Tandis que les Parisiens les plus motivés allaient tortiller du croupion sur Saga Africa en buvant du Crémant d’Alsace directement au goulot (le champagne, c’est juste bon pour les jeunes UMP), ma conscience politique et moi-même nous contentions d’un verre de Badoit devant l’annonce des résultats à la télévision. Oui je sais, ma vie n’est pas très palpitante. Pour sûr, si j’avais pu, j’aurais moi aussi tenté de hisser mon gras en haut d’un panneau de signalisation pour surplomber la foule, peut-être même aurais-je revêtu mes plus beaux nippies en forme de roses rouges pour hurler « On a gagné ! », avant d’éructer mon mousseux en brandissant un drapeau tricolore. Mais tout le monde ne vit pas dans la grande ville, encore moins dans la capitale. Certains habitent même dans des bourgs de moins de 200 électeurs qui ne sont même pas pourvus d’une place publique pour que la populace puisse se rassembler et fêter un tel évènement. Et j’ajouterais même que certains vivent dans des bourgs où l’on se réjouit tellement peu de la victoire de la gauche qu’un soir de résultats d’élections, il est plus sage de rester calfeutré chez soi plutôt que de risquer un coup de chevrotine en voulant scander sa joie sur la voie publique.
— Toutes les photos de Laystary dans son report de la soirée à la Bastille
Faisant partie de ces gens-là, privés de beuverie en plein air et de slogans écrits au marqueur sur les joues, j’ai donc dû me contenter d’une soirée électorale en tête à tête avec moi-même. Enfin, pas exactement, la technologie ayant cela de merveilleux qu’elle permet désormais de réunir les gens même s’ils ont individuellement le cul vissé à leur canapé, à des centaines de kilomètres de distance. Grâce à la magie d’internet, j’ai donc pu me réjouir de la possibilité de célébrer cette victoire avec mes amis sur ce fabuleux réseau social qu’est Facebook. Un réseau où tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil. Mais où l’on découvre que, tels loup-garou qui se métamorphose bien malgré lui à l’arrivée de la pleine lune, certains utilisateurs mutent au contact de résultats électoraux. Un nouveau mystère à ajouter à la liste des nombreuses énigmes auxquelles je m’intéresse, entre le secret de la mousse de lait des Kinder Pingui et l’immunité au processus de vieillissement de Ralph Maccio.
Pour résumer, avant, sur Facebook, j’avais des amis. « Amis » étant alors un bien grand mot, je te l’accorde. Disons donc que j’avais un réseau de gens plutôt cool et détendus du slip, et que la vie s’organisait sereinement autour des traditionnelles photos d’enfants moches (dont je n’explique hélas pas la recrudescence de ces derniers temps), de vannes drôles, de vannes moins drôles, d’annonces de concert, de statuts déprimants de drama queen invétérées (« Marre de l’amour, pourquoi la vie est-elle si compliquée… ») et autres joyeusetés. Et puis ce soir-là, mon fil d’actualité a subitement et complètement muté, pour devenir, par un étrange phénomène, une sorte de condensé de haine, d’amertume et de mauvaise foi. Face à ce phénomène encore plus captivant que celui du résidu de sachet de thé qui s’envole quand on l’enflamme, j’ai donc procédé à ce qui me semblait alors le plus sage et le plus satisfaisant : mettre mon pyjama en pilou, me faire du pop-corn et assister avec fascination à ce spectacle mêlant mutations subites, ruptures amicales en direct live, coming-out massifs et autres évènements plus époustouflants encore qu’un coup de kiki dans une piscine lors d’une émission de télé-réalité.
En résumé, une soirée électorale sur Facebook, ça ressemble à quoi ? Eh bien disons que c’est un peu comme une fête dans le village d’Astérix : tout le monde est ami, tout le monde est content et puis d’un coup d’un seul, tout le monde décide de se mettre sur la gueule. Un festin gaulois parmi lesquels certains invités se révèlent pas si irréductibles que ça et où apparaissent des personnages aussi inattendus qu’incongrus, qui ajoutent du piment et de la rigolade à ce tableau mi-drôle mi-inquiétant.
Le partisan UMP qui fait son coming-out
Avant, sur FB,
je n’avais presque que des amis de gauche. Entendons-nous bien, j’ai aussi des amis de droite hein, je suis une fille cool. Mes amis de droite et moi, on parle de tout sauf de politique car malgré nos opinions divergentes, rien n’empêche le petit oiseau et le petit poisson de s’aimer d’amour tendre-euh. Et puis, le soir des résultats est arrivé. Et là, le grand coming-out général a eu lieu, un peu à la manière d’un évènement surnaturel, un peu comme dans cette scène d’Alien où les cocons se mettent à éclore un par un, libérant quelque chose que l’on n’aurait jamais soupçonné.
