Publié le 9 novembre 2012.
Le 4 octobre, c’est la journée nationale des aveugles et malvoyants.
madmoiZelle te propose donc de (re)découvrir le témoignage poignant de cette jeune femme, devenue aveugle avant ses 20 ans.
On a tous croisé un jour quelqu’un se déplaçant à l’aide d’une canne blanche ou d’un chien guide. La cécité – ou l’aveuglition, comme dirait un de mes amis féru de néologismes – est un handicap finalement plutôt répandu.
Sauf qu’en voyant certaines réactions on peut se demander si les gens se rendent compte de ce que ça implique.
Je ne suis pas là pour faire un pamphlet sur l’ignorance ingénue de la masse populaire et sur la marginalisation des personnes en situation de handicap — même si quand même, on se demande parfois si certaines personnes n’ont pas été finies à l’huile de foie de morue…
Mais bref. Je suis aveugle. Ou devrais-je dire non-voyante ? J’imagine que ça dépend des gens. Non-voyante c’est plus soft, plus politiquement correct… perso, je m’en fiche pas mal.
Ça veut dire quoi, être aveugle ?
Qu’on dise ça ou que j’y vois comme à travers une pelle ou qu’il fait noir comme dans l’arrière-train d’un éléphant – non, je ne parle pas par expérience, voyons – les faits sont finalement les mêmes. Je n’y vois rien.
Comment c’est arrivé ? On peut dire que je suis née avec.
Quand j’étais encore un ch’tit bébé, on m’a diagnostiqué une maladie qui provoque une perte progressive de la vision, je vous épargne les détails techniques.
J’ai donc vu un jour. Jusqu’à l’âge de 19 ans, pour tout vous dire. J’en ai 23 aujourd’hui, donc ce n’est pas si vieux.
Devenir aveugle (ou non voyante), quand on a connu la vue
Comme je l’ai dit, ma perte de la vision a été progressive. Enfant, et jusqu’à mes quinze ans environ, j’y voyais plutôt bien, même si je portais une paire de lunettes à double-foyers énormes qui m’allaient si bien.
Je peux même vous dire que j’ai eu un gros crush pour Leo DiCaprio dans Titanic, pour lui et tout un tas d’autres acteurs ou musiciens après ça.
Ce n’est pas parce que j’avais des binocles en cul de bouteille sur la tronche que j’ai pas utilisé mes yeux quand ils marchaient encore. La perte progressive de la vue impliquait un état évolutif.
Et c’est là que ça a merdé le plus je crois.
Aujourd’hui, je me dis que cette période de transition – entre ma première chute de vision à 15 ans jusqu’à la perte totale à 19 ans – a peut-être été encore plus difficile que la cécité totale.
Les conséquences quand on perd la vue progressivement
Perdre progressivement sa vue implique de se réadapter tous les jours. De plus gros caractères sur l’ordinateur, puis une synthèse vocale, l’alourdissement du traitement pour tenter désespérément de freiner le mécanisme…
Puis il y a la force que j’ai mise à lutter contre la disparition de ma vision.
Je ne compte plus le nombre de migraines que je me suis collé en lisant des bouquins papiers, parce que j’étais une dingues de livres et qu’à l’époque les rares livres audios que j’avais testés me semblaient chiants comme la pluie.
J’ai nié les faits en bloc pendant des années. L’étape la plus marquante de cette période a sans doute été mon acceptation de la canne blanche.
J’étais en première, j’ai rencontré pour la première fois une autre fille qui était dans mon cas et elle m’a convaincue que Blanchette deviendrait vite ma meilleure amie. Et ça a été le cas.
Accepter d’être une personne aveugle
Après des semaines passées avec des migraines ophtalmiques à se taper la tête contre les murs, j’ai dû me rendre à l’évidence : je n’y voyais plus.
Et là je me suis dit… Et maintenant ? C’était la fin de ma première année de fac et le début d’une période entre dépression, acceptation et adaptation qui a duré un peu plus de deux ans.
J’ai passé un été dans un état larvaire, complètement abattue, avant de me bouger le train et d’accepter de l’aide. J’ai été pour ça passer quatre mois dans un centre de rééducation spécialisé pour mal et non-voyants.
Et c’est dingue tout ce qu’il m’a fallu réapprendre à faire.
Quand on devient aveugle, il faut tout ré-apprendre
Là-bas, j’ai bénéficié d’une grande aide, d’un personnel de rééducatrices géniales et de quelques rencontres qui m’ont beaucoup aidée dans mon acceptation.
J’ai appris à parcourir la ville avec ma canne, je sais aujourd’hui me déplacer seule sur des trajets bien connus. J’ai appris tout un tas de petites techniques pour la vie quotidienne, le ménage, la cuisine, tout ça…
J’ai aussi réappris le braille et à utiliser un ordinateur avec une synthèse vocale. La libération pour la geek que je suis. Suite à mon séjour dans ce centre et grâce au soutien de certaines de mes amies, j’ai avancé.
Je ne dis pas que j’y suis arrivée au bout de quatre mois : les deux ans qui ont suivi ont été plutôt catastrophiques niveau sociabilisation.
À la fac je ne voulais pas me lier avec les autres, j’avais l’impression d’être à part. J’ai fait une belle petite dépression, ma vue me manquait même si je faisais comme si ce n’était pas le cas, comme si j’étais une warrior.
Être une enfant mal-voyante…
Ah, autrui… Comme dirait mon bon vieux pote Sartre, « l’Enfer, c’est les autres ».
Quand j’étais gosse, les autres enfants m’affublaient de jolis surnoms tels que « la bigleuse » ou « la binocle » et se pointaient devant moi, une main brandie devant mon visage, en disant « Hey hey,combien j’ai de doigts ?
