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Actualités France

Nos Racines — M. et ses trois nationalités

M. est à la fois libanaise, sénégalaise et française. Mais apprendre à accepter ces trois cultures n’a pas été une mince affaire…
Suite à la création de ce formidable topic par Oprah Gaufrette sur notre forum (rejoignez-nous, on y est bien !), on a décidé de créer cette rubrique « Nos Racines », où on tentera de mettre régulièrement en avant vos histoires familiales. Si vous souhaitez participer, vous pouvez écrire à Mélissa ou sur son mail [email protected] en précisant « Nos racines » en objet du mail !

Niveau origines, je suis française, sénégalaise et libanaise. Pourtant, je ne suis pas métisse, pas physiquement du moins, et cela ne fait pas longtemps que j’assume les trois.

Mes parents (et donc moi-même) sont libanais de sang. Le Liban, c’est ce petit pays de la taille de la Corse situé entre la Syrie et l’Israël, ce petit pays qui abrita en son sein une guerre civile sanglante dans les années 70 — guerre qui dura près de 30 ans. C’est également le pays qui connut une autre guerre, plus courte, en 2006 contre Israël. Le pays qui fut autrefois la « Suisse d’Orient », composée de 50% de musulmans et de 50% de chrétiens se côtoyant sans conflits apparent.

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Le film Je veux voir, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, explore cette guerre.

Bref, je viens de là. Enfin, je suis expatriée, comme la majorité des Libanais sur cette Terre, par ailleurs. Je n’ai jamais vécu là-bas, et je n’y vivrai probablement jamais : les familles de mes parents ont quitté le pays avant la naissance de mon père et ma mère. Je ne suis pas certaine des raisons exactes de ce départ, mais il me semble qu’ils voulaient chercher fortune ailleurs, et que la guerre a été l’« impulsion » nécessaire.

Une identité problématique

Mes grands-parents sont nés au Sénégal où leurs familles s’étaient installées ; c’est là que mes parents sont nés et qu’ils se sont rencontrés, avant de partir vivre en France pour des raisons professionnelles. Beaucoup de gens l’ignorent, mais il existe une communauté libanaise assez importante en Afrique, et notamment au Sénégal !

Petite, j’allais donc un an sur deux voir mes grands-parents maternels qui étaient restés vivre là-bas, tandis que mes grands-parents paternels étaient retournés au Liban. Et honnêtement, je préférais aller au Sénégal qu’au Liban.

Car au Liban, il y a toujours eu la barrière de la langue, et je n’ai donc jamais vraiment pu communiquer avec mes cousins habitant là-bas. Les cours d’arabe ne suffisaient pas, mes parents ne parlaient pas assez libanais à la maison pour que ça nous vienne naturellement. Et, je le sais maintenant, au fond de moi je n’avais pas envie de faire des efforts.

J’ai grandi dans une petite ville, un peu paumée, dans un coin de la France. Ce n’est pas pour autant que mes parents nous ont élevés, mon frère, ma sœur et moi, dans le déni de nos cultures ! Bien au contraire : on mangeait à la libanaise, on prenait des cours d’écriture arabe, on allait un été sur deux au Liban pour voir mes grands-parents paternels et les cousins de ma mère. Et l’été où on ne partait pas au Liban, on voyageait aussi, au Sénégal.

L’école primaire dans laquelle j’étais ne comptait que peu d’arabes, et ils étaient stigmatisés. J’ai été quelques fois victime de racisme et j’ai développé une sorte de blocage envers mes origines, donc avec la langue. Je voulais être française. Je voulais être comme les autres, ceux que je voyais comme les « gens bien ». C’était comme ça que je réfléchissais à l’époque.

J’étais assez timide, et ma culture m’apparaissait comme un poids, quelque chose qui me complexait encore plus.

À lire aussi : Je suis arabe et je ne vous veux aucun mal.

En revanche, au Sénégal, ancienne colonie française, mes cousins parlaient tous français entre eux. L’arabe y était beaucoup moins utilisé : c’était surtout les adultes qui le parlaient entre eux. Je m’y sentais beaucoup plus chez moi, sans complexes, et les vacances que j’y passais étaient toujours mémorables.

