À seulement 11 ans, Nada al-Ahdal a probablement déjà pris la décision la plus importante et la plus courageuse de sa vie : elle s’est enfuie de chez ses parents et ses 7 frères et soeurs. Cette jeune Yéménite a choisi de partir pour éviter un mariage forcé. Une histoire extraordinaire et poignante qui ne se passe malheureusement pas qu’en film et que nous explique le magazine NOW.
À l’âge de 3 ans, Abdel, son oncle, technicien à la télévision, a choisi de la prendre sous son aile avec un de ses frères pour les élever, leur offrant alors un confort de vie qu’ils n’auraient probablement pas eu s’ils étaient restés au sein du modeste foyer parental. Nada a ainsi pu aller à l’école et a même appris l’anglais, vivant une enfance heureuse.
Jusqu’à ce qu’un Yéménite résidant en Arabie Saoudite la demande en mariage auprès de ses parents il y a quelques mois, se moquant bien de l’âge qu’elle pouvait avoir. Une nouvelle qui a mis en joie les géniteurs de la petite fille, puisque l’homme qui proposait de l’épouser a un bagage financier conséquent.
L’oncle et protecteur de Nada raconte à NOW
qu’il a paniqué en apprenant la nouvelle :
« Je ne pouvais pas accepter qu’elle soit mariée et voir son avenir détruit, surtout que sa tante a été mariée de force à l’âge de 13 ans et qu’elle s’est immolée par le feu. »
Après un appel de l’oncle au « futur marié », ce dernier a décidé de retirer sa demande.
Quelques temps plus tard, les parents de Nada ont demandé à son oncle si elle pouvait venir vivre avec eux jusqu’à la moitié du Ramadan. En quelques jours, la petite fille disparaissait : ses parents avaient voulu la fiancer à nouveau, et elle avait choisi de s’échapper et d’aller retrouver son oncle.
L’histoire se termine bien pour Nada, puisque son oncle l’a emmenée avec lui au Ministère de protection de la famille. Après une enquête, l’institution a conclu que Nada était bien traitée chez son oncle, qu’il ne l’avait pas kidnappée et que ses parents avaient cherché à la marier de force. En guise d’épilogue, le père de Nada s’est excusé et a déclaré qu’il faisait confiance à Abdel pour élever sa fille.
Parce qu’elle est bien consciente de la chance qu’elle a eu, qu’elle voudrait éviter que ce genre de mésaventures n’arrivent à d’autres enfants et qu’elle avait envie de régler ses comptes avec ses propres géniteurs, Nada a décidé d’enregistrer un message à l’attention des parents et de la poster sur Internet début juillet — des sous-titres anglais ont été ajoutés par l’institut de recherche des médias du Moyen-Orient. Pour la traduction française, on vous la fournit juste en-dessous :
http://www.youtube.com/watch?v=-J7_TKgw1To
« Bonjour à tous. Je voudrais remercier Mukhtar Al-Sharafi et Amal. Je voudrais remercier tous les journalistes et vous aussi.
C’est vrai que je me suis échappée de ma famille. Je ne peux plus vivre avec eux. Assez. Je veux vivre avec mon oncle.
Qu’en est-il de l’innocence des enfants ? Qu’est-ce que les enfants ont fait de mal ? Pourquoi vous les mariez de force comme ça ?
J’ai réussi à résoudre mon problème, mais d’autres enfants innocents ne peuvent pas résoudre le leur, et ils pourraient mourir, ou se suicider, ou faire n’importe quoi qui leur viendrait à l’esprit. Ils ne sont que des enfants. Qu’est-ce qu’ils savent ? Ils n’ont pas eu le temps d’étudier, ils n’ont eu le temps de rien. Ce n’est pas de notre faute. Je ne suis pas la seule concernée. Ça peut arriver à n’importe quel enfant. Il y a beaucoup de cas comme ça. Certains enfants ont décidé de se jeter dans la mer, et ils sont morts maintenant. Ce n’est pas normal de faire ça à un enfant innocent.
C’est vrai que je me suis enfuie pour aller chez mon oncle, mais il n’était pas à la maison. Alors j’ai appelé Abd Al-Jabbar pour qu’il vienne me chercher. Abd Al-Jabbar a envoyé une femme pour que je voyage avec elle et retourne à Al-Huydaydah. Quand mon oncle a entendu tout ça, il est venu me trouver. J’ai porté plainte contre ma mère à la police. Je leur ai dit que j’avais 11 ans et qu’elle avait voulu me marier de force. Je n’aurais pas eu de vie, ni aucune éducation. N’ont-ils aucune compassion ? Quelle sorte d’éducation ont-ils reçu ?
Je préfèrerais être morte. Je préfèrerais mourir. Je préfère vivre avec mon oncle plutôt qu’avec ces gens. Ils ont menacé de me tuer si j’allais retrouver mon oncle. Quel genre de personnes menacent de tuer leurs propres enfants ? Est-ce que ça vous aurait rendu heureux de me marier de force ? Allez-y, mariez-moi. Je me tuerai, comme ça.
Je ne retournerai pas vivre avec eux. Je n’y retournerai pas. Ils ont tué nos rêves, ils ont tout tué à l’intérieur de nous. Il ne reste plus rien. Il ne reste plus d’éducation. C’est criminel, c’est simplement criminel.
Ma tante du côté de ma mère avait 14 ans. Elle est restée mariée un an, et puis après elle s’est recouverte d’essence et elle s’est mis le feu. Elle est morte. Il la battait avec des chaînes en métal. Il était saoul. Est-ce que ça vous rendrait heureux de me marier de force ?
Ma mère, ma famille, croyez-moi quand je vous dis que j’en ai fini avec vous. Vous avez ruiné mes rêves. »
Un message très fort qui, espérons-le, saura être entendu tout autour du monde.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Mais le problème, c'est qu'elle n'est pas un cas isolé; les mariages forcés sont une réalité pour beaucoup de petites filles au Yemen et peu réussissent à s'y opposer.
Par exemple, ce témoignage me rappelle Moi, Nojoud, 10 ans, divorcée, que j'ai lu il y a quelques années. L'héroïne du livre, Nojoud, avait 9 ou 10 ans quand ses parents l'ont mariée. Elle a dû aller vivre dans sa belle-famille, où elle faisait toutes les corvées de la maison, avec son mari qui la battait et qui contrairement à ce qu'il avait dit n'avait pas attendu qu'elle ait ses règles pour la violer. Un jour, elle a demandé à son mari si elle pouvait aller rendre visite à sa famille. Il a fini par accepter et une fois en ville, Nojoud est allée au tribunal ou au poste de police et a dit: je veux divorcer. Une avocate spécialisée dans le droit des femmes s'est occupée d'elle et elle a finalement pu divorcer; elle est retournée vivre avec sa famille.
Il y a eu un procès; mais par exemple, Nojoud ne sait pas son âge avec précision: sa mère ne se rappelle pas exactement en quelle année elle est née et elle n'a visiblement pas été déclarée à la naissance; au cours du procès, son père a prétendu qu'elle avait 13 ans. Heureusement Nojoud a gagné; mais beaucoup de filles n'ont pas son courage ou tout simplement ne savent pas que cette solution existe.
Et du coup je rejoins vraiment ce qu'ont dit @Lamina ou plusieurs autres: le problème est en amont, dans la gestion de l'éducation et de la pauvreté.
Parce que si quelqu'un qui ne connait rien d'autre et n'a pas reçu d'éducation peut tout à fait trouver normal ce genre de situation.