L’indignation monte après la publication d’une photo à la une du New York Post – cette phrase n’a rien d’étonnant en soi quand on connaît la réputation du tabloïd, friand en racolage en tout genre. Pourtant, cette fois, il semblerait que le quotidien ait dépassé les limites du sordide avec un fait divers très récent.
Hier, dans son édition du 4 décembre 2012, le New York Post a titré sur la mort d’un être humain. En une et en pleine page, on peut voir une photo d’un homme sur les rails, accroché au quai, observant le métro qui s’approche de lui ; on comprend alors que nous sommes en train de regarder une photo d’un individu qui s’apprête à trouver la mort. Pour accompagner le cliché, et au cas où nous n’aurions pas compris où le tabloïd voulait en venir, un titre et un intertitre précisent le tragique de la situation :
Poussé sur les rails, cet homme est sur le point de mourir.
CONDAMNÉ
(Si vous souhaitez vraiment voir la photo, c’est par ici. On a choisi de ne pas vous l’imposer dans l’article : elle n’est certes pas violente, ni sanglante, mais elle est choquante quand on en connaît l’issue.)
L’histoire a commencé dans une station new-yorkaise du quartier de Times Square. En tentant de raisonner un trentenaire qui devient de plus en plus agressif avec les passants, Ki Suk Han s’en attire les foudres. Selon des témoins, l’agresseur aurait attendu l’annonce de l’arrivée imminente du train pour pousser le quinquagénaire sur les rails. C’est là que le cliché a été pris, par R. Umar Abbasi, un photographe en freelance qui attendait lui aussi son métro. Il certifie dans le New York Post avoir pris des photos pour prévenir le conducteur du véhicule avec son flash :
« J’ai simplement commencé à courir, courir, espérant que le conducteur verrait mon flash. »
Cette photo fait un effet incroyable, alors que des images de gens sur le point de mourir, s’ils ne le sont pas déjà, nous en voyons finalement très régulièrement par le biais des reportages de guerre, de photos d’archives… Qu’est-ce qui fait que nous ne sommes pourtant pas blasés par le décès de personnes que nous ne connaissons pas. Dans un article publié aujourd’hui que je vous invite vivement à lire, Slate (passez vite la photo si vous ne voulez pas la voir) analyse le processus :
« En regardant une image comme celle-ci, on ne peut s’empêcher de s’identifier à la victime (ou peut-être même au conducteur du métro); on est obligé d’imaginer l’horreur d’être dans l’une ou l’autre de ces positions parce que, d’une certaine manière, l’événement craint ne s’est pas encore déroulé, ni pour eux ni pour nous.
Pour les usagers du métro new-yorkais en particulier, cette image manifeste un cauchemar collectif, la réalité que quelque chose comme ça pourrait facilement arriver à n’importe lequel d’entre nous le matin en allant au travail. Mais personne n’aime faire un cauchemar, et nous n’apprécions donc pas d’être obligés de l’avoir. »
Ce qui pose le plus problème aux détracteurs de cette Une, c’est bien le fait que le tabloïd ait acheté ces clichés pour les rendre publics : l’homme aurait-il pu être sauvé si le pigiste avait lâché son appareil pour l’aider ? Le photographe a-t-il réellement pris des clichés dans le seul but d’avertir le conducteur avec son flash ? Et surtout, peut-on mettre en Une la photo des dernières secondes de vie d’un homme, que ce soit dans le fait d’imposer cette image à la vue des passant-e-s et des lecteurs ou dans l’objectif de faire du profit sur un instant aussi tragique ? Tant de questions qu’on se pose sur Internet, principalement sur Twitter où on peut lire de violentes interpellations à l’encontre du quotidien, en appelant parfois à l’éthique journalistique.
À ce sujet, Les Inrocks (là encore, pensez à scroller très vite si vous ne voulez pas voir l’image) ont relaté une conclusion du Poynter Institute, organisme de référence pour les médias américains qui a interrogé plusieurs journalistes pour savoir s’ils jugeaient bon d’avoir dévoilé cette photo. Le site cite :
« Tous les journalistes que nous avons interrogé concluent que le New York Post a eu tort d’utiliser cette photo, particulièrement sur sa couverture. »
Et vous, estimez-vous que le New York Post a eu tort ? Pensez-vous que cette indignation est hypocrite compte tenu d’un besoin qui semble croissant de sensationnalisme ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
C'est fou.