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Makoumé Superstar de Noam Sinseau à la Villette
Humeurs & Humours

Noam Sinseau mêle humour, poésie et voguing pour son premier seul en scène, « Makoumé Superstar »

Ce jeune Martiniquais se rêvait journaliste avant de se retrouver humoriste, tout en écrivant des poèmes et faisant partie de la ballroom scene. Avec son premier seul en scène « Makoumé Superstar », il conjugue ses talents pour danser, poétiser, faire rire, et surtout éduquer autour de violences comme le racisme et l’homophobie. Interview.

« Je ne veux pas faire rire parce que je suis un stéréotype. Je veux faire rire pour combattre les stéréotypes », résume Noam Sinseau, artiste martiniquais de 25 ans qui présente en décembre 2023 son premier seul en scène, « Makoumé Superstar ». Le premier mot sert d’insulte en créole qu’on pourrait traduire par « pédé » et semble en opposition avec le deuxième. Mais c’est tout l’enjeu de ce spectacle mêlant humour, poésie et voguing que de retourner les stigmates racistes et homophobes pour en tirer de la fierté et de la puissance. Madmoizelle a donc interviewé cette future superstar du stand-up français pour parler de réappropriation d’insultes, de négritude, de Beyoncé, mais surtout de comment on peut faire rire sans renforcer des violences systémiques, mais plutôt pour les déconstruire.

Makoumé Superstar de Noam Sinseau

Interview de Noam Sinseau, « Makoumé Superstar » de l’humour français

Madmoizelle. Quand et comment as-tu compris que tu es drôle ?

Noam Sinseau. J’ai toujours su que j’étais drôle, car j’ai toujours fait rire mes potes. Ça a toujours été un moyen pour moi de m’intégrer, alors que j’ai longtemps été victime de harcèlement homophobe. Ça m’a même aidé à prendre du recul par rapport à ça. On se moquait de moi ? Eh bien, ils n’étaient même pas à la hauteur de ce que je pourrais dire sur moi-même. Cette autodérision m’a servi de bouclier : je me moquais de moi avant que les gens aient le temps de le faire.

Je voulais être journaliste, mais le métier d’humoriste y ressemble un petit peu dans la mesure où l’on raconte des histoires les plus vraies possibles, on réagit à l’actualité pour informer et divertir, et on peut en tirer une forme de morale qui aide à mieux comprendre le monde.

Qu’est-ce qui t’a amené à penser que tu pouvais faire de l’humour un métier ?

Après avoir grandi en Martinique, je suis venu en Hexagone suivre mes études supérieures. L’humoriste Marine Baousson est tombée sur l’un de mes threads sur Twitter, m’a trouvé hilarant, et m’a proposé de venir participer au One Mad Show. Puis j’ai reçu d’autres invitations pour des scènes comme le cabaret La Flaque. J’ai fait très peu de demandes pour participer à des plateaux, c’est plutôt au fil des propositions que j’ai grandi dans le stand-up et que j’ai compris que j’avais un potentiel professionnel.

Ce n’est que depuis 2023 que je l’envisage comme tel. J’ai quitté mon job alimentaire de surveillant dans une école en mars 2023 pour faire de l’humour mon activité principale. J’avais déjà commencé de manière informelle en 2019, et de manière plus professionnelle depuis 2021. Mais je n’avais pas de représentations d’autres hommes humoristes noirs et gays en France, alors je pensais que c’était impossible. Je ne veux pas faire rire parce que je suis un stéréotype. Je veux faire rire pour combattre les stéréotypes. Je veux contribuer à faire avancer les droits des personnes LGBT+. Et ça peut être un métier à plein temps tant il y a à faire.

En quoi faire partie du collectif d’humoriste féministe et queer Comedie Love aux côtés de Tahnee, l’autre, et Mahaut Drama a été un espace de professionnalisation pour toi ?

Tahnee et Mahaut ont créé ce collectif Comédie Love en 2019 comme une scène ouverte aux talents féministe et queer, et m’y ont invité très tôt. Elles me connaissaient d’avant et avaient davantage confiance en mon humour que moi-même à l’époque, alors elles m’ont rapidement proposé de venir faire une scène par mois. Elles ont été des modèles pour moi et jouer mensuellement à la Nouvelle Seine m’a effectivement permis de me professionnaliser, de prendre confiance, et de roder mon spectacle. Aujourd’hui, le Comédie Love devient vraiment comme un label qui accueille d’autres humoristes féministes et/ou queers pour composer un plateau, c’est génial.

Qu’ont-elles vu en toi qu’elles ne voyaient pas chez d’autres humoristes, à ton avis ?

Elles m’ont permis de croire que je pouvais effectivement combiner sur scène toutes les facettes de ma personnalité éclectique pour en faire un spectacle mêlant stand-up, voguing, et poésie. Que je n’avais pas à choisir, que je pouvais briser les règles, car ça fait justement partie de ma personnalité que de les outrepasser continuellement.

