— Article initialement publié le 30 avril 2012
Le 6 février dernier avait lieu la 12ème journée mondiale du téléphone portable. Encore un de ces évènements internationaux qui ne changeront pas le monde et auxquels on fait semblant de s’adonner par solidarité même si, au fond, on en a rien à secouer (ne niez pas, on vous a vu envoyer un SMS en planquant votre smartphone dans la manche de votre veste pendant votre trajet en métro). Se passer de son téléphone portable pendant 24 heures est-il devenu un fait si exceptionnel qu’on en soit arrivés à lui consacrer une telle journée aux allures de challenge, à la manière d’une journée sans tabac ?
À poil sans portable !
« Oubli de téléphone portable », ce drame du XXIème siècle
Il n’y a pas si longtemps, j’ai passé une soirée avec une copine qui était partie de chez elle un peu à la bourre, oubliant par la même occasion d’emporter avec elle son téléphone portable. Drame. Enfer et damnation. J’ai eu beau lui expliquer que ça aurait pu être pire, qu’elle aurait pu oublier son tampon en période de règles, son trousseau de clé à l’intérieur ou oublier de fermer le robinet d’eau avant de s’en aller mais elle m’a répondu sur le ton de l’évidence que dans ces cas précis, elle aurait pu se fabriquer un protège slip avec du PQ dans les toilettes du bar, tenter une ouverture de porte avec sa carte de crédit façon Mac Gyver, éponger le sol avec son lévrier afghan, mais que là c’était sérieux, il était question d’un oubli de téléphone portable.
À lire aussi : Cinq trucs que je préférais avant d’avoir un smartphone
« Oubli de téléphone portable », elle a prononcé ces mots sur le même ton paniqué que si elle avait dit « Oubli de nouveau-né dans la baignoire remplie à ras bord » ou « Oubli de paiement de mon loyer depuis 12 ans et demi avec menace d’expulsion et de prison ferme ». Sur un ton GRAVE. Genre on déconne pas avec les téléphones portables.
Alors, comme une pauvre diablesse, j’ai fait remarqué prudemment, pour tenter de la faire relativiser, qu’elle n’attendait pas de coup de fil urgent, que son patron n’allait pas l’appeler pour lui dicter une lettre à 23 h 26 (son patron n’étant pas ministre ni rock star capricieuse), que sa mère n’allait pas non plus l’appeler pour l’informer que ses enfants venaient de s’étouffer mutuellement avec du chamallow et qu’il était urgent de prévoir les obsèques et que de toutes façon, son appart était situé à trois rues de là.
J’ai alors cru que mon insistance visiblement déplacée allait briser cette longue amitié (faut dire qu’on était copines depuis quinze jours au moins, ça déconnait pas) lorsqu’elle a pris son air le plus péremptoire pour articuler ces mots : « Mais tu PEUX PAS comprendre. Sans mon téléphone, je me sens À POIL ».
« Cherche pas, tu peux pas comprendre ! »
En fait si, je peux comprendre un peu. Moi, ça me fait le même effet quand je sors sans maquillage, j’ai véritablement la sale impression de me balader en ayant oublié quelque chose de crucial, comme mon slip, l’impression de déambuler les fesses à l’air parmi les badauds qui, j’en suis sûre, ne remarquent que ça et me regardent du coin de l’œil en se disant « Han la honte, elle est même pas maquillée la gueuse ! ». Ben pour ma nouvelle amie, le téléphone c’est pareil : il faut croire que si elle ne l’a pas sur elle, elle se sent comme si elle avait oublié sa culotte, avec tous les regards méprisants braqués sur elle.
Cela dit, elle a quand même un peu raison quand elle me dit que je ne peux pas comprendre. Elle a raison et ça me fait bien mal au cul de l’admettre, comme à chaque fois qu’elle me fait une remarque du genre. Comme le jour où elle m’a dit « Tu peux pas comprendre à quel point ça fait mal de se coincer la peau des cuisses dans la fermeture éclair de ta cuissarde » car en effet, n’étant pas adepte des bottes qui montent jusqu’au string, je n’ai jamais connu ce genre de douleur (en même temps, j’ai déjà accouché trois fois ET je me suis emmêlé les doigts dans un batteur électrique, donc niveau douleur, REP A SA ai-je envie de dire).
Ou comme cette autre fois où elle m’a fait remarquer de façon très autoritaire que j’avais beau parler de mes désastres capillaires, je ne pouvais « pas comprendre » ce qu’on ressent quand on demande à sa coiffeuse un blond vénitien et qu’on en ressort avec un orange dégueulasse. Et bien qu’ayant moi-même dû me traîner un carré façon Segolène Royale pour une mauvaise interprétation du concept de coupe « à la Jackie Kennedy », je l’admets, je ne peux pas comprendre, je n’ai pas été à sa place.