».
Les enfants sont merveilleux de tolérance et de délicatesse, n’est-ce pas ? Le collège a été le pire, je peux vous dire qu’il y en a qui ont mangé du sable ou qui se sont pris des coups de pied, façon « Hey, c’est pas ma faute, je t’avais pas vu » !
Et devenir une adolescente encore plus mal-voyante
Quand je suis arrivée au lycée, ça s’est calmé. Et c’est là que j’ai commencé à devoir faire face aux adultes, par l’intermédiaire de mes profs d’abord. Avant, c’était agrandissement des documents papiers, un tiers-temps pour les contrôles et c’était plié.
Là, il a fallu procéder à des adaptations beaucoup plus grandes et je peux vous dire que j’en ai rencontré des débiles avec le crâne aussi dur qu’un bloc de granit et l’esprit aussi fermés qu’une huître.
Surtout que j’avais choisi option cinéma/audiovisuel au bac et que je devais réaliser un film… Oui, c’est très logique de ma part, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Quand je suis arrivée à la fac, j’ai bénéficié de l’aide du service handicap de mon université. Ça n’a pas toujours été simple mais tous les profs et le personnel administratif de l’éducation supérieure ne sont pas des insensibles qui m’ont laissé patauger dans ma bouse.
J’ai rencontré au cours de ces cinq dernières années de super personnes, de super assos qui m’ont même permis d’avoir mon premier vrai job cet été.
À la fac, j’ai rencontré des camarades de promo qui voulaient juste m’aider, au départ, et avec qui je suis devenue très amie aujourd’hui.
Les autres et moi, personne aveugle
Pourtant, malgré toutes ces personnes géniales, il reste des réactions qui me font parfois grincer des dents. Ok, j’y vois rien mais bon sang, ça veut pas dire que je suis stupide !
Je ne compte plus le nombre de fois où je suis allée demander des renseignements ou effectuer des démarches quelconques et que l’on expliquait tout à la personne qui m’accompagnait, comme si j’étais pas fichue de capter.
Hé oh, je suis là et je te comprends. Dans un autre genre, pour illustrer l’intelligence de certains, je me souviens d’avoir bousculé une personne un jour et de m’être faite enguirlander comme du poisson pourri. Le gars m’a dit :
« Tu peux pas faire gaffe où tu vas espèce de débile ? »
Je lui ai montré ma canne et je lui ai dit que je ne l’avais pas vu. Il a continué :
« Ouais c’est bon, te la joues pas non plus t’aurais pu faire gaffe quoi »
Connard.
Aider correctement les personnes aveugles
Il y a aussi celles et ceux qui veulent aider mais qui s’y prennent comme des manches. Je ne les blâme pas car au moins ils essaient.
Sauf que ça m’est déjà arrivé de me paumer complètement après qu’on m’a fait traverser une rue, tout ça parce que j’avais le malheur de rester debout sur le trottoir en attendant quelqu’un.
Elle m’a chopée par le bras et hop, de l’autre côté de la route mémère. C’est gentil mais euh…
Les questions qu’on te pose quand t’es une personne aveugle
Puis il y a les gens qui posent plein, plein de questions. Pour ma part, ça ne me gêne plus de parler de mon handicap et je suis prête à répondre à toutes les questions mais…
Quand il y en a beaucoup, et du genre « Ah bon, tu regardes des films ? » ou « T’as vu ? Ah non pardon c’est vrai que tu vois pas »… Je sais que ça peut paraître bizarre mais parfois, certaines personnes le disent vraiment lourdement.
Quand c’est un enfant qui le fait innocemment, je lui en veux pas. Quand c’est un adulte, ça passe déjà moins. J’imagine que le problème n’est pas la question en elle-même mais le contexte et la manière dont on la pose.
Sur une note plus légère, une petite fille de 5 ans m’a un jour demandé :
« Mais comment tu fais pour manger ? »
Et sa sœur du même âge a répondu :
« Bah avec une fourchette, tu crois quoi. »
J’adore les gamins !
Et maintenant, comment ça va ?
Aujourd’hui, j’ai appris à vivre avec le handicap. J’ai encore parfois certains passages à vide où la vue me manque mais j’ai trouvé des moyens de compenser.
Le plus dur reste la dépendance aux autres pour tout un tas de choses que je ne peux pas faire seule, et aussi la limite dans mes choix professionnels.
Je voulais devenir éducatrice de jeunes enfants mais on m’a fait comprendre qu’avec ma cécité et le risque que ça représentait pour les enfants au niveau de la surveillance, ça n’allait pas être possible.
J’aimerais avoir un petit boulot à côté de mes études, mais tout ce qui est restauration ou baby-sitting, je m’assois dessus. Je pense que c’est là le plus gros souci que j’ai.
Car malgré tout, la vie continue et bon sang, je n’ai que 23 ans et encore plein de trucs à vivre !
Alors oui, je me prends des poteaux ou des poubelles dans la rue parfois, je suis incapable de dire si une personne est sexy, et je n’ai plus autant de plaisir à regarder les matchs de tennis qu’avant puisqu’avec uniquement l’audio, ça ressemble à un film cochon…
Mais aujourd’hui, je suis en Erasmus à Glasgow, j’espère bien intégrer un master à Paris l’an prochain et faire encore un tas de choses. Alors je continue mon petit bout de chemin, munie de ma canne et de beaucoup de volonté.
Et si quelqu’un me cherche des noises, il se prend un coup de Blanchette !
À lire aussi : Je suis sourd et je le vis très bien, merci
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