Ainsi ai-je vu toutes ces personnes qui, il y a quelques jours encore, gratifiaient d’un « like » mes publications d’électrice de gauche, aussi passionnantes ou dépourvues d’intérêt soient-elles (ma publication concernant l’acquisition d’un slip à l’effigie de Jean-Luc Mélenchon ayant fait l’unanimité), se muter en sympathisant de droite frustré improvisant un concours de mauvaise foi et n’hésitant pas à insulter ceux qui, il y a quelques minutes encore, étaient ses « amis ».
Entendons-nous bien, je comprends la frustration des partisans de Sarkozy qui ont vu ce soir-là leurs espoirs s’effondrer. Personne n’aime perdre (sauf ma copine chagasse et exhib quand elle joue au strip poker, mais cela est une toute autre histoire), cela va de soi. Et pour l’avoir vécu au cours d’élections passées, je sais ce que c’est que de voir s’afficher à l’écran le visage du candidat que l’on souhaitait voir perdre (ça me fait ça tous les ans quand je regarde l’élection Miss France ou l’Eurovision). Ce que je trouve exceptionnel en revanche, c’est la façon dont réagissent les gens face à la défaite. Plus personne ne se contente désormais de pleurer, d’enrager, de se passer les nerfs sur toute personne se trouvant à proximité, non. Désormais, la magie des réseaux sociaux permet à chacun de déverser son amertume et sa colère à l’infini et au-delà, comme le dirait ce bon vieux Lightyear. Et au final, voilà ce que ça a donné.
Il y eut plusieurs vagues de métamorphoses se traduisant par moults comportements :
- L’ami de droite qui insulte la France : « J’ai honte d’être Français », « la France, pays de cons »
- L’ami de droite qui insulte l’intelligence des électeurs de gauche : « Peuple de cons, vous ne savez même pas ce que vous venez de faire ! », « J’ai honte pour tous ces gens qui ne savent pas voter », « Vous n’y comprenez rien ! Comment pouvez-vous vote à gauche en temps de crise ! »
- L’ami de droite qui a subitement honte d’avoir des amis de gauche pauvres et/ou jaloux. Car quand on ne cautionne pas un parti de droite, c’est qu’on est forcément fainéant ou frustré ou pauvre ou assisté ou tout cela à la fois : « Que tous ceux qui préfèrent toucher les allocs se réjouissent, les gens comme moi qui bossent vont raquer pour leur gueule », « Honte de ce pays d’assistés ! », « La gauche peut se frotter les mains, la chasse aux riches va commencer, votre RSA va augmenter »
- L’ami de droite qui scande des slogans anti-fa depuis 15 ans dans les concerts punks et qui subitement, se plaint de tous ces étrangers qui vont bouffer le pain des Français (un de mes préférés) : « Comment pouvez-vous élire quelqu’un qui veut donner le droit de vote aux étrangers ??!! », « Quand tous les immigrés auront pris votre travail et que vous pointerez à l’ANPE, vous repenserez à votre vote ! », et puis surtout « Des drapeaux algériens place de la Bastille : c’est ça la France ???!! »
- L’ami de droite qui t’explique l’histoire, la politique, la vie quoi, à toi, petit Padawan sans expérience : « Électeurs de Mélenchon et Hollande, vous auriez mieux fait d’écouter ce que vous avez appris à l’école ! Révisez les ravages du communisme et du socialisme avant d’aller voter ! », « Comment peut-on voter à gauche quand on voit tout ce que Staline a fait ? »
- L’ami de droite qui annonce l’apocalypse (et à qui il ne manque plus qu’une mine hagarde et un panneau, façon homme-sandwich, sur lequel serait inscrit : « La fin est proche ») : « Vous avez voulu la gauche, préparez-vous à des années de souffrance », « Les foudres de la gauche vont s’abattre sur le peuple Français ». À lire de tels statuts, on en vient presque à redouter une invasion de sauterelles ou l’une des dix plaies d’Égypte. Brrrrrr, tremblez braves gens !
- Et puis le meilleur pour la fin, la crème de la crème : l’ami de droite qui se fout de la gueule de Mickaël Vendetta et qui, 24 heures plus tard, fait tout pareil : « Pays de merde, je me barre à l’étranger ! », « Je fais mes valises, pour moi ce sera les States », « Obligé de partir vivre en Suisse, bon vent la France ! », « C’est décidé, demain je pars ! ». Bande de petites kikettes qui n’allez même pas franchir le bout de la rue avec votre baluchon.
Enfin, terminons sur cette mention spéciale du jury, accordée tout spécialement à mes amis de droite, de gauche, du milieu, voire de nulle part, qui se contentent de : « Vos gueules avec la politique, on en a rien à foutre » ou de « Vous faites chier avec vos élections de merde, y a des choses plus importantes dans la vie » voire « Si la politique pouvait changer les choses, ça se saurait ». Eh oui, c’est vrai, le name-dropping de ta dernière soirée blind test au bistrot du coin, les photos de tes nouvelles chaussures ