une période passée que nous n’avons pas connue – si je vous dis que je rêve de la période des 70’s, je suis une nostalgique historique)
- Mais aussi une nostalgie « personnelle » (lorsque nous ressentons des émotions envers un passé vécu – par exemple lorsque nous avons la nostalgie de notre enfance).
Si les avis des chercheurs divergent sur certains points (la nostalgie est-elle un trait de caractère ou s’agit-il d’une simple humeur transitoire ?), ils sont en revanche unanimes sur son aspect universel : la nostalgie traverserait les cultures, les époques et les âges.
Mais pourquoi les vacances de Noël seraient-elles plus susceptibles de créer de la nostalgie ?
Selon Krystine Batcho, professeur de psychologie, nous nous définissons par nos relations, par les manières dont nous sommes liés aux autres… Lors des vacances de fin d’année, les familles et amis se réunissent, rattrapent un peu de temps, balancent des updates de leurs vies, se remémorent les temps passés.
À Noël, au travers des publicités, des films, des médias et même des religions, tout est centré autour des relations. On revient « chez soi », « à la maison », pour être entouré de ses proches, on est plus enclin à participer aux traditions (culturelles, familiales ou religieuses). Ces concepts de relations, de traditions, de transmissions, sont autant de choses qui nous aident à définir qui l’on est. Ce sont aussi des moments où nous communiquons plus, où nous passons des coups de téléphone inhabituels, où nous envoyons missives et colis, où nos posts sur les réseaux sociaux sont dédiés à l’évènement…
Les vacances rapprochent ceux qui ne sont pas ensemble hors de cette période – que l’on parle de rapprochement physique ou simplement psychique. En ce sens, la nostalgie permet de maintenir des liens et de préserver notre sentiment d’appartenance. Elle nous aide à garder la trace de ce qui a changé, ce qui n’est plus et ce qui reste similaire dans nos vies par rapport à une époque révolue. Elle nous rappelle un temps où les choses étaient plus simples, la sécurité de l’enfance, l’insouciance de la jeunesse, les personnes qui ont joué un rôle important dans nos vies…
La nostalgie serait presque un substitut du réel et nous aiderait à nous réunir au travers du temps et de l’espace : l’expérimenter serait une manière de revivre un peu ces moments perdus. Pour la même raison, si l’on a perdu un proche au cours de l’année, ou pendant la période des fêtes, et qu’on ne peut plus physiquement se rapprocher de l’être aimé, la nostalgie servira de substitut psychologique et les souvenirs ravivés seront une manière de faire face au deuil et à la perte.
[rightquote]Ce sentiment nostalgique permet de se sentir de nouveau lié à quelqu’un et de ce fait de réduire le sentiment de solitude…[/rightquote]Ainsi, ce sentiment nostalgique permet de se sentir de nouveau lié à quelqu’un et de ce fait de réduire le sentiment de solitude – prégnant pendant les fêtes (même si physiquement, nous ne sommes pas forcément seuls, il n’est pas rare que nous ressentions les choses autrement). Les recherches de Krystine Batcho ajoutent un autre effet positif de la nostalgie : elle permettrait de maintenir un sentiment de « consistance » de soi. Au cours de nos vies, nous évoluons au travers de tellement de changements, de tellement de traumatismes (pertes, deuils, chocs majeurs…), tellement d’environnements, que garder à l’esprit qui nous sommes, préserver un lien avec notre passé et se souvenir de qui nous avons été ne serait pas si évident.
Le « pic » de fréquence de la nostalgie se situerait au début de l’âge adulte, lors de changements et transitions incontestables, au moment où nous déciderions (plus ou moins consciemment) ce que nous voulons être. Nous choisissions nos voies, nous commençons à travailler, nos relations sont plus sérieuses, nos choix ont plus de conséquences… Lors de ces périodes, recourir à un sentiment de nostalgie permettra de préserver notre identité.
[rightquote]Bien entendu, la nostalgie a aussi son pendant négatif et peut être source de douleur.[/rightquote]Bien entendu, la nostalgie a aussi son pendant négatif et peut être source de douleur. C’est peut-être d’ailleurs pourquoi certains d’entre nous choisissent de remplacer les traditions, de faire fi des conventions familiales, de se tirer se relaxer dans la montagne ou de rester peinard chez soi plutôt que d’aller monter le sapin ou allumer les bougies d’Hanukkah. De la même façon que ces vacances peuvent rappeler un certain bonheur passé, un sentiment d’être heureux, entouré et aimé, elles peuvent également être associées à des moments déplaisants, du stress, des disputes familiales… Auquel cas, nous pourrions tenter d’éviter ces souvenirs douloureux et de se préserver en créant de nouvelles traditions, d’autres habitudes.
Qualifiant la nostalgie de « bittersweet », Krystine Batcho évoque toute la complexité des deux faces de cette émotion : d’une part, la nostalgie permettrait d’accéder à un certain bien-être, réconfort, apaisement et d’autre part, elle contiendrait également quelque chose d’amer, justement parce qu’elle n’est qu’un substitut, que le passé ne se reproduira plus, n’existera plus…
Malgré tout, si l’on se sent nostalgique à propos d’un passé qui n’est et ne sera plus, c’est qu’il a existé – et que nous pouvons peut-être avoir l’espoir qu’il existe de nouveau dans le futur. Si nous nous sentons triste, seul ou malheureux, si nous avons perdu quelqu’un de cher, si nous avons perdu notre job, la nostalgie permet de se souvenir d’un temps où nous étions épanouis, où nous étions entourés de personnes bienveillantes… et donc de se rappeler qu’une situation similaire peut se reproduire.
Psychologiquement, le phénomène rappellerait aussi que notre valeur ne se réduirait pas à l’argent que nous gagnons, au statut que nous occupons, etc.; et que nous pouvons être aimé juste pour ce que nous sommes. La nostalgie rappelle que ce temps-là a existé.
Ainsi, même lors de moments heureux, nous pourrons parfaitement brandir un p’tit coup de nostalgie pour raconter et transmettre des souvenirs d’autres moments heureux, permettant de réunir les membres d’un même groupe d’appartenance autour d’une identité, d’un histoire, d’un mythe commun*…
*OUI, ça fait un peu ésotérique comme conclusion (mettons donc ça sur le dos du trop plein de champagne, Sauternes & autres graisses avalées ces derniers jours).
Pour aller plus loin :
- Interview de Krystine Batcho par l’APA
- Interview de Krystine Batcho par Livescience
- Pour celles qui apprécient, dans « L’ignorance », Milan Kundera offre des réflexions sur l’idée de nostalgie (comme dans la plupart de ses œuvres par ailleurs) (j’aimerais drôlement en parler un peu mieux et vous donner envie d’aller vous plonger là-dedans, mais la vérité c’est que son livre m’a tellement touchée que j’en suis sans voix) (ALLEZ-Y)
Les Commentaires
Même cette année, je suis nostalgique de mes Noël d'enfant qui me plaisaient énormément.
Cette année, je trouve que Noël s'est installé super tard et j'ai pris moins de plaisir à le fêter que les années précédentes même si j'adore le côté famille traditionnel.
Peut être est-ce dû au fait que je suis en période de stress des partiels et ai donc moins apprécié l'évènement.
Mais j'espère qu'un jour je retrouverai le goût de faire la fête et de passer du bon temps sans penser à l'année écoulée.
Merci pour cet article Justine_ qui fait réfléchir et qui aide à comprendre !