Est-ce qu’on t’a déjà demandé de choisir entre le stand-up, le voguing et la poésie par le passé ?

Oui, et c’est le genre de remarques qui me font toujours rire. Le stand-up, c’est assez strict, en réalité. On pourrait le résumer à une lumière sur un rideau, un micro face au public, et basta. Mais je ne veux pas être stand-upper, je suis un artiste complet. Ça peut paraître prétention, mais je me suis beaucoup inspiré de Beyoncé pour sa manière de travailler, son exigence, sa multidisciplinarité, et sa capacité à faire vivre plein d’émotions au sein d’un même show pour composer le mien.

Justement, qu’est-ce que ce mélange de talents te permet de faire ?

À l’issue de la toute première date de mon seul en scène « Makoumé Superstar » le 6 décembre 2023 à l’Appart de la Villette, des gens sont venus me voir pour me raconter avoir appris plein de choses, traversé plein d’émotions différentes. Ça m’a fait chaud au cœur car je n’ai pas envie de faire rire pour faire rire, je veux faire rire pour faire grandir. L’humour n’est qu’un canal parmi d’autres pour partager mes messages d’acceptation, d’estime de soi, d’anti-racisme, de lutte contre l’homophobie, d’intersectionnalité.

D’ailleurs, dès le titre de ton seul en scène, tu opères une forme de retournement du stigmate. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?

En effet, « makoumé » est un terme créole qu’on pourrait traduire en français par « pédé ». J’ai vécu les 18 premières années de ma vie en Martinique, et c’est l’insulte que j’ai sans doute le plus entendu contre moi. En Hexagone, plein de personnes queers ont l’habitude de la notion de retournement du stigmate, c’est-à-dire de la réappropriation d’une stigmatisation pour en tirer de la fierté et de la force. Mais c’est bien moins le cas dans mon île d’origine. Les gens n’ont pas l’habitude qu’on puisse trouver de la puissance dans le fait de s’appeler soi-même makoumé avec fierté. Or, Aimé Césaire, grand auteur, poète, intellectuel, et homme politique martiniquais, a fait le même genre de retournement du stigmate avec le mouvement littéraire et politique de la négritude. C’est une personnalité très admirée en Martinique, donc si on le connaît un tant soit peu, on devrait pouvoir comprendre ce que j’opère avec makoumé.

Qu’est-ce que ton seul en scène Makoumé Superstar te permet d’accomplir ?

Je veux faire de la scène un espace de transformation artistique, par le rire, la poésie, la danse. J’y retourne beaucoup de douleurs subies pour les sublimer par l’art, et ça me permet de remettre plein de choses à leur place. Arranger les autres, c’est aussi s’arranger soi-même, pour créer un cercle vertueux. La scène peut être un espace de soin, de réparation, d’élévation, d’éducation.

Makoumé, c’est pas juste être gay. C’est être une personne antillaise et queer. C’est un spectacle contre le racisme et l’homophobie. Mon identité est à l’intersection de ces deux choses-là. J’y parle notamment de l’impact de la colonisation sur les personnes LGBT+ aux Antilles. J’y évoque Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas. Et les personnes antillaises qui ne sont pas queers ont autant à y apprendre sur elles-mêmes que les personnes queers qui ne sont pas antillaises. Et même si on entre dans aucune de ces catégories, on peut apprendre plein de choses. C’est un spectacle pour tout le monde.

Qui sont tes références en termes d’écriture ?

En France, Shirley Souagnon, évidemment. Mahaut, Tahnee, Lou Trotignon et Alicia, c’est tout. Aux États-Unis, j’aime beaucoup, Hannah Gadsby et Matteo Lane.

À lire aussi : Lou Trotignon, humoriste trans : « C’est ok de douter, ça peut même être une identité »

En quoi savoir qu’on attire un public principalement féministe et queer influe sur l’humour et sa réception ?

Ça me permet de ne pas me poser mille questions sur la façon dont mes blagues vont être perçues. Je n’ai pas besoin de me justifier, de trop préparer le terrain. Trop d’humoristes hommes cis hétéros ont l’habitude de faire des private jokes racistes, homophobes, sexistes. Nous, personnes féministes et queers, quand on fait des privates jokes, elles ne reposent pas sur le renforcement de violences systémiques, au contraire. Elles participent à les déconstruire.

On sait ce que c’est que de se prendre des balles perdues de la part d’humoristes cis hétéros incapables de se décentrer. Alors on fait beaucoup plus attention au potentiel problématique de la moindre blague. On ne veut blesser personne. Ça demande beaucoup plus de travail, d’exigence, de sensibilité, pour ne pas reproduire ces schémas-là. Mais on en est que d’autant plus drôles.

« Makoumé Superstar » de Noam Sinseau se joue à l’Appart de la Villette (9 avenue du Nouveau Conservatoire, 75019 Paris) jusqu’au 27 décembre 2023.


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