Je parle au passé, car cette vie était mienne jusqu’à mon entrée au collège. Plus précisément jusqu’à l’été où mes parents nous ont annoncé, à mon frère ma sœur et moi, qu’on allait y emménager. Quelle joie !

Ce déménagement marqua un profond tournant dans notre vie. Je fus inscrite au collège-lycée français de Dakar, où j’avais l’opportunité de passer un baccalauréat français. La plupart des profs l’étaient et une bonne partie des collégiens-lycéens également. En réalité, la division était plutôt un tiers de français, un tiers de Sénégalais, et un tiers libanais.

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Choisir son camp

Malheureusement, les communautés ne se mélangeaient pas, ou peu. Pour ma part, j’ai des amis dans les trois « camps », mais je suis un peu une exception. Cela dit, dans mes premières années je restais assez instinctivement avec les Français, mais aussi les Sénégalais, étant assez timide avec les Libanais.

On m’appelait « toubab », « française » en wolof, le dialecte local, et c’était vrai quelque part : j’ai un prénom français, je n’ai pas d’accent, je n’ai jamais cherché à adopter les attitudes des Libanais. Ce n’était pas parce que j’étais mate de peau que j’étais libanaise, pas aux yeux des jeunes adolescents en tous cas.

Petit à petit, je me suis fait une place dans ce pays étranger mais si magique dont je pourrais parler pendant des heures… Je me suis attachée au Sénégal, à ses valeurs, je me suis fait des amis ouverts d’esprits, qui ne catégorisent personne (car oui, comme je l’ai répété plus haut, les clans par origine sont nombreux). Je me sentais plus plus chez moi au Sénégal, principalement grâce à la famille que j’y ai. En France, on était tout seuls, les seuls Libanais de notre entourage.

Le Sénégal est un pays avec des valeurs morales et sociales qui sont très proches des valeurs libanaises, celles qu’on m’inculque depuis toute petite. Les Sénégalais eux-mêmes sont culturellement très ouverts, très souriants.. Le contact est plus facile, les gens « jugent » moins d’une manière générale. Les Sénégalais et Libanais s’entendent bien d’ailleurs, même si les deux ne se mélangent pas toujours (on ne peut pas tout avoir).

Mais je ne me suis pas fait une place en tant que Libanaise. Ni en tant que Française. Ni Sénégalaise. J’ai mis du temps à accepter le fait que je ne pourrais jamais rentrer dans une case, même si je le voulais. Et ça ne me fait plus rien, désormais.

Pourtant après avoir dépassé le stade de « oh je vis en Afrique avec ma famille, c’est merveilleux », j’avoue avoir pendant quelques années rêvé du moment où je retournerais vivre en France pour mes études supérieures. L’Hexagone me manquait, et y retourner presque tous les étés aidait à nourrir cette nostalgie.

C’était en quelque sorte ma vision « matérialiste » de l’époque qui me guidait, je crois. Je n’avais pas l’habitude de la plage en France, et il s’avère qu’à Dakar c’est l’une des uniques distractions (surtout quand on est jeune). Les vrais parcs naturels, les parcs d’attraction, les centre commerciaux me manquaient…

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Avec mes parents, on allait souvent à l’aventure en France quand on y habitait, ce qu’on faisait moins au Sénégal — peut-être parce qu’on y avait de la famille à voir le week-end. Et maintenant que j’y pense, je me dis que quelque part, pendant mes premières années à Dakar, je n’avais pas réussi à couper complètement le cordon avec la fille 100% française que je voulais être. Je me rattachais encore à cette vision européenne de moi-même, sans vraiment oser m’ouvrir à autre chose. Tout cela s’est fait en douceur…

Aujourd’hui, je suis retournée étudier en France, près de ma ville d’origine. J’ai découvert avec étonnement que je n’étais nullement attachée à ma ville de naissance, même si j’y avais passé quelques étés depuis mon déménagement. Et je comprends pourquoi. J’avais seulement 11 ans quand j’ai quitté la France et je n’y avais jamais été à ma place. Au Sénégal, les origines de chacun étaient assumées. Mon regard de jeune adulte a désormais changé à ce sujet.

