Si, chez les amateurs de musique électronique, Nicolas Jaar est déjà vu comme le dernier petit prodige, ailleurs il est encore trop peu estimé. Je suis allée voir son excellent concert dimanche dernier (premier dimanche NON-déprimant de l’année), et au milieu de son set, une petite voix intérieure s’est exclamée : « Émilie, il faut absolument que tu en parles sur madmoiZelle ! Nicolas Jaar tombe à pic dans le dossier Feel Good du mois de janvier ! » Pourquoi ? La réponse se trouve dans le 1er point, puis 4 autres suivront pour vous vendre mon amour pour le jeune homme.
1. Nicolas Jaar s’écoute très bien dans un bain moussant. Testé et approuvé.
Romantisme noir, sonorités mièvres mais pas dociles, profondeur des claviers : la musique de Nicolas Jaar est l’élément sublimateur du combo « bain moussant + bougies + verre de vin blanc ». Testé et approuvé pour vous hier soir.
Specters of the Future :
https://www.youtube.com/watch?v=Y79NjSDavxw
Les productions de Jaar apaisent et sont douces à l’oreille. Est-ce à dire que sa musique est fade et doucereuse ? Non. Jaar compose comme il fait voyager : avec recul, va-et-viens entre le chaud et le froid, intensité.
Le morceau qui suit, en particulier, m’émeut complètement. Je le trouve incroyablement mélancolique (un passéisme à couper le souffle), fort, presque tragique. Et en même temps, tellement lénifiant. C’est le genre de morceau qui me donne l’impression d’être une héroïne de film dramatique. Et hier dans mon bain, en l’écoutant, j’ai essayé de penser à ce qu’il y avait de plus dramatique en ce moment dans ma vie. Tout ce que j’ai trouvé, c’était cette histoire d’étagère qui se casse la gueule dans ma cuisine (hyper chiant). Après, je me suis assoupie. Lénifiant, je vous ai dit.
Balance her in between your eyes :
https://www.youtube.com/watch?v=KMQhoLUJSFM&feature=related
2. Nicolas Jaar est un vrai petit prodige.
Je suis tombée des nues il y a quelques jours quand j’ai appris que Jaar était plus jeune que moi. Il est né en 1990. Nan mais 1990, quoi. Comment une musique aussi mature peut-elle avoir été imaginée par un mec qui n’a même pas connu les années 70 ? Ça me dépasse. Et ça me fait du bien en même temps : on peut aujourd’hui être jeune et connu pour autre chose que de la soupe. Oui, Justin Bieber, je parle bien de toi.
Un des premiers morceaux de Nicolas Jaar, sorti en 2008. Il avait donc… 18 ans. L’âge auquel la majorité des ado fument des chons en faisant du skate, donc.
3. Nicolas Jaar est attendrissant.
L’histoire de Jaar est assez mignonne : il est né à New York, mais à l’âge de 2 ans, ses parents l’embarquent avec eux au Chili. Il ne reviendra à la Grosse Pomme qu’à l’âge de 8 ans. Il me plaît de penser que cette parenthèse chilienne explique les résonances lointaines qu’ont ses morceaux. La musique de Jaar sonne toujours comme une mélodie lancinante, un épisode à la fois hors du temps et de l’espace, comme la condition de l’expatrié.
À l’âge de 14 ans, Nicolas annonce à son père qu’il veut devenir compositeur de musique électronique. Ce dernier, très présent pour son fils, lui offre ce qu’un disquaire chilien lui a décrit comme étant le disque repoussant le plus les limites du genre : Thé au harem d’Archimède, de Ricardo Villalobos. Aujourd’hui encore, Nicolas considère ce disque comme une de ses plus grandes influences. TROP CHOUPI, non ?
4. Nicolas Jaar fait de la musique de faux intello.
Jaar, c’est un peu comme Lynch pour les amateurs de ciné : ça a l’air compliqué, mais en même temps c’est accessible; on dirait un truc d’érudit, mais finalement ça se laisse approcher; c’est intense et on peut l’interpréter comme on veut.
Ce qui est pratique avec sa musique, c’est qu’elle unit autant qu’elle désunit : dans la fosse, dimanche soir, le public avait autant l’air d’un peuple prêt à faire la révolution qu’une foule d’individus perdus et désoeuvrés.
Jaar fait de la musique d’intellectuel ingénu. D’intellectuel qui s’ignore un peu, mais de moins en moins. Comment vous dire. Si Jaar était scolarisé à la fac de la musique, il ne serait pas professeur émérite mais thésard zélé. Voilà. Si ça ne vous parle pas, je peux essayer une comparaison avec la bouffe (je suis forte pour ça) : si Jaar était un champignon, il ne serait pas un champignon de Paris (trop populaire) mais pas une truffe non plus (trop classieux). Non en vérité, il serait un cèpe. C’est bon, les cèpes. Ça coûte plus cher que les champignons du Franprix, mais c’est pas Noël à Versailles non plus.
5. Nicolas est une bête de scène.
L’année dernière, il a été élu meilleur artiste scénique par l’excellent Resident Advisor. ET JE COMPREND POURQUOI. Pendant toute la durée du concert, Nicolas Jaar dansait, bougeait les hanches, gigotait les bras, dodelinait de la tête. Cette espèce d’avenance avec le public me fait dire que son succès ne lui a pas retourné le cerveau : Jaar fait ce qu’il aime, est heureux de l’interaction avec son public et ne joue pas les stars.
Sur fond de vidéo en noir et blanc laissant dévoiler à la fosse des branches d’arbre et les briques de vieilles maisons (le passéisme dont je vous parlais plus haut, en somme), Jaar a joué, joué, joué autant qu’il le pouvait. À la fin de son set, et sous les rappels du public qui grondait d’enthousiasme, Jaar est revenu.
Et il ne s’est moqué de personne. Son rappel a duré 15 minutes. Soit un quart d’heure durant lequel plus personne ne voulait partir, un quart d’heure de bonheur en plus, un quart d’heure que nous aurions tous aimé voir se prolonger en 2e concert.
Et que s’est-il passé après ce rappel ? Vous êtes perspicaces : un 2e rappel, oui. Le moment où typiquement, le public demande le retour de l’artiste sur scène, mais sans trop y croire : en général, ce dernier est déjà en train de s’enfiler 3 bouteilles d’eau à la suite dans les backstages, prêts à rentrer à l’hôtel. Jaar, non. Il est revenu. « I’ve been told we have 2 minutes left » (« on m’a dit qu’il nous restait encore 2 minutes »), lance t-il à la foule qui l’acclame de plus belle. Deux minutes de plus avant l’extinction des feux de la scène et lumières rallumées. Deux minutes, rien du tout, mais Jaar les prend quand même. Il jouera jusqu’à être prié de quitter la scène.
Jusqu’au bout, la révolte. Jusqu’au bout, la détresse de sa musique. Jusqu’au bout, le public sous hypnose.
— Merci à Mercredi Production pour l’invitation.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
J'aime beaucoup même si maintenant ça me stresse dès que je l'entend ahah