— Article publié le 12 décembre 2005
Adulte, on a souvent la nostalgie de l’époque enfantine, quand Noël était plus magique qu’un sourire de Pokémon. Pour mettre à la poubelle cette nostalgie en même temps que le sac à sapin, faisons preuve de distance scientifique et observons rationnellement le phénomène : je te propose un voyage au pays du bambin (que nous appellerons ici Individu Jeunifère) pendant Noël. Et oui, j’aime les gosses (précisons-le avant de recevoir un ou deux mails d’insultes)
« L’avant Noël » chez l’Individu Jeunifère
Le temps ayant pour lui une valeur toute relative, l’Individu Jeunifère (aussi appelé « morveux ») se fie à certains phénomènes annonciateurs des fêtes pour évaluer la distance qui le sépare de Noël. Exemple : l’apparition des premières décorations dans les rues, la floraison des catalogues de jouets au beau milieu des prospectus habituels, ou encore la migration des pubs pour jouet de la tranche horaire des « petits » (c’est-à-dire juste avant, pendant et juste après les émissions pour enfants) à celle des « grands » (tout le temps).
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Dès lors, son métabolisme s’adapte à la saison, et l’individu jeunifère commence à préparer Noël par un certain nombre de rites tribaux. À commencer par la fameuse liste au Père Noël, un recueil de rêves capitalistes parfois freinés par des parents désespérés :
– Mais… Euh… Tu sais, le Père Noël, il a pas un très grand traîneau. Si tu mets autant de jouets sur ta liste, y aura plus de place pour les cadeaux des autres enfants dans l’expédition de Papa Noël
– C’est pas grave, il aura qu’à passer chez nous en premier, d’abord.
L’Individu Jeunifère accorde également un soin particulier à décorer le foyer en vue des festivités. Et oui : pour lui, pas de Noël sans décorations. Et pas de décorations… Sans travaux manuels. Bien sûr, la guirlande industrielle et ses paillettes, ça en jette. Mais pas autant qu’une guirlande home made fabriquée avec amour. C’est pourquoi dès le mois d’octobre, l’individu jeunifère commence son travail artisanal dit de « décorations de nowel », se heurtant parfois à la stupidité d’un public perplexe :
– Mais… Poussin… Pourquoi tu gardes le carton qu’il y avait sous le gâteau ? – Ben c’est beau, c’est doré. Alors je vais faire une guirlande avec.
Ou encore :
– Dis, c’est quoi ces merdes en alu qui traînent partout, là ? – Chuuut, c’est les décos des enfants ! – Ah… Et celui-là, y représente quoi ? Une côtelette ? – Non. Un ange.
L’avant-garde est toujours incomprise…
Le « Pendant Noël » chez l’individu jeunifère
Le repas du réveillon
Le nez dépassant à peine de la table, l’Individu Jeunifère observe avec attention la faune familiale en train de festoyer. Mamie, un verre à la main, entonne des chansons dont il ne comprend pas toutes les paroles mais qui font beaucoup rire les grands. L’Individu Jeunifère demande alors un peu d’éclaircissement à un adulte, par exemple « le tonton ». Celui-ci l’informe qu’il s’agit de « chansons pas hiardes ». L’individu jeunifère note pour plus tard.
Après quelques heures d’orgie, il est fréquent que les adultes s’adonnent à la violence. Papy se dispute avec maman et papa avec papy, qui se dispute avec mamie, qui se dispute avec tonton. C’est souvent à la faveur de ce moment de flottement que l’Individu Jeunifère laisse libre court à ses instincts bestiaux. Par exemple, en effectuant un raid « saccageons le sapin » avec ses cousins. Ou encore en nouant les lacets des adultes ensemble. Anarchique et décadente, la soirée lui paraît d’un exotisme rafraîchissant. D’autant plus qu’il peut rester debout tard et bouffer plein de bonbons.
Les cadeaux
Les Individus Jeunifères les plus chanceux ont droit à la visite du Père Noël le soir du réveillon. Le personnage fait peur aux uns, enchante les autres et paraît suspect à tous. Logique : la barbe est de traviole, on voit que le bide est en toc et en plus, en plus, Papa Noël sent le tabac. Plus tard, ces indices contribueront à faire tomber un mythe, mais pour le moment, ils provoquent simplement l’hilarité des adultes : « Mais non, mais non, y fume pas. C’est les rennes qui fument ! », explique tonton à l’Individu Jeunifère. Qu’il est con, ce tonton.
Dans l’ensemble, les cadeaux sont bien accueillis, surtout quand ils sont plusieurs et que l’emballage est attractif. La valeur pécuniaire importe peu aux yeux de l’Individu Jeunifère, il faut le savoir. Celui-ci fait d’ailleurs preuve d’une certaine tolérance quant au contenu du cadeau. S’il a demandé à Papa Noël un cadeau bien précis et que le vieux barbu lui en apporte un radicalement différent, l’individu jeunifère met cet incident sur le compte du surmenage et passe outre. Mais que Papa Noël ne s’avise pas de lui apporter un cadeau qui tente de se faire passer pour l’objet demandé tout en étant en réalité une pâle copie de l’original. L’Individu Jeunifère déteste qu’on le prenne pour un con et sait réagir en conséquence :
– Mais ? C’est pas une Barbie, ça ? – Mais si regarde. Elle s’appelle Bibie. Bibie, Barbie… C’est pareil. – Nan. Elle, elle est moche, d’abord. Mois je voulais une Bar-bie.
Charmante enfance…
L’après Noël chez l’Individu Jeunifère
Sauf exception, l’Individu Jeunifère a beaucoup de mal à faire le deuil de Noël. En général, il s’oppose à l’enlèvement des décorations et de tout ce qui peut lui rappeler la fête. On a ainsi vu des familles arborer un sapin cadavérique jusqu’au 1er avril pour sauvegarder la paix du foyer :
– Bon écoute Logan. Le sapin, là, il est mort. Comme le poisson rouge, tu te souviens, du poisson rouge ? – Oui. Je me souviens qu’il est mouru. Mais c’est pas moi que je l’avais mis au micro-ondes. C’est pas ma faute. – Mais non c’était pas toi, je le sais. – Et le sapin il est pas mort, d’abord. Regarde, il a fait des bébés dans son pot ! – Mais non, Logan, c’est des mauvaises herbes, ça. – Mais on peut mettre une guirlande dessus. Non ?
Créative jeunesse…
Très vite, toutefois, le cycle de la vie reprend ses droits, et l’Individu Jeunifère met Noël de côté au moins jusqu’au mois de septembre suivant, lorsque la rentrée des classes, puis les calendriers marketing de plus en plus précoces, lui rappellent que le gros barbu attend sa liste… Ah, pureté de la magie de Noël…
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