Et cessons donc ces transgressions capillaires et autres pour en revenir à notre propos : je ne PEUX PAS comprendre qu’elle se sente à poil sans son téléphone portable pour la bonne et simple raison que… (attention suspens) (roulement de tambour) (non, arrêtez les tambours et mettez la musique de Star Wars, c’est plus cool et plus palpitant)… pour la simple et bonne raison que je n’ai pas de téléphone portable. En 2012, oui.
L’insoutenable fragilité du smartphone
C’est bon, je sais, ne dis rien. C’est déjà assez difficile pour moi de confier une telle différence. Ça me rappelle l’époque où j’ai dû confesser à mes copines de collège que je n’avais toujours pas mes règles, que je trouvais Leonardo Di Caprio moche et aussi que je ne savais pas enrouler ma langue sur elle-même.
J’ai bien eu un Nokia 3210 pendant quelques années….
Elles ont failli ne plus jamais me parler et me reprendre mon badge des filles cool de 5ème2, ça a été très dur pour moi. Donc non, je n’ai pas de téléphone portable, c’est mon petit côté vintage (ça et le fait que je prénomme Evelyne… c’est dire si avec un tel background
, j’étais prédestinée à ne pas vivre avec mon temps). J’ai bien eu un Nokia 3210 pendant quelques années, à une époque j’ai même frôlé la décadence en envoyant des textos groupés et plus récemment, j’ai tenté de me civiliser pour être aussi cool que les autres en m’essayant au smartphone.
Sauf que personne ne m’avait dit qu’un écran tactile, c’était autrement plus fragile qu’un téléphone fixe en bakélite et qu’à la première chute, mon beau téléphone du 21ème siècle est décédé. J’ai pris cela pour un signe et depuis, j’ai cessé toute tentative de me familiariser avec cet objet du démon, évitant ainsi toute forme de dépendance (je suis déjà accro à la cancoillote, je ne peux pas me permettre d’être EN PLUS accro à un téléphone cellulaire).
L’épopée des téléphones old-school
Sachez que je n’étais pourtant pas prédisposée à être ainsi récalcitrante, à me montrer quasi hostile à l’égard de ce sacro-saint objet qui prolonge les mains de mes congénères. Pour preuve, je suis née dans une famille où en 1994, mon père possédait déjà un téléphone portable, à peu près aussi baraqué qu’une cibie (le téléphone, pas mon père) (mon père étant à peu près aussi costaud que Steven Seagal avant sa période coloration capillaire, obésité et chemises hawaïenne).
Oui, au début des années 1990, papa avait un téléphone portable, comme un homme d’affaires. Sauf que lui, il était bûcheron et pensait pouvoir s’en servir pour appeler ma mère depuis sa forêt, façon Charles Ingalls s’interrogeant sur l’avancée de la cuisson du ragoût de haricots blancs. L’ennui étant qu’on a rarement du réseau au beau milieu des bois, surtout dans les années 90, mais comment pouvait-il le savoir lui qui était un homme si rustique.
Considérons donc l’affaire du premier téléphone portable de papa comme une expérience peu excitante qui n’avait pas de quoi m’emballer. Et poursuivons avec ce second évènement autrement plus cool m’ayant confrontée à la communication mobile pendant mes années lycée : la possession d’un Tatoo, ce petit boîtier qui permettait d’envoyer des messages bien avant les textos, et dont le slogan ne manquait pas de préciser : « Avec Tatoo, votre tribu garde le contact avec vous ».
Sauf que moi, j’avais pas exactement ce qu’on aurait pu qualifier de « tribu ». J’avais quelque chose comme trois potes dont deux passaient leurs récrés au CDI tandis que le dernier, accroupi au fond du préau pour fumer en cachette, m’expliquait qu’à force d’observer les gens, il commençait à lire sur les lèvres. Autant dire que c’était pas avec ce genre de tribu que je risquais de recevoir des messages sur mon bipper.
Parfois cela dit, histoire de rentabiliser cette petite merveille de technologie que j’arborais fièrement à la ceinture de mon jean Chevignon (un jean Complices avec un patch Chevignon cousu dessus parce que, pour citer maman : « On a quand même pas un âne qui chie des sous »), ma mère m’envoyait des messages. Et là, c’était toujours un grand moment de solitude quand je recevais un message du genre « RDV chez l’orthodontiste après les cours » ou mieux, « Passe prendre du pain ».
