Il n’y a pas plus petit que les rayons grandes tailles : Ninaah Bulles ne le sait que trop bien. Cette blogueuse couture, lifestyle et voyage a publié le 2 juin 2021 Coudre body positive aux Éditions La Plage (128 pages, 24,95€).
Face à l’offre normative du prêt-à-porter dominant, en particulier du côté de la fast-fashion, qui peut donner l’impression d’avoir le mauvais corps, elle a écrit cet ouvrage qui propose de se réapproprier la couture comme un guide vers l’acceptation de soi.
Interview avec Ninaah Bulles, autrice de Coudre body positive
Ce livre permet aussi d’apprendre à créer ou adapter dix pièces telles qu’une chemise, une blouse, une robe, ou encore une salopette. Elle nous explique comment coudre peut être thérapeutique, émancipateur, et même féministe.
Madmoizelle : Quel est votre premier souvenir mode ?
Ninaah Bulles : Je pense que mon premier souvenir mode est plutôt un souvenir style. Je ne suis pas très mode, mais plus attirée par le style. Avoir du style, c’était un de mes désirs jeune fille. Et un des évènements qui m’inspirait le plus enfant était l’Eurovision, on y voyait les styles les plus fous et les plus excentriques et j’adorais ça.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’apprendre à coudre ?
Je couds depuis que je suis enfant. J’ai commencé par les vêtements de mes poupées. J’ai d’ailleurs toujours adoré les vêtements et les tissus. Je ne me l’explique pas, c’est comme ça.
La pince poitrine trop haute, les cuisses trop serrées, le ventre trop large, etc. J’ai très vite rêvé de pouvoir apprendre à coudre pour me créer la garde-robe de mes rêves. Une garde-robe au style unique et personnel, avec de jolies robes de poupée, des manches bouffantes. J’ai d’ailleurs une obsession particulière pour les plis set les fronces. J’en mets partout. Et c’est en 2013 que je me suis vraiment lancée dans mes premiers vêtements, après avoir cousu des accessoires et des éléments de décoration, tout ça grâce à YouTube et à la YouTubeuse couturière australienne Annika Victoria.
Qu’est-ce que cela veut dire « coudre body-positive » selon vous ?
Coudre body positive, c’est coudre avec une intention, c’est se faire du bien. Coudre pour soi, sans contrainte ou peur de se tromper. C’est utiliser la couture comme une arme d’émancipation des diktats de l’industrie de la mode. Être soi-même et s’exprimer à travers ses vêtements. C’est être dans un processus de construction positive et valorisante et prendre conscience de son corps. Il n’a pas à être beau, pour avoir le droit d’être habillé. Il n’a pas à être dans les normes.
Votre livre propose de créer ou hacker 10 vêtements modulables, ce qui montre bien que c’est aux vêtements de s’adapter à nous, et pas à nous de nous adapter aux vêtements. Pensez-vous que cette part de bon sens a tendance à se perdre ?
Cette part de bon sens n’a pas tendance à se perdre, elle s’est complètement perdue depuis que l’ère de la fast-fashion nous domine. Elle n’est plus mentionnée ni défendue dans l’industrie et peu présente dans la sphère de créateurs de prêt-à-porter. Dans l’univers couture, certaines créatrices dont je fais partie désormais, réfléchissent, s’inspirent et s’appuient sur des méthodes et des techniques anciennes de laçage, coulisses et autres attaches. Elles essayent de les moderniser afin de les inclure dans leurs patrons et de les rendre plus pratiques à porter au quotidien.
Et cela est loin d’être superficiel ou anecdotique. Cela entraine des souffrances psychologiques, des complexes forts qui peuvent se transformer en dépression ou en trouble du comportement. Car on perd confiance en soi et on n’arrive pas à s’aimer, à s’accepter, car on ne rentre pas dans un moule imposé par la société moderne et la fast-fashion.
Parmi ces 10 vêtements, lequel est votre préféré et pourquoi ?
C’est très difficile pour moi de répondre à cette question, car je les aime tous. Et surtout je les mélange entre eux. Je prends la jupe de l’un, le haut de l’autre et les manches d’un troisième patron, et hop, j’ai un autre patron qui n’est pas dans le livre. En fait, les vêtements que je préfère, ce sont tous ceux que je n’ai pas encore créés à partir des pièces existantes.
