Cet article est le deuxième épisode de la série « Yes She Can : Les ignorées de la campagne présidentielle US » signé par la journaliste Hélène Coutard. Vous pouvez lire l’épisode précédent ici :
Nikki Haley a un nouveau surnom. « Nimbra », ou « Nimrada », Donald Trump n’est pas encore tout à fait sûr. À plusieurs reprises au cours du mois de janvier, alors que sa rivale à la primaire républicaine apparaissait de plus en plus souvent dans les médias, l’ancien président a tenté de décrédibiliser Haley en l’appelant par son prénom de naissance : Nimarata. Sans néanmoins parvenir à l’épeler correctement.
Née de parents indiens sikhs qui ont émigré aux États-Unis dans les années soixante, la candidate est née sur le sol américain en 1972 et est aujourd’hui la première femme racisée à briguer la nomination républicaine. Tout en faisant un appel du pied à la frange raciste de son parti, Donald Trump dévoilait en se moquant de sa rivale une autre vérité : il se pourrait bien que Nikki Haley lui fasse un petit peu peur.
Le rêve américain
Fille de professeur et commerçant immigrés, issue de la seule famille sikh à la ronde, mariée à un militaire américain actuellement déployé à Djibouti, plus jeune gouverneure de Caroline du Sud puis ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, le parcours de Nikki Haley, 52 ans, a tout du rêve américain. Et elle ne loupe pas une occasion de le rappeler. « Elle parle beaucoup de son parcours familial, notamment du fait qu’elle travaillait avec sa mère dans son magasin quand elle était petite, avant d’en devenir la comptable, elle insiste sur son parcours de cheffe d’entreprise et sa connaissance du secteur privé, ce qui est très important chez les Républicains », note Marie-Christine Bonzom, politologue spécialiste des États-Unis et ancienne correspondante à Washington pendant 30 ans.
Donald Trump n’aurait donc pas tout à fait tort de s’en inquiéter ; si elle subit des revers dans les urnes depuis le début des primaires, Nikki Haley serait néanmoins une meilleure candidate à présenter contre Joe Biden en novembre lors des élections générales. Selon le dernier sondage Marquette Law School, daté du 21 février, elle remporterait la course face à Joe Biden avec 58% des votes (contre 52% pour Trump).
Cette popularité s’expliquerait par une raison mathématique simple : « Elle pourrait convaincre les Républicains modérés, ainsi que les électeurs indépendants, qui ne sont ni Républicains ni Démocrates », explique Bonzom. Mais existe-t-il encore, à la surface de l’Amérique, des Républicains « modérés » ? « Trump a tellement cannibalisé le parti que les modérés se font rares mais il en reste encore, notamment au sénat. Certains Républicains soupçonnent même Trump d’être une taupe envoyée par les Démocrates pour démolir le parti… »
Hybride
Depuis qu’elle a lancé sa campagne il y a un an, Nikki Haley joue à l’équilibriste. Sur un fil, elle alterne entre défendre le bilan de Donald Trump pour qui elle a travaillé en tant qu’ambassadrice à l’ONU durant son mandat, et le critiquer violemment. Fin janvier, elle soutenait la condamnation de Trump à verser 83 millions de dollars à E. Jean Carroll, qui l’accuse d’un viol survenu en 1996 (la condamnation concernait le procès en diffamation). En 2021 déjà, elle condamnait fermement son rôle dans l’assaut du Capitole par ses partisans.
« Elle a un programme hybride, proche de Trump sur l’immigration mais influencé par Hillary Clinton sur le rôle des Etats-Unis dans le monde, c’est-à-dire interventionniste, ce qui la distingue de Trump », analyse Bonzom. « Sur l’avortement, elle prône un ‘conservatisme compassionnel’ qu’elle emprunte à George W. Bush qui consiste à se déclarer pro-life mais à soutenir une loi qui interdirait l’avortement après 15 semaines de grossesse, presque comme en France. Et sur l’Ukraine elle souhaite, comme Biden, continuer de soutenir le pays face à la Russie, contrairement à Trump. »
Il lui faut aussi dénoncer le « socialisme » et le « wokisme » tout en mettant en avant son statut de candidate racisée et le renouveau générationnel qu’elle pourrait représenter. Le 23 janvier, elle glissait dans son discours dans le New Hampshire : « Le premier parti à mettre à la retraite son candidat de 80 ans sera le parti qui gagnera cette élection. »
« Comme les Républicains rejettent l’identitarisme, elle se présente comme ‘Américaine’ avant tout, pas indienne-américaine, ni comme une femme… », ajoute Bonzom. Car là encore, l’exercice est délicat. Si elle est apparue en Ohio avec un pull de la créatrice Alice Temperley « She dares who wins » (« celle qui ose gagne »), et qu’elle suggère parfois que les attaques de ses opposants sont sexistes, pas question pour elle de jouer la carte féministe. En campagne dans l’Iowa mi-janvier, elle déclarait : « Pensez au fait que vous pourriez écrire l’histoire, et je ne parle pas de l’histoire d’élire une femme président, je parle de l’histoire dans laquelle nous allons enfin redresser le navire qu’est l’Amérique. »
« Elle est en faveur de l’accession des femmes à des postes de pouvoir et elle s’est très impliquée dans l’association nationale des femmes entrepreneures, mais elle rejette ce qu’elle considère comme un féminisme ‘radical’ », analyse Marie-Christine Bonzom. En d’autres termes, le féminisme de Nikki Haley est plus proche de celui de Shiv Roy que de celui de Gloria Steinem.
Gros sous
Depuis que Ron DeSantis s’est retiré de la course à la nomination, les grands donateurs américains se tournent vers Nikki Haley. Fin 2023, elle recevait un chèque de la famille Koch, puis du fondateur d’Home Dépôt Ken Langone, et enfin 250 000 $ de Reid Hoffman, co-fondateur de LinkedIn. Pour décrédibiliser son adversaire, Donald Trump a bien tenté de l’énerver. Mission impossible. « Elle ne s’énerve jamais ! », s’exclame Marie-Christine Bonzom. « Elle lance des critiques sévères sur un ton ferme mais toujours avec le sourire. Dans un débat, elle écraserait Trump ou Biden. »
Sauf que Donald Trump refuse la confrontation. Plus encore, l’ancien président s’est arrangé pour donner des interviews aux mêmes horaires que les débats d’Haley. Battue le samedi 24 février en Caroline du Sud, l’État dont elle fut la gouverneure, la candidate refuse néanmoins de jeter l’éponge. Imperturbable, elle a déclaré ne pas abandonner le combat « alors qu’une majorité d’Américains désapprouve à la fois Donald Trump et Joe Biden » tout en rappelant encore une fois que, selon elle, Donald Trump, cette « source de chaos », ne « puisse pas battre Joe Biden. » Il faudra alors attendre le Super Tuesday le 5 mars, date à laquelle 15 États voteront en même temps, pour connaitre officiellement le destin de la candidature de Nikki Haley. A moins que « Nimrata Nikki » ne mise sur une autre stratégie : une carte prison pour Donald Trump, que pas moins de quatre procès attendent entre mars et août 2024.
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