Le Liban et moi

Je suis retournée au Liban à deux reprises depuis que je vis au Sénégal. Il y a toujours la barrière de la langue, mais désormais je veux plus que tout l’apprendre. J’envisage même de faire mon année d’échange universitaire au Liban pour mieux m’imprégner de cette culture qui est, paradoxalement, celle qui m’est le plus étrangère parmi toutes celles que je possède. Je suis en revanche incapable de m’imaginer vivant là-bas. Et ce n’est pas seulement parce que le pays est instable.

Je suis intimement convaincue que je ne trouverais pas beaucoup de points communs entre les locaux et les expatriés d’Afrique. La vie d’expatrié-e change beaucoup plus de choses qu’on pourrait l’imaginer entre deux personnes d’une même culture. Je sais que je m’y accommoderais si je le devais ; après tout, j’y suis parvenue au Sénégal. Mais j’ai l’impression, quelque part, que je ne m’y sentirais pas vraiment chez moi.

À lire aussi : J’ai testé pour vous… être métisse

Trois cultures

Plutôt qu’un fardeau, j’ai appris au Sénégal à voir ma culture des trois continents et mes origines comme une richesse. Vivre là-bas a été le plus beau cadeau que mes parents ont pu nous offrir, à mon frère, ma sœur et moi. Parfois j’imagine ce qu’aurait pu être ma vie si j’avais vécu en France et je souris, parce que j’ai l’impression que je n’aurais jamais pu devenir ce que je suis aujourd’hui.

Je suis au croisement de trois cultures, que j’affiche fièrement à présent. Je ne peux nier aucune d’entre elles ; il ne me viendrait plus à l’esprit de chercher à les cacher. La France est le pays qui m’a vue naître, qui me voit faire mes études aujourd’hui mais que j’idéalise beaucoup moins qu’avant. Le Liban est le pays de mes racines, que j’espère un jour découvrir. Le Sénégal est le pays qui m’a vue grandir, mûrir, et où j’espère un jour vivre.

Je n’attends que la fin de mes études pour retrouver mes amis sénégalais et libanais, que je vois chaque Noël et chaque été. Mes amis français eux, restent plutôt en France et je peux les voir quand je suis là-bas. Je les comprends, c’est chez eux. Alors que désormais, le Sénégal, c’est chez moi.

Au début, mes racines étaient un fardeau. Aujourd’hui elles sont vraiment une richesse, une fierté.

Si vous voulez vous aussi parler de vos origines, et de ce qu’elles représentent pour vous, contactez Mélissa à [email protected], en précisant « Nos racines » en objet !

À lire aussi : Nos Racines – Romy et ses grand-mères chinoises

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Les Commentaires

7
Avatar de Kyalie
12 mai 2015 à 19h05
Kyalie
Voilà qui rappelle des souvenirs ! Pour le coup, j'étais dans la situation inverse : étant française fille d'expat, j'ai vécu en Afrique de mes 9 ans à mes 16 ans.
J'avais beau être dans des écoles françaises, il y avait beaucoup de Libanais, seulement un ou deux Français et le reste c'était un peu de tout ; Polonais, Russe, Bulgare, Belge, Canadien, Togolais, Camerounais et j'en passe ! Quelques mix aussi, du style Danois-Ghanéen, Canado-Singapourienne, Coréenne-Turque-Française, Américain-Arménien-Français...
Ghana, Nigéria, j'ai aussi vécu un an à Madagascar mais l'expérience n'était pas du tout la même, la présence française y était bien plus forte (moins l'impression d'être une exception) et beaucoup de Malgaches à l'école française.
Mais je n'ai pas retiré grand-chose de cette expérience, à part peut-être une philosophie assez globale : les ados d'où qu'ils viennent ne sont pas bien différents. Je n'ai jamais eu l'impression qu'être de différentes origines 'apportait' fondamentalement quelque chose, si ce n'était au contraire la preuve que nous étions très semblables. Il n'y avait aucune discussion sur la religion, et jamais il n'était question des pays d'où l'on provenait - la seule expérience de ce genre à laquelle j'aie pu assister c'est lorsque la franco-turque et le franco-arménien sont sortis ensemble, ça ne s'est pas très bien fini pour des raisons assez évidentes...
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