Dans quelle mesure est-ce que (ré)apprendre à coudre pour soi peut être un acte thérapeutique, émancipateur, voire féministe ?
Je réponds plus ou moins à ces questions tout au long de mon livre. Si je devais résumer cela maintenant, je dirai que coudre m’a permis d’apprendre que l’échec n’est qu’une étape de l’apprentissage et que c’est formateur. Se tromper même si c’est 3, 4 ou 10 fois, ce n’est pas grave.
On reprend le pouvoir. Aujourd’hui ma garde-robe est composée à 90 % de vêtements que j’ai cousu moi-même et je les aime tous. Ce sont tous des vêtements dans lesquels je me sens bien. Et s’il y a un loupé, ou un vêtement que j’ai testé et qui ne me correspond pas, je le revends ou je l’offre.
Coudre agit comme une thérapie. Ça me permet de vider la tête, de créer, et d’être dans un cycle de construction positive, où je vois naitre un projet petit à petit. Mais aussi à prendre conscience de mon corps, de ses formes, et de ses capacités.
Coudre m’a permis de m’émanciper des diktats, des styles dits à la mode et aussi de découvrir une communauté de femmes qui se soutiennent et qui sont bienveillantes. Petit clin d’œil à mon collectif couture, Marges incluses, mes sœurs d’aiguilles et d’arme.
D’après vous, pourquoi est-ce que la plupart des marques ne proposent pas de grande taille ?
Pour une question d’image, et de budget. Car oui changer ses gammes de taille signifie, investir dans un premier temps. Après cet investissement, s’il est bien mené rapporte beaucoup plus que la mise de départ. Une créatrice de patron américaine, Cashmerette a dévoilé que ses chiffres de ventes ont quadruplé depuis qu’elle a considérablement élargi sa gamme de taille.
Côté image, il y a toujours cette injonction à être une femme parfaite, mince, jeune et jolie. Beaucoup de marques cachent toujours leurs rayons grandes tailles, au fond du magasin, sous un escalator. D’autres ne proposent leurs grandes tailles que sur leur E-shop. Je trouve que peu de marques ont réellement fait des efforts ces dix dernières années. Je pense qu’elles ne se sentent pas concernées, et il y a encore beaucoup de grossophobie dans le domaine du marketing. Les marques ne veulent pas des gros dans leurs boutiques.
Pensez-vous que tous les designs peuvent être adaptés à toutes les morphologies ou que certains s’y prêtent plus que d’autres ?
J’en parle dans mon livre : n’importe quel design peut aller à n’importe quelle morphologie, il a juste besoin d’être adapté. C’est avant tout une question de goût et de style, propre à la personne qui porte le vêtement en question.
On se surprend même parfois à changer d’avis sur un style de vêtement, car on trouve enfin la pièce qui est adaptée à nos formes. Par exemple, j’ai écrit dans mon livre il y a quelques mois, que vous ne me verrez jamais porter une jupe-culotte. J’étais persuadée que ce vêtement n’était pas adapté à mon corps et à mon style. Puis je suis tombée sur le patron parfait, il me va comme un gant et je pense que je vais me coudre plusieurs fois ce modèle dans des tissus différents.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui a envie de se lancer dans la couture, mais n’ose pas, par peur d’échouer, de ne pas être au niveau ?
Mon premier conseil c’est de se jeter à l’eau ! L’échec, les ratés font partie du jeu, c’est ce qui nous permet d’apprendre, et de progresser. Même aujourd’hui je me trompe souvent, je découds, et je recommence. Parfois je recycle un vêtement que j’avais cousu et qui ne me plait plus, et j’en fais autre chose.
Ne commencez pas forcément par un projet facile ou un accessoire, mais par un projet qui vous motive à fond. Et surtout, la communauté couture est grande et remplie de personnes bienveillantes à qui vous pouvez demander conseil sur les réseaux sociaux.
Après, si vous avez vraiment peur de vous lancer seul, vous pouvez chercher un club de couture, un café couture, vous pouvez vous payer quelques cours. Il y a des associations et parfois des centres sociaux qui proposent des cours et d’échanges couture.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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