Dans notre rubrique, Débats de parc, on fait le point sur les grands débats de la petite enfance, si clivants ! Après Faut-il laisser pleurer les bébés et Faut-il punir les enfants ?, on s’attaque à un autre gros morceau : faut-il forcer les enfants à faire des bisous ?
En crèche, certains parents demandent aux enfants de faire un bisou à chaque professionnel le matin et le soir. À Noël, un enfant se cache derrière ses parents car il ne veut pas dire bonjour. On va donc le forcer à aller déposer un bisou sur la joue pleine de fond de teint de tata Monique.
Des situations qui peuvent être banales en apparence, surtout quand le Covid est moins présent, mais qui sont maintenant remises en question… il était temps !
On ne va pas forcer un adulte à embrasser un autre adulte, alors pourquoi le faire pour les enfants ?
On a invoqué deux spécialistes de l’éducation pour nous aider à y voir un peu plus clair, à savoir Marie Chetrit, docteure en sciences, qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante et Héloïse Junier, psychologue spécialiste du jeune enfant, qui a publié Pour ou contre ? Les grands débats de la petite enfance à la lumière des connaissances scientifiques.
Une obligation adultomorphe
On force les enfants à reproduire les comportements des adultes qui se font la bise, alors qu’ils n’ont pas la même façon de fonctionner. Héloïse Junier nous le dit :
« On a du mal à se décentrer et à comprendre que l’enfant fonctionne différemment, qu’il a sa propre subjectivité aussi. On veut des mini-adultes autour de nous alors que ce sont juste des enfants. »
Pour Marie Chetrit également, cela a trait à notre façon de voir les enfants comme des mini-adultes ou comme des animaux à éduquer :
« C’est vraiment une chosification de l’enfant, comme si c’était une poupée ou un petit animal. »
Laissons les enfants grandir à leur rythme. Ce n’est pas seulement inadapté à leur psychisme en construction de forcer les enfants à embrasser mais cela peut également avoir un aspect dangereux.
Apprendre la notion de consentement dès le plus jeune âge
Apprendre aux enfants à refuser un contact physique non désiré peut être utile dans leur acquisition de la notion de consentement. Pour Marie Chetrit :
« C’est la question de la disposition ou pas de l’autre. Pour l’apprentissage du refus des contacts non désirés, je trouve ça très important que l’enfant puisse dire : « non, je ne veux pas embrasser ». Si les grands-parents ou d’autres sont vexés, tant pis. […] C’est important pour la capacité qu’un enfant aura à refuser des gestes déplacés et à en parler après. »
Embrasser ne devrait donc pas être automatique. Le fait de faire un câlin ou un bisou pour les adultes est aussi une marque d’affection, en dehors de la politesse contrainte. Cela devrait aussi être le cas chez les plus jeunes, comme nous l’indique Marie Chetrit :
« Il y a une période où les enfants sont très méfiants, où ils n’ont pas envie. C’est important qu’ils passent par cette phase. Il faut qu’ils parviennent à jauger la relation, le degré d’affection. Est-ce que c’est une convention sociale ou un geste d’affection et de confiance ? »
Les bisous se font avec des personnes proches, surtout en ces temps de Covid (poke le respect des gestes barrières). Ce sont des marques d’affection qui s’accordent, qui ne s’exigent pas. Un bisou, ça peut avoir de la valeur !
Et la politesse alors ?
Les câlins et les bisous ne font pas partie de la politesse ! Évidemment, la politesse est importante, c’est un rouage de la bonne entente en société, du respect de l’autre. Comme l’écrit Marie Chetrit dans son livre :
« La politesse est également un moyen de réguler les tensions entre individus, de limiter l’agressivité et d’éviter les débordements : il y a donc une véritable utilité sociale. »
Les enfants ne sont pas en âge de comprendre quand ils sont tout petits, ce qui ne les empêche pas d’énoncer ces marques de politesse. On peut tout à fait leur apprendre à imiter, même si cela n’a pas vraiment de valeur pour eux, comme nous l’explique Héloïse Junier :
« Pour les tout-petits, les mots de politesse n’ont pas de sens. Ils ne comprennent que les mots concrets, physiques. « Merci », « s’il te plaît », « je t’aime », « pardon »… ce sont des mots qui sont abstraits, qui tiennent de dynamiques sociales, et qu’ils ne peuvent pas comprendre avant d’être décentrés. Pas avant l’âge de 4 ou 5 ans. Avant, il s’agit d’un conditionnement, mais ça n’a pas de valeur pour eux. »
Les petits associent donc des mots à des situations précises. Il n’est pas nécessaire de le forcer mais a priori l’enfant va reproduire ce comportement de politesse par imitation.
Pour Marie Chetrit, quand un enfant refuse de dire bonjour, ça ne sert à rien de s’entêter ! Il faut en reparler avec lui après, en lui disant l’importance d’être poli, en lui expliquant que ça montre que l’on est attentionné envers la personne, lui montrer l’exemple et lui faire comprendre les enjeux de la politesse. On doit aussi s’adapter au caractère de l’enfant. Elle précise :
« Il y a des enfants qui sont extrêmement timides. J’étais une petite fille très timide donc je connais ce problème. Un regard, un sourire, c’est comme dire bonjour. Ça s’apprend petit à petit. »
On peut tout à fait comprendre cela, beaucoup d’entre nous sont timides. Pour certains, même un mot peut coûter. Ce n’est pas de la mauvaise volonté et le fait de forcer l’enfant peut encore plus le braquer. Comme tous les apprentissages, celui de la politesse peut prendre un peu de temps.
Que faire ?
Pour résumer, il ne faut pas forcer mais éduquer les enfants aux paroles de politesse. Et en ce qui concerne les contacts, les bisous baveux et autres embrassades, ce n’est jamais une bonne idée de contraindre les enfants. Si on est polis, nos enfants seront polis. C’est un apprentissage et c’est donc progressif.
Et en ces temps de Covid, c’est aussi la santé publique qui nous dira merci. C’est bien une des seules choses de bénéfique que le virus nous aura apporté, l’arrêt de la bise obligatoire.
De la même manière que les hommes devraient arrêter de dire aux femmes de sourire – parce que c’est plus joli ! – cessons de forcer nos enfants à embrasser contre leur gré ! La politesse et le consentement sont des notions qui s’acquièrent avec le temps et comme nous venons de le voir, elles peuvent être liées.
À lire aussi : Faut-il punir les enfants ? On s’attaque au sujet du siècle dans Débats de parc
Image en une : Canva/Getty Images
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