La télé-réalité française est le terreau d’un sexisme primaire. Injures sexistes, harcèlement : rien n’est épargné aux femmes qui participent à ces programmes. Et surtout pas la violence.
On la savait souvent verbale et psychologique, sur les bancs notamment des Marseillais ; on apprend (sans surprise malheureusement) qu’elle est également physique.
En effet, Nehuda, candidate star des Anges de la télé-réalité et autres Marseillais vs Le Reste du Monde, vient de faire le rapport, en stories Instagram, de violences conjugales perpétrées par son ex, Ricardo, lui aussi candidat de télé-réalité.
Malheureusement pour elle, la jeune femme n’est pas « la victime parfaite », ce qui pousse une partie du tribunal public d’Internet à mettre en doute ses paroles.
Qui sont Ricardo et Nehuda ?
Ricardo et Nehuda ont été ensemble pendant 5 ans. Ils se sont rencontrés sur le tournage des Anges de la télé-réalité, dont ils sont vite devenus un couple phare.
En effet, ils ont à eux deux tous les critères pour faire le buzz : elle est chanteuse, vient de passer dans The Voice, et est plutôt du genre à ne jamais se laisser marcher sur les pieds, surtout pas par les hommes. Lui a un sourire Colgate, des muscles saillants, le cheveu bien coiffé et une grande gueule qui le pousse souvent au clash.
Les deux passent leur temps, devant les caméras, à s’aimer, se déchirer puis s’aimer encore. De leur union naît un enfant, dont ils parlent tous les deux avec fierté.
En 2017, Ricardo comparaît toutefois, auprès de sa compagne, devant la justice qui les accusaient d’avoir blessé leur petite fille de 4 mois avec un téléphone : la petite Laïa s’était retrouvée avec une fracture au visage et des ecchymoses. Le juge pour enfants avait statué sur un accident, et Nehuda avait été blanchie. Ricardo, de son côté, a dû s’engager à ne pas vivre sous le même toit que sa fille.
Ricardo et Nehuda se partagent ensuite plusieurs aventures — dont récemment Les Marseillais vs Le Reste du Monde où, très vite, ils se taillent une mauvaise réputation pour leurs cris, leurs emportements, leurs insultes.
La jeune femme est rapidement éliminée de l’émission, et demande quelques temps après à son conjoint de la rejoindre car elle ne se sent pas de vivre normalement tandis que lui est encore dans la villa.
En janvier, le couple qualifié dans tous les médias de « sulfureux » est viré de la nouvelle saison des Anges de la télé-réalité, pour avoir supposément agressé le maire d’une commune réunionnaise. Quelques semaines plus tard, Nehuda annonce la dissolution de leur union.
Ricardo, un homme violent d’après Nehuda
Lundi 15 février, la jeune femme s’exprime de nouveau sur les réseaux : d’après elle, il serait désormais trop douloureux de se taire. Elle évoque, en stories Instagram, le racisme de son ancien conjoint avant de révéler qu’il a été violent physiquement à son égard :
« Gros raciste qu’il est, si vous saviez comment il est raciste, comment il parle des arabes, combien de fois je m’embrouillais avec lui à cause de ça… […] Notre histoire de 5 ans n’était que mensonge. J’étais enceinte, il m’a menacée avec une arme à bout portant, j’ai crié, j’étais en larmes, j’ai appelé la police, je suis allée porter plainte le lendemain. […] J’étais enceinte il m’a ouvert le crâne à coups de poings, j’ai eu deux points de suture. »
Le principal intéressé n’a pas tardé à livrer sa version des faits, lui aussi sur son compte Instagram. Découpée en « chapitres », sa défense est bancale : il commence par nier toute accusation de racisme, arguant que son ex Nehuda est elle-même racisée, tout comme son ex Fidji et ses amis d’enfance. L’argument fallacieux du « j’ai des amis noirs », en somme, qui n’ont jamais empêché personne d’être raciste.