Cela dit, je ne me suis pas immédiatement avouée vaincue, j’ai tenté de me familiariser avec la technologie, d’apprendre à entretenir le contact avec ma tribu comme ils disaient, seulement à l’époque, les choses n’étaient pas aussi faciles que pour l’envoi d’un texto : il fallait appeler un numéro spécial et dicter son message à une opératrice avant que celle-ci ne le transmette au destinataire (jeunes lectrices, tombez à la renverse en prenant ainsi conscience de mon grand âge : je viens d’une époque où on n’avait pas de clavier pour s’envoyer des textos).
Comme il était très fréquent que l’opératrice comprenne mal le message annoncé, le Tatoo n’avait aucun intérêt si ce n’est celui d’accumuler ce que nous nommerions aujourd’hui des fails, en bonne et due forme. Exemple : si je dictais à l’opératrice « Salut, j’ai vu Jess, elle a craqué son jean en EPS, c’était trop marrant », le destinataire avait 9 chances sur 10 de recevoir : « Salut, j’ai vu Jeff, elle a raqué son gin au PS, c’était trop parent ». Aucun intérêt, donc. Et une expérience de plus visant à me convaincre que le contact permanent avec sa tribu n’est pas forcément un truc cool.
Être un humain libre, sans portable sous la main
Tout cela pour dire que voilà, j’ai des circonstances atténuantes. J’ai beau ne pas posséder de téléphone portable, je suis un être humain avant tout. Un être humain jamais joignable, et j’ai envie de dire : c’est ça qui est bon ! Un être humain qui ne s’encombre pas de messages groupés qui arrivent massivement les jours d’anniversaire ou le 1er janvier entre 23 h et minuit (et auxquels on est censé répondre individuellement avec une petite blagounette pour personnaliser le tout).
Un être humain qui ne s’emmerde pas à répondre à des textos du genre « Quoi de neuf ? » (seriously, toi qui n’a pas donné ni pris de nouvelles depuis un an, tu veux que je te raconte tout par SMS ?). Un être humain qui s’octroie le droit de s’offusquer quand on arrive en retard à un rendez-vous avec pour toute excuse : « Désolé mais j’ai pas pu te prévenir vu que t’es injoignable », ce à quoi je me permets de répondre « Je suis peut-être pas joignable mais moi au moins je suis ponctuelle donc tu payes le restau, ça compensera le temps que j’ai passé à t’attendre ». Je suis donc un être humain sans téléphone portable mais je suis un être libre, et ça c’est beau, comme dirait Jean-Claude.
Et puis un jour viendra, peut-être, où moi aussi j’aurai un beau smartphone qui me permettra non seulement de téléphoner mais aussi d’Instagramer ma vie et de partager sur tous les réseaux sociaux, en temps réel, la conjonctivite de mon chien, les pâtes au beurre qui sont dans mon assiette et le nouveau tue-mouches en forme de tournesol que j’ai collé sur mes vitres (et là, mon rêve d’avoir un blog famille & déco deviendra réalité).
Mais pour cela, il faudra attendre encore un peu et ne surtout pas me brusquer. On ne brusque pas quelqu’un qui n’a pas de four micro-ondes et qui regarde encore parfois des VHS. Et qui découvre les trucs cool et tendance 1000 ans après tout le monde (en ce moment, je découvre qu’il y a eu pas mal de chouettes séries TV depuis X-Files, mais pourquoi est-ce que personne ne m’en avait jamais parlé avant ?). En attendant, si vous cherchez à me joindre de façon urgente, il vous reste le mail, les signaux de fumée ou les pigeons voyageurs. Mais rassurez-vous, comme on dit chez nous, je réponds à tous les messages.
Les Commentaires
C'est vrai que comme l'a dit une madz précédemment, on prend le fait de posséder un portable comme acquis.
C'est toujours savoureux de voir la bille des gens (administration par exemple) qui vous regardent comme une extra-terrestre quand ils vous demandent votre numéro de portable.et que vous leur répondez que vous n'en avez pas.
Après il y a différentes réactions possibles. Celle que j'aime bien, c'est "vous avez de la chance...". Euh ben non, c'est juste un choix, tu sais, tu peux faire pareil. Après je comprends bien que pour certaines personnes ça peut être nécessaire, pratique ou tout ce que vous voulez.
Disons que depuis que les portables sont sur le marché, j'ai eu en gros, allez, 3 situations, où ça aurait été bien pratique, du genre on aurait gagné 15 minutes pour se retrouver avec des potes. Wouééééé! (j'adore ce gif). Mais aucune situation insurmontable sans. On se débrouille toujours.