Nadia Daam a subi un harcèlement d’une violence inouïe. Deux de ses agresseurs ont été portés devant la justice et condamnés (lire ci-dessous).
La haine n’a pas pris fin avec ce verdict. De nouvelles menaces de mort ont été proférées à son encontre.
L’ensemble de l’équipe madmoiZelle adresse son soutien à la journaliste, qui a osé ne pas se taire.
6 mois de prison, avec sursis, et 2000€ pour préjudice moral.
C’est la peine qui a été prononcée ce 3 juillet 2018 à l’encontre de deux hommes, « Tintindealer » et « Quatrecenttrois », reconnus coupables de harcèlement envers Nadia Daam.
À ma gauche, certain·es se réjouissent devant un verdict lourd de sens au niveau symbolique, qui acte la réalité des violences sur Internet et laisse espérer la fin de l’impunité pour les cyberharceleurs.
À ma droite, certain·es déplorent la légèreté de cette peine, le choix des médias de conserver l’anonymat des coupables, et craignent que rien ne change.
Au milieu, je ronge mon frein depuis 24h, et j’ai un peu envie de cogner dans des trucs. Voici pourquoi.
« L’affaire Nadia Daam » et ses racines, bien enfoncées dans la colère
Commençons au début.
Le 1er novembre 2017, Nadia Daam livre sur Europe 1 une chronique au vitriol, fustigeant des trolls ayant saturé le « numéro anti-relous » destiné aux victimes de harcèlement (de rue, sexuel…).
Ce désolant mouvement de foule était notamment issu du forum 18-25 de jeuxvideo.com. Et la journaliste n’y allait pas de main morte.
Nadia ne mâche pas ses mots. Mais ça n’a rien à voir avec ce qui lui est arrivé.
Car madmoiZelle parlait déjà en 2014 du 18-25 de jeuxvideo.com, en s’interrogeant : est-ce un « bouillon de culture misogyne ? ». Depuis, certains membres visent régulièrement le magazine, à coups de raids, d’attaques DDOS.
Quelques années plus tard, ce même forum était le foyer du harcèlement visant Marion Séclin.
Ni madmoiZelle, ni Marion Séclin n’ont insulté, directement ou indirectement, les membres du 18-25. Ça n’a pas empêché une partie d’entre eux de se montrer violents.
Alors ce ne sont pas les mots de Nadia Daam qui provoquent le harcèlement : ce sont les harceleurs qui forment la meute et la déchaînent, selon leur bon vouloir.
Les trolls, ces sales mecs omniprésents
Je les connais, vous savez, les trolls. Et honnêtement, je les déteste.
J’ai grandi sur Internet, dans des communautés geek peuplées de mecs qui avaient, et ont toujours, du mal à considérer les femmes comme des personnes.
J’ai grandi avec cette culture du « pour le lol », de l’impunité totale et de l’absence d’empathie, du « si tu veux pas te faire insulter supprime ton compte, espèce de fragile ».
Du « c’est pas grave, c’est pas vrai : c’est sur Internet » — de la part de types qui ne doivent leur vie sociale qu’à Internet, c’est cocasse.
Ces mecs qui s’octroient le droit d’exercer une violence inouïe, contre laquelle il faudrait tendre l’autre joue
, tout en se mettant le slip à l’envers à la moindre critique… je ne les supporte plus.
Quand le verdict des harceleurs de Nadia Daam a été rendu, j’ai écrit, à chaud, un article que vous ne lirez jamais, car il est imprégné de colère et peu constructif. Sachez simplement qu’il commençait par :
« Salut les connards. »
La haine et la lâcheté des harceleurs de Nadia Daam
Nadia Daam a été victime de harcèlement. Ça a commencé sur Internet, ça s’est transposé dans « la vraie vie », car vous savez quoi ? Internet, C’EST la vraie vie.
Disparaître des réseaux sociaux ne sert à rien quand on rentre chez soi pour retrouver sa porte fracassée.
Épaulée par un bon avocat et décidée à voir justice rendue, Nadia Daam a porté plainte. Deux harceleurs, une goutte d’eau dans l’océan, ont été menés devant la barre.