Lorsqu’il en arrive au chapitre deux, qui concerne les violences conjugales, il n’en mène pas large :
« C’était en juillet 2016, on faisait du buzz. À l’époque, good buzz, bad buzz, je m’en fichais. Allez viens, on invente un truc bidon comme les paparazzades, et puis bon la télé était différente à l’époque. Mais j’ai été idiot de me laisser embarquer dans ce truc-là pour qu’aujourd’hui ça me retombe dans la gueule. Dans tous les cas, en juillet 2016, elle était enceinte. Je pense pas qu’elle aurait gardé un enfant avec un barjo. Elle pouvait avorter jusqu’en septembre en France. […]
Ensuite, chapitre 4, Ricardo a frappé Nehuda au crâne et elle a été à l’hôpital. Coupable, pour le coup coupable. J’ai vraiment pas fait exprès, je vais pas rentrer dans les détails mais j’ai pas fait exprès. Mais de là à en rajouter… Je crois que personne n’a jamais vu Nehuda avec un cocard ou des yeux au beurre noir. »
Le jeune homme poursuit ensuite :
« D’ailleurs il y a une cause qui me touche beaucoup, c’est les femmes battues. Même si du coup ça colle pas à mon image. C’est quelque chose à laquelle je suis sensible et j’ai toujours été très respectueux avec toutes les femmes avec qui j’ai été. […] Nehuda vit mal la situation, elle a du mal à accepter que je refasse ma vie ».
Il invite par ailleurs sa communauté à se renseigner auprès de Fidji, son ancienne compagne, elle aussi star de la télé-réalité, avec qui Ricardo est resté deux ans.
On est allées regarder des extraits de leur première télé ensemble, Friends Trip, dans laquelle la jeune femme en question expliquait : « Il est très impulsif, très possessif » — sans extrapoler, le comportement du candidat semble déjà, à l’époque, inquiétant.
Ce qui n’a pas empêché les internautes de discréditer Nehuda suite à ses récentes révélations. Pourquoi ? Parce qu’elle ne correspond pas aux critères de la « bonne victime ».
En effet, Nehuda est une femme racisée, connue dans un milieu populaire, qui a décidé de témoigner en story Instagram. Et malheureusement, toutes ces caractéristiques peuvent lui porter préjudice et accorder moins de crédit à son récit…
Nehuda, une « mauvaise victime » de violences conjugales
Le monde actuel est en mouvance. Depuis quelques années en effet, depuis #MeToo précisément, la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles se libère.
Récemment, avec le livre La Familia Grande, de Camille Kouchner, les femmes et les hommes victimes d’inceste ont commencé à raconter leur histoire. Grâce à l’ouvrage Le Consentement de Vanessa Springora, le débat sur la pédophilie est également remis sur le tapis.
Le point commun de ces femmes ? Elles sont traitées différemment de Nehuda par l’opinion publique, en cela qu’elle sont issues de milieux privilégiés, blancs et intellectuels. Leur statut, leur condition sociale (et leur talent d’autrices bien sûr) leur permet d’avoir une tribune dans les maisons d’édition, d’être invitées dans des émissions « prestigieuses ».
Et c’est TANT MIEUX : elles permettent de lever le voile sur des tabous à lever dans nos sociétés modernes ! Mais il s’agit d’une exposition bien différente de celle de Nehuda, qui se débat avec les armes qu’elle a, à savoir les réseaux sociaux.
En effet, Nehuda est, culturellement, née dans la télé-réalité, à savoir les affres de la moquerie, et n’est pas connue pour avoir la patience du Dalaï Lama. Elle est racisée, issue d’une émission populaire, fait des fautes d’orthographe, communique son calvaire via un réseau social, et est connu pour ses coups de sang.
Ainsi, Nehuda, personnage de grand divertissement, issue d’une émission boudée par les élites intellectuelles et ignorée par les politiques, est moins prise au sérieux que d’autres. Ses paroles ne sont pas reprises par Le Monde
mais par Voici, Télé7Jours et autres médias people. Son histoire n’est pas considérée comme un affaire de société, c’est un sujet de ragots.
Peut-être parce que les faits n’ont pas (encore ?) été portés devant un tribunal, nous direz-vous… Mais quand bien même.
Nehuda ne serait pas prise au sérieux. On continuerait sans doute à la blâmer pour être restée auprès d’un homme violent. À douter de sa bonne foi. À remettre sa parole de victime en question.
Bien qu’on ne connaisse pas encore les tenants et aboutissants de cette tragique affaire, il convient de rappeler que le « victim blaming » est l’un des piliers de la culture du viol.
Alors Nehuda a beau ne s’exprimer que via les réseaux sociaux, elle a beau relayer son vécu de manière parfois maladroite, elle mérite toutefois qu’on écoute son témoignage et qu’on le traite avec le même sérieux qu’on accorderait à celui d’une femme issue d’une élite intellectuelle. Parce qu’elle aussi a été victime d’emprise…
Les réactions des internautes après les révélations de Nehuda
En plus de cette malédiction de la « mauvaise victime », Nehuda doit aussi faire face à celles et ceux qui connaissent mal les mécanismes des violences conjugales, comme l’emprise.
