Article publié le 5 janvier 2022
Dans notre rubrique, Débats de parc, on fait le point sur les grands débats de la petite enfance, parfois si clivants !
Comme souvent en ce qui concerne l’éducation, d’anciennes manières de faire côtoient de nouvelles pratiques. Et quand on est jeunes parents, on hésite à reproduire ce qu’on a connu ou prendre en compte les recommandations toutes récentes… On peut être un peu paumées et finir avec un gloubi-boulga un peu étrange et pas très cohérent.
Qui n’a jamais entendu le classique : « Tu ne sors pas de table sans avoir fini ton assiette » ? J’ai failli manquer un après-midi d’école à cause de cette règle…
Les obligations que l’on impose aux enfants de manger ou de goûter sont-elles légitimes ou néfastes ?
On a donc invoqué deux spécialistes de l’éducation pour nous aider à y voir un peu plus clair, à savoir Marie Chetrit, docteure en sciences, qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante et Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant, qui a publié Pour ou contre ?, Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques.
Biberons et plats : même combat
Les bébés, au tout début, ont parfois du mal à prendre du poids. Ils perdent d’ailleurs souvent quelques centaines de grammes les premières semaines de leur vie. Alors quand ils s’alimentent peu, on s’inquiète, on cherche par tous les moyens à leur faire avaler le lait. Mais c’est assez simple de comprendre quand ils n’en veulent plus, ils savent bien l’exprimer. Il faut alors arrêter, ne pas forcer le sein ou le biberon.
Pour les enfants légèrement plus grands, on est plus tentés de leur imposer de manger, pour leur bien évidemment mais ce n’est pas une bonne idée ! C’est entre 0 et 6 ans que l’enfant construit son rapport à la nourriture et il n’est pas judicieux de le troubler avec des obligations. Des parents sont tellement inquiets qu’ils peuvent agir de manière irrationnelle alors qu’en général les enfants se nourrissent à leur faim.
Quels sont les risques à forcer et les bonnes pratiques à mettre en place ?
Quels sont les dangers de forcer l’enfant
En forçant un enfant à manger, on le coupe de ses signaux physiologiques de faim, comme nous l’explique Héloïse Junier :
« Quand on force un enfant à goûter ou à ingérer le contenu d’une assiette, on vient le couper de ses signaux de satiété. L’enfant est ensuite beaucoup moins à l’écoute de ces signaux et il va entretenir un rapport moins fin à l’alimentation. Plus le rapport est malaisé, plus il risque plus tard d’avoir une surconsommation ou une sous-consommation des aliments. »
On vient donc mettre à mal son rapport à la nourriture et cela peut avoir des conséquences négatives ensuite. Marie Chetrit abonde également en ce sens :
« Le risque est de générer des troubles du comportement alimentaire. Forcer l’enfant à finir son assiette transforme l’alimentation en jeu de pouvoir entre l’enfant et le parent. L’enfant comprend que cela a de l’importance pour l’adulte. Il ne faut pas rentrer là-dedans.
De plus, pour les enfants qui ont des troubles, forcer ne sert strictement à rien. Il faut mieux tout lâcher et laisser l’enfant se nourrir comme il l’entend. »
Le message est donc clair, il ne faut jamais forcer l’enfant à manger, au risque même d’aggraver les problèmes déjà existants.
Les bonnes pratiques en matière d’alimentation chez les enfants
La base, pour Marie Chetrit, c’est de « servir des portions adaptées à l’appétit d’un enfant » et de le laisser gérer sa consommation de nourriture.
Héloïse Junier ajoute qu’il est bénéfique de les laisser jouer avec les aliments :
« C’est très important de les laisser manipuler avec leurs doigts. Plus on se rapproche du fonctionnement naturel de l’enfant, mieux c’est pour son alimentation. Plus il y a un rapport sensoriel avec la nourriture, évaluer la texture, la température… mieux c’est. »
Il faut donc les laisser faire. Héloïse Junier ajoute :
« Quand il y a un blocage, il faut vraiment que le parent arrête tout. Il faut laisser l’enfant explorer par lui-même. »
Cette consigne rentre tout à fait dans la pratique de la DME (diversification menée par l’enfant), tendance dont les bienfaits sont vantés par nombre de pédiatres également.
La DME consiste à proposer à son bébé des morceaux de nourriture adaptée à ses capacités, et à favoriser au maximum son autonomie pendant les repas. L’enfant va piocher dans son assiette et porter à sa bouche des aliments aux goûts et textures variées dès son plus jeune âge.
Évidemment cela peut être chronophage, le temps d’exploration de l’enfant et le temps de nettoyage ensuite, avec bien souvent un champs de bataille au pied de la table. On comprend ainsi que tous les parents n’aient pas le temps et l’envie de se lancer dans cette méthode de diversification.
Selon Héloïse Junier, le repas ne nécessite pas forcément que l’enfant reste à table, cloué à sa chaise. Elle nous explique :
« Il faut qu’ils puissent se lever, quitter la table et revenir. La position assise pour les tout-petits est inconfortable. »
Dans tous les cas, il ne faut donc pas trop de contraintes, que le repas soit un plaisir !
Faut-il qu’ils goûtent à tout ?
Les enfants préfèrent-ils le sucre ? Ont-ils peur des choux de Bruxelles et autres épinards ? On a demandé à Héloïse Junier de nous expliquer les appétences et les dégoûts des petits :
« Ils sont plus attirés par le sucre et les féculents, comme les pommes de terre, les pâtes, le pain. Ils ont une appréhension naturelle des légumes, de par l’odeur plus âpre et plus acide. »
En sachant cela, faut-il les forcer à tout goûter ? Les deux spécialistes ont un avis similaire sur la question. Pour Héloïse Junier, il ne faut pas insister, même pour une cuillère :
« On pense que l’enfant ne sait pas si c’est bon ou pas. Mais de par les signaux – l’odeur et la vue – que lui adressent le plat, ça lui suffit pour se faire une idée du plat. Forcer un enfant à mettre quelque chose à sa bouche, ça va à l’encontre de sa propre prédisposition, ça contribue à créer un rapport malaisé à la nourriture.
Les recherches montrent qu’il faut plusieurs expositions à un aliment pas transformé pour que l’enfant puisse avoir envie d’y goûter, avant de déclarer forfait. »
Pour Marie Chetrit, on peut demander à ce qu’il goûte mais pas si ça se transforme en une foire d’empoigne, ce qui serait contre-productif.
Doit-on limiter la prise de nourriture ?
Certains enfants sont plus gourmands et certains aliments ont des qualités nutrionnelles bien meilleures que d’autres. Faut-il réguler les quantités de nourriture de nos marmots ? Pour Héloïse Junier, l’attention doit se porter sur le sucre particulièrement :
« Attention aux sucres très rapides qui risquent de mettre en hyperglycémie, du coup de les rendre plus irritables. En début de repas, on va éviter de mettre des sucres trop rapides sur la table parce qu’ils vont plus les manger et ça va couper l’appétit de l’enfant.
Si les aliments sont adaptés à ses besoins, on va le laisser gérer lui-même, le contenant de l’assiette et ne pas le priver de dessert. »
Pour Marie Chetrit, il faut aussi rester vigilants sur le grignotage et sur la prédisposition des enfants à préférer les desserts :
« Il y aussi la question du grignotage entre les repas. La gestion des fringales est compliquée. Il faut essayer de les empêcher de grignoter juste avant les repas, ce qui leur coupe l’appétit. »
En revanche, si le plat n’est pas terminé, le dessert au chocolat est compromis… Marie Chetrit nous explique :
« Si l’on a plus faim pour la portion raisonnable de coquillettes, ce n’est pas pour aller manger deux Danette. Si on n’a plus faim, on n’a plus faim. Tout en considérant l’équilibre alimentaire, si on n’a pas fini ses légumes, on peut manger quand même un yaourt. Veiller à l’équilibre alimentaire, c’est sur plusieurs jours. »
Pour résumer, il ne faut pas forcer les enfants à manger. Plus on les contraint, plus cela peut créer un blocage. Les laisser expérimenter les textures avec les mains est une bonne chose, sans pression non plus car c’est compliqué à mettre en œuvre. Le repas doit avant tout être un moment de partage et de plaisir. Et bon appétit, bien sûr !
À lire aussi : Faut-il laisser pleurer les bébés ? On fait le point dans Débats de parc, notre nouvelle rubrique !
Image en une : © Canva/Getty Images
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
Du coup je faisais moi-même la démarche de re-goûter régulièrement des trucs que j'aimais pas pour voir si ça avait changé