La maison Steinkis, grande habituée des romans graphiques et d’albums illustrés qui traitent les questions d’identité et d’appartenance, fait le choix en cette rentrée 2021 d’éditer De polyamour et d’eau fraîche. L’occasion d’aborder un thème passionnant : comment concilier parentalité et relations amoureuses multiples ?
En l’occurrence, ce roman graphique ne parle pas seulement de parentalité : c’est une compilation de toutes les questions qui entourent les relations polyamoureuses et qui ont été posées à Cookie, Elsa et Cristina durant leur trouple qui a duré 18 mois. De polyamour et d’eau fraîche narre tout simplement leur quotidien, avec ses bons et mauvais moments.
Chacune de ces questions est traitée par un chapitre d’une page et illustrée par une situation vécue par nos trois protagonistes. Comment dormez-vous à trois dans le même lit ? Est-ce que vous passez tout votre temps ensemble ? Existe-il une hiérarchie entre vos partenaires ? Comment gérez-vous la jalousie ? Et surtout, est-ce que ça peut vraiment durer ?
Mais au-delà de ce questionnement qui entoure les relations polyamoureuses, ce livre se veut pédagogique et éclaire ses lectrices sur un ensemble de définitions et de termes qui peuvent s’appliquer à l’ensemble des relations amoureuses comme : que veut dire ENM (un terme générique qui englobe de nombreux différentes structures de relation et/ou pratiques sexuelles, telles que le polyamour) ? Qu’est-ce que la NRE (new relationship energy) ? Autant d’éléments qui permettent d’éviter les malaises, idées reçues ou autres maladresses lorsqu’on est face à des personnes polyamoureuses.
Justement, pour la rédaction de cet article, deux personnes polyamoureuses et parents ont accepté de répondre à nos questions et de nous éclairer sur la manière de vivre leurs relations polyamoureuses tout en ayant des enfants.
De polyamour et d’eau fraîche est disponible ici
Comment concilier polyamour et enfants ?
En l’occurrence, Elsa et Cookie sont ensemble depuis dix ans et ont un petit garçon. Cristina est tombée amoureuse tour à tour de Cookie, puis d’Elsa, et s’est installée durant 18 mois avec eux deux.
L’occasion pour la triade d’aborder des questions comme : qu’est-ce que c’est que d’être parent et polyamoureux ? Est-ce que votre enfant pose des questions ? Et bien sûr, quel est le rôle de Tina dans la famille ?
Les deux personnes interviewées n’ont pas — encore — lu le livre, mais leurs réponses sont assez en phase avec ce qui y est décrit, même si chaque situation a bien sûr ses spécificités.
Julien* est tombé amoureux de Clara*, elle-même étant déjà en couple avec Bastien*. Ils vivent tous les trois dans une immense maison en Belgique avec leurs enfants respectifs depuis un an et demi. En effet, Julien a un garçon de neuf ans et une fille de sept ans d’une relation précédente en garde alternée ; Clara et Bastien, de leur côté, ont deux petites filles de trois et six ans.
Julien a deux enfants en garde alternée ; il vit avec Clara et Bastien, qui ont deux enfants ensemble.
Quant à Léa*, elle vit le polyamour depuis plus de deux ans. Elle a été en trouple puis en triangle amoureux. Aujourd’hui elle a trois partenaires, qu’elle a décidé de ne pas présenter tout de suite à ses enfants de trois et cinq ans. Léa a la garde exclusive de ses deux petites filles, et vit dans la ville de Marseille.
Léa a deux enfants avec Gilles. Pendant deux mois, ils ont été en trouple avec Nadya. Puis Gilles s’est séparé de Nadya, mais tous les deux sont restés amoureux de Léa.
Par la suite, Gilles a rencontré une nouvelle femme, sa compagne actuelle, qui est venue habiter avec eux. Dans le même temps Nadya a quitté Léa.
Aujourd’hui, Gilles a quitté Léa et vit en couple avec sa compagne. Quant à Léa, elle vit seule avec ses enfants, et elle a trois partenaires.
Madmoizelle : Depuis quand êtes-vous polyamoureux ?
Julien : Avant cette relation, j’étais avec la mère de mes enfants dans une relation monogame qui s’est terminée il y a un peu plus de trois ans. Puis, lorsque j’ai rencontré Clara, son premier réflexe a été de quitter son compagnon, puisqu’on est conditionné à ça. Depuis qu’on est tout petit, on est habitué à vivre à deux…
Néanmoins, elle avait un enfant de dix mois et Clara et Bastien ne souhaitaient pas se séparer avant que l’on se rencontre. Elle est juste tombée amoureuse de quelqu’un d’autre — mais on n’est pas « censée » tomber amoureuse de deux personnes à la fois.
Suite à de nombreuses discussions et à des rencontres, ils ont décidé de ne pas se séparer et de vivre cette relation comme elle se présentait, jusqu’à ce que l’on décide d’emménager ensemble.
Léa : J’étais en couple depuis mes 17 ans avec un seul homme et on se théorisait un peu depuis le début comme un couple libre, même si pendant dix ans nous avons été exclusifs.
Comment avez-vous commencé à pratiquer le polyamour dans votre quotidien ?
Julien : Avant cette histoire, nous n’avons pas de relations polyamoureuses. Tout s’est vraiment construit là, même si je considère que j’étais polyamoureux sans le savoir avant.
J’ai emménagé avec Clara et Bastien en décembre 2019, je ne savais pas du tout comment on fonctionnerait, nous avions des rythmes différents, et des activités en parallèle. Plusieurs soirs par semaine, nous n’étions pas tous à la maison.
Léa : Dix ans après le début de ma relation avec mon compagnon, nous avons été en trouple avec une fille, Nadya. Nous avons eu deux mois de trouple, durant lesquels nous avons été amoureux tous les trois.
Ensuite il a quitté Nadya, et je suis restée avec elle. Lui s’est trouvé une autre compagne, qui est venue habiter avec nous, c’est-à-dire nos deux enfants et moi pendant un an et demi. Puis j’ai quitté mon compagnon, lui a fini par déménager avec sa compagne et je me suis séparé de Nadya.
Actuellement, je revis des relations polyamoureuses, j’ai trois partenaires à la fois.
Parlez-vous de vos relations avec vos enfants ?
Julien : Nous n’avons pas tellement eu le choix, à partir du moment où j’ai décidé que mes enfants rencontreraient ma compagne. Du coup, nous en avons parlé très simplement à nos deux enfants :
« Clara a deux amoureux, mais vous les enfants, vous n’avez qu’un seul papa, et il n’est pas question que je prenne sa place. Je suis juste l’autre amoureux de leur maman. »
Ce qui a facilité les choses c’est que j’avais un couple d’amies lesbiennes dans mon entourage et l’instituteur de mon garçon était en couple avec un homme et avait deux enfants. Donc il était déjà habitué à des couples dits « hors norme ». Si deux hommes peuvent être ensemble et deux femmes aussi, pourquoi pas une femme et deux hommes ?
Mes deux enfants étaient plutôt contents d’avoir une belle-maman et un beau-papa d’un coup. Ils n’ont pas vraiment posé de question, c’était naturel.
Léa : Comme la compagne de leur père vivait avec nous, c’était très clair pour eux que c’était son amoureuse et moi aussi. Puis ils nous avaient vu en trouple aussi, donc elle savaient que nous étions tous les trois amoureux.
Elles ont trois ans et cinq donc pour elles c’est normal d’avoir trois amoureux, que ce soit hétéronormatif ou pas c’est pareil.
Nous lui avons dit :
« Nadya est l’amoureuse de maman et aussi l’amoureuse de papa, on est amoureux tous les trois. »
Vos enfants posent-ils des questions ?