Sur Twitter notamment, les réactions ignorantes au témoignage de Nehuda n’ont pas mis longtemps à naître, ce qui n’est pas étonnant puisque les violences sexistes et sexuelles demeurent un domaine trop inexploré par l’éducation nationale, la pop-culture, la télévision, bien que la parole des victimes se libère — et surtout, est écoutée — depuis #MeToo.
Voilà la réaction qu’ont adopté certains internautes, pour ne citer qu’eux, en répondant au tweet ci-dessous :
Plusieurs commentaires critiquent la manière avec laquelle Nehuda a fait ses déclarations, d’autres la moquent, mais surtout, beaucoup questionnent le fait qu’elle soit restée 5 ans avec un homme toxique.
Heureusement, de nombreuses autres personnes, sous les différents posts reprenant les stories de Nehuda, ont témoigné de la compassion et encouragé la jeune femme à porter plainte.
D’autres ont tenu à rappeler qu’il n’est pas évident (et c’est un euphémisme) pour une femme sous l’emprise d’un homme violent de s’en libérer.
En effet, il est important, au regard des nombreux tweets qui témoignent d’une incompréhension vis-à-vis du comportement victimaire de Nehuda, de revenir plus tard sur le phénomène d’emprise.
Mais d’abord, pourquoi la jeune femme est-elle parfois discréditée ? Moquée ? Blâmée de ne pas être partie plus tôt ?
L’emprise, qu’est-ce que c’est ?
Littéralement, dans le dictionnaire, le terme d’emprise signifie : domination intellectuelle ou morale.
Dans le livre Le consentement, qui lève le voile sur la sordide affaire Gabriel Matzneff, Vanessa Springora revient en un peu plus de 200 pages sur ce phénomène trop méconnu. Celui qui consiste pour un individu à lentement s’insérer dans la vie et la psychologie de l’autre, jusqu’à avoir la mainmise sur chacun des aspects de son existence : le sexe, les rapports humains, la famille, le travail etc.
L’emprise, c’est le socle même de la violence psychologique. Isabelle Rome, haute fonctionnaire chargée de l’égalité femmes-hommes à la Chancellerie et pilote du groupe de travail sur la justice, explique dans Le Monde :
« Cela ne fait pas si longtemps que l’emprise est un mécanisme identifié. Par méconnaissance, magistrats et avocats ne comprenaient pas le comportement ambivalent des victimes, susceptibles de déposer une plainte puis de la retirer. »
Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, c’est ce phénomène d’emprise qui explique que sur les 220 000 femmes qui se sont dites victimes de violences conjugales en 2019, moins d’une sur cinq a porté plainte.
Ce qu’explique Nehuda dans ses stories, c’est ce qu’explique également Vanessa Springora dans son livre qui a fait scandale, en 2020 : l’emprise qui petit à petit enferme les femmes, les coupe de leur entourage et vise à les faire rester, à culpabiliser.
Ce qu’a vécu Nehuda, ça s’appelle une relation toxique.
Comment reconnaître une relation toxique ?
Relation toxique : ce sont deux termes qui font peur, et qu’on entend souvent. Mais que signifient-ils, au juste ?
Une relation toxique est une relation qui est justement basée sur de la violence psychologique. Chantage, humiliations, railleries, isolement… il n’est parfois pas évident de reconnaitre les signaux d’alerte.
Heureusement, il existe des outils. L’association En avant toute(s) a par exemple créé un violentomètre, permettant de savoir si ce que l’on vit est « normal » ou relève de la toxicité et devrait nous inquiéter.
Dans le cas de Ricardo et Nehuda, il n’est pas difficile de comprendre, au vu de leurs passages (parfois éclairs) à la télévision, que leur relation appartient clairement à la « zone rouge ».
Alors, avant même d’en effet connaitre les tenants et aboutissants de cette affaire, il s’agit, dès maintenant, de lui donner du crédit.
Si vous êtes victime de violences sexuelles, physiques et/ou psychologiques perpétrées par votre compagnon, votre copain, votre fiancé, vous pouvez trouver de l’aide.
Si vous connaissez une personne dans ce cas, voici des numéros, des associations et des articles utiles vers lesquels vous tourner :
- La Fnacav, Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales et familiales
- Un seul numéro : le 3919.
- Vos droits et possibilités d’action au sujet des violences conjugales.
- L’association En avant toutes
- Un article très complet : Mon mec vient de me frapper pour la première fois, que faire ?
À lire aussi : Qu’est-ce que ça fait d’apprendre que la star qu’on adule est en réalité un agresseur ?
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