21 ans et 35 ans. Métiers liés à l’informatique. Petite chemise, air vaguement contrit.
Et cette lâcheté face à leurs propres actes, cette manie de faire comme s’ils n’étaient pas au courant de ce qu’ils faisaient. À 21 ans et 35 ans.
Quel manque de courage. Quelle navrante attitude.
Le verdict des harceleurs de Nadia Daam, « c’est déjà ça »
Ces deux harceleurs ont été condamnés. C’est bien. C’est positif.
Car il est grand temps de mettre fin au sentiment d’impunité qui habite les personnes se permettant tout et n’importe quoi, se croyant protégées derrière leur clavier, leur souris, leurs montages dégueulasses, leurs insultes crasses.
Internet, c’est la vraie vie. Vos mots sont réels. Et vous ne les auriez probablement pas prononcés en face-à-face, alors vos couilles dont vous semblez si fiers, vous pouvez les remballer.
Oui, ce verdict, c’est une chose positive. Un symbole, j’imagine, un message qui dit « Salut les connards, l’époque où vous vous sentiez intouchables est terminée ».
J’espère.
J’y crois pas vraiment.
J’arrive pas à y croire pleinement. Pourtant, j’essaie toujours de voir le verre à moitié plein ; mon féminisme, je le qualifie « d’optimiste ». Ma vie est pleine de « c’est déjà ça », de « c’est mieux que rien ».
Sauf que là, je suis fatiguée. Fatiguée que ça soit toujours aux mêmes de prendre du recul, de faire la part des choses, de se contenter de peu en disant « Merci, vraiment, c’est déjà une petite victoire ».
Nadia Daam est soulagée, et je la comprends. Sa bataille judiciaire a été courte par rapport à d’autres, mais je ne peux qu’imaginer à quel point ces derniers mois furent éprouvants pour elle.
Je n’arrive pas à jeter mon poing en l’air, à savourer cette victoire. Je n’arrive pas à ne pas me dire « Il y aura d’autres Nadia Daam, ce sera peut-être moi, ce verdict ne va pas arrêter les enfoirés ».
J’ai vu trop de gens, trop de femmes laminées par le cyberharcèlement, bien plus détruites que ces deux abrutis, avec leurs 6 mois de sursis et leurs 2000€ à payer.
Bien sûr qu’on ne va pas leur faire porter le chapeau pour tous les autres, tous ceux qui n’ont pas (encore ?) été identifiés, bien sûr que la justice n’est pas là pour faire un exemple et porter mon envie de vengeance.
Quel verdict m’aurait « satisfaite » ? C’est difficile à dire. Selon la loi :
« L’auteur d’un harcèlement en ligne (s’il est majeur) risque 2 ans de prison, et 30 000€ d’amende. »
Je ne suis pas sûre que TintinDealer et Quatrecenttrois auraient beaucoup appris, sur l’empathie et le respect, en 2 ans de prison. Peut-être qu’une obligation de thérapie aurait été plus utile ? J’avoue ne pas avoir la réponse exacte.
Il n’empêche. Aujourd’hui, mon optimisme est en berne. Ça me fait chier et je n’y peux rien.
Je suis contente si t’es soulagée, Nadia — vraiment. Bravo d’avoir porté plainte, d’avoir mené ce combat, d’avoir tenu bon. J’espère que tu vas pouvoir récupérer ta vie.
J’essaie de ne pas trop penser à ces dizaines de milliers de connards qui continuent à savourer la leur.
Je ne peux que me focaliser sur l’espoir que cette décision fera date, et que de nombreuses victimes de harcèlement se sentiront plus légitimes à porter plainte, pour que les coupables aient à répondre de leurs actes.
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Les Commentaires
Désolée si tu t'es sentie insultée. Et je voulais répondre en général à celles qui réagissaient de cette façon (d'où le "vous" et au vu de ton dernier message j'ai cru que tu en faisais partie mais en fait en effet, je ne me souviens pas particulièrement de ta position donc vais enlever ton pseudo du message !