Léa : Pas vraiment, même s’il est déjà arrivé à ma plus grande de demander à quelqu’un dans la rue combien il avait d’amoureuses !
Lorsque vous allez chercher vos enfants à l’école, voyez-vous du questionnement dans les yeux des adultes ou des autres enfants ?
Léa : Aujourd’hui, mes trois partenaires ne sont pas encore entrés dans la vie de mes filles donc la question ne se pose pas. Mais lorsque mon aîné était à la maternelle, elle était dans une école Montessori, donc l’ambiance était bienveillante, peut-être plus que dans les écoles publiques. Du coup nous avions averti la directrice que nous étions en trouple, et elle ne nous a pas fait de remarque négative.
Julien : Pendant la première année, cela m’arrivait très souvent d’aller chercher les enfants avec Clara, donc les autres voyaient que nous étions en relation. Mais c’est arrivé aussi qu’elle aille avec Bastien ou que ce soit seulement lui qui y aille. Donc au départ il y a pu avoir de la gêne du côté des adultes, mais les enfants ne nous ont jamais fait part de quoi que ce soit.
D’ailleurs, nous ne leur avons jamais interdit d’en parler. Je ne sais pas si il le font spontanément, mais j’ai l’impression que pour eux la situation est tellement normale qu’ils ne ressentent pas le besoin d’en parler. Et puis ils n’ont jamais été montrés du doigt pour ça.
Comment gérez-vous la garde des enfants ?
Julien : Je garde les quatre enfants sans problème, et je considère les enfants de mon amoureuse comme mes enfants. Si nous étions une famille recomposée classique, ce serait mes beaux-enfants. Quand je dois faire garder mes enfants, c’est que j’ai une activité avec Clara, et c’est Bastien qui s’en occupe.
Mais Bastien n’a pas choisi cette situation, et ne voit pas mes enfants comme ses beaux-enfants, donc c’est un peu plus compliqué de lui demander ça. Bastien a accepté que j’entre dans leur vie, mais nous vivons en colocation.
Après j’ai une garde alternée, donc lorsque j’ai des activités le soir, je me débrouille pour qu’elles tombent les jours où je n’ai pas les enfants. Je suis intermittent du spectacle, et quand j’ai des obligations professionnelles, mes enfants restent chez leur maman.
Léa : J’ai la garde exclusive des enfants comme leur père ne vit pas dans la même ville.
Comment gérez-vous le planning au quotidien ?
Julien : L’idée d’origine était de recréer une grande famille recomposée avec un adulte de plus.
Au départ, il y a eu des difficultés avec l’aînée de Clara et Bastien lorsque j’ai emménagé. Elle avait la sensation que je prenais une place réservée à leur papa jusque-là. Les premiers mois, même si elles n’avaient qu’un an ou quatre ans, leurs deux filles ont eu un sentiment de rejet par rapport à moi. Mais pas du tout par rapport à mes enfants car elles étaient contentes d’avoir de nouveaux compagnons de jeu.
Cela n’a pas duré longtemps, il n’y a plus de maux à mon encontre. Il nous arrive à chacun de garder les quatre enfants.
D’ailleurs récemment, ma compagne et Bastien sont sortis et j’ai passé la soirée avec les quatre enfants sans problème, en faisant le repas et en les mettant au lit.
Léa : La compagne de mon mari avait un enfant, donc nos enfants étaient souvent ensemble et s’entendaient bien. D’ailleurs c’est elle qui a appris à lire à ma fille aînée.
Comment s’est passé l’emménagement ?
Julien : Un an avant de me rencontrer, Clara et Bastien avaient décidé d’agrandir leur maison en achetant la petite maison mitoyenne à la leur. Les deux maisons ont été réunies en une seule, en faisant une ouverture au rez-de-chaussée et au premier étage. L’objectif à l’origine était de louer une partie en Airbnb, donc une cuisine et une salle de bain avaient été aménagées.
Lorsque je suis arrivé, les travaux n’étaient pas terminés, nous avons donc réfléchi à comment réévaluer les travaux pour en faire une partie plus agréable à vivre avec mes enfants.
Puis trois mois après, le premier confinement est arrivé, sans plus aucune activité extérieure possible. Les enfants n’allaient plus à l’école, et nous n’allions plus au travail, donc nous nous sommes retrouvés les uns sur les autres et cela a été très difficile. Nous n’avions jamais envisagé ça. Bastien avait accepté que je vive avec eux, parce qu’on ne se verrait pas tout le temps.
Comment s’organise la cohabitation ?
Julien : Aujourd’hui, chaque adulte a sa chambre, dans laquelle on peut s’isoler, c’est important. Ensuite il y a deux cuisines et deux salles de bain, donc les repas peuvent être pris par chacune des familles, ce qui est devenu la norme.
Les habitudes qu’on avait prises, comme celle de manger tous ensemble trois fois par semaine, se sont annulées. Parce qu’on avait besoin d’être moins les uns sur les autres.
Nous avons quand même essayé de maintenir des repas communs de confinement en confinement, même si cela n’a fait que diminuer jusqu’à septembre 2021, c’est-à-dire jusqu’à ce que les activités reprennent. Pour rester ensemble, nous devions être moins ensemble, il a même été question que je déménage.
Aujourd’hui nous ne partageons plus vraiment de moment à trois, ou familiaux tous ensemble. Clara passe du temps avec moi puis avec Bastien.
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Comment définissez-vous votre relation lorsqu’on vous pose la question ?
Julien : Nous nous définissons souvent comme un trouple, mais dans le milieu polyamoureux, on ne nous perçoit pas comme tel, puisque je n’entretiens pas de relation avec Bastien. Nous sommes donc plutôt deux couples mais à trois.
La vie quotidienne n’est pas facile, donc je m’interroge évidemment sur la longévité de cette relation. C’est très difficile pour Clara qui est tiraillée entre ces deux amours…
Y a-t-il des différends concernant l’éducation des enfants ?
Julien : Ce n’est pas toujours facile, quand il y a deux parents, parce que nous n’avons pas été élevés de la même manière, nous n’avons pas les mêmes références ou le même bagage. À trois, c’est encore plus difficile. Parce que forcément, nous sommes amenés à avoir un certain poids dans l’éducation d’enfants qui ne sont pas les nôtres.
Il faut arriver à trouver des terrains d’entente, surtout que nous avons trois visions différentes. Cela a déjà créé des tensions, car Clara et Bastien trouvaient que je ne réagissais pas bien par rapport à leurs enfants ou l’inverse.
Léa : Nous nous sommes rencontrées sur un groupe de parentalité bienveillante, donc nous avions les mêmes fondements théoriques au niveau de l’éducation.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Léa : Pour le moment je préfère vivre seule, mes relations datent de moins d’un mois. La rupture a été difficile, donc je préfère ne pas être dans l’engagement immédiatement.
En plus c’est selon eux, pour l’instant ils n’ont pas émis le souhait de s’impliquer dans la vie de mes enfants, donc j’attends de voir comment cela va se passer.
De polyamour et d’eau fraîche, un regard rafraîchissant sur les unions libres
Les relations polyamoureuses sont généralement mal perçues car méconnues. Au travers de ces entretiens, on s’aperçoit que cette structure de relation est tout à fait viable. Léa ne manque pas de rappeler d’ailleurs qu’à la maternelle les enfants ont généralement plusieurs amoureux ou amoureuses et ne se pose pas de question. Elle a raison !
C’est ensuite que les relations amoureuses s’alourdissent des codes de la société. De polyamour et d’eau fraîche est un ouvrage qui apporte un vent frais sur les histoires d’amour. Il répond à des questions que vous ne vous étiez peut-être pas encore posées, et il sort dès ce jeudi 16 septembre aux éditions Steinkis !
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*Tous les prénoms ont été modifiés.
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