À l’occasion du festival de la BD d’Angoulême, qui a lieu du 25 au 28 janvier, on a rencontré Nine Antico. Elle nous a ouvert les coulisses d’un album aux allures gothiques, mais habité par de multiples désirs de liberté et d’émancipation.
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Madmoizelle. Comment présenteriez-vous Madones et putains à quelqu’un qui ne l’aurait pas lu ?
Nine Antico. Ce sont trois contes macabres dans le sud de l’Italie du XXème siècle. Des histoires de jeunes femmes dont les désirs ont été frustrés, qui viennent hanter les récits. Dans chaque histoire, il y a quelqu’un qui n’est pas censé désirer, mais qui pourtant, désire.
Quelle est la genèse de la BD ?
Depuis l’enfance, je vais en Italie du Sud. Il y a toute cette iconographie pieuse qui me fascinait et me faisait flipper en même temps et qui en plus, appartenait à un endroit où j’ai éclos chaque été un peu plus, sensuellement, sensoriellement… c’est l’Italie, la mer, la nudité. C’est un éveil sensoriel qui était contrasté par, à l’intérieur des maisons, ces images parfois macabres, les volets fermés pour empêcher le soleil de rentrer, et ces madones qui veillaient.
Nine Antico, Madones et putains, éditions Dupuis, 144p, 23,50€
Pourquoi avoir choisi de situer votre récit au siècle dernier ?
D’abord, c’est le siècle où je suis née puisque je suis née en 1981. Les histoires que je raconte ne sont pas si loin de moi. Et en même temps, j’aime toujours regarder en arrière dans mes BD pour voir comment le passé résonne avec le présent.
À ce propos, le jury du prix Artemésia, qui vous a été remis début janvier, écrit : « Nine Antico nous donne à voir, et à penser, la condition féminine dans le monde machiste de l’Italie du XXe siècle, pas fondamentalement différent du suivant. »
Il faut être vigilante, ne jamais croire que la victoire contre le machisme est acquise. Je suis toujours frappée par l’ampleur de l’invisibilisation des femmes et la banalisation des violences qu’elles subissent. C’est leur sexualité qui est visée et jugée. C’est tellement intégré dans les histoires, les films, qu’il y a quelque chose à décortiquer, à déconstruire. J’aime bien aller regarder les ambiguïtés, les contradictions, me demander ce qu’est une « mauvaise fille »…
Il est assez rare de voir ces normes déconstruites grâce à une esthétique aussi sombre, aussi gothique…
Oui. J’avais vraiment envie d’aller vers quelque chose de gothique romantique. Il y a quelque chose de charmant dans la silhouette et le visage de ces jeunes filles. C’est un peu le corps innocent, adolescent, mais qui n’est pas innocent comme le voudrait la société.
Qu’est-ce qui vous a intéressée dans cette figure de la madone, de la sainte ?
Ça m’a semblé très proche de ce qui s’est passé avec les sorcières et comment l’Inquisition les a torturées et a projeté une sexualité sur elle. Depuis toujours, c’est l’argument brandi contre les femmes. Sur les trois personnages de la BD, deux voulaient se vouer à Dieu plutôt qu’être mariées. On les a mises dans un bordel pour éprouver leur foi. La sexualité est au cœur de cette épreuve. En clair, madone ou putain, c’est le même vertige de violence. Les procès faits aux femmes sont toujours leurs mœurs sexuelles. Soit on leur en veut de ne pas céder, soit on leur reproche d’être trop gourmandes. C’est à l’aune de la sexualité qu’est décidé notre honneur et notre dignité.
Par sa narration et son esthétique, Madone et putain évoque un film, est-ce un souhait de votre part ?
Je suis venue à la BD parce que je me suis autorisée à imaginer et raconter des histoires comme je ferais un film. C’est ma façon d’envisager la bande dessinée. Mes inspirations cinéphiles se sentent dans mon travail. J’ai notamment été très influencée par La Peau, un livre de Malaparte dont Liliana Cavani a fait un film en 1981.
Je dois cependant dire que dans cet album en particulier, j’ai beaucoup travaillé l’écriture, pour que la narration soit à la fois tordue et limpide. Je cherchais cet aspect histoire que l’on se raconte au coin du feu.
Vous considérez-vous comme une autrice de BD féministes ?
Quand je fais une bande dessinée ou quoi que ce soit, je n’ai pas de message à faire passer. J’aime l’idée que le féminisme suinte par tous les pores. Je suis imprégnée de féminisme parce que j’ai une farouche envie d’égalité et de liberté entre les humains. Ça m’a beaucoup interrogée de savoir quelle femme je suis, quelle femme je veux être.
Dans mes livres, je pointe à chaque fois une obsession, une interrogation. Donc j’imagine que mon féminisme transparait, mais quand je la crée, je ne me dis pas « je fais une œuvre féministe ».
Du 25 au 28 janvier, le festival d’Angoulême vous consacre une exposition. Que peut-on y trouver ?
Cette exposition s’appelle « Chambre avec vue » parce qu’il y est question d’intime, mais qui ne renvoit pas à un aspect girly. Le mot chambre résonne comme un moment de regard sur soi, mais s’il y a « avec vue », c’est notamment parce que l’idée est d’aller regarder derrière la fenêtre, chez l’autre pour voir dans l’intime et le banal ce qu’il y a de torturé et qui est en réalité universel.
Quand j’étais enfant, j’adorais les livres jeunesse et les calendriers de l’Avent et l’objectif est de retranscrire cette diversité dans mes œuvres aujourd’hui. Le principe de l’exposition est de mettre au même niveau mes bandes dessinées, mes fanzines, mes livres d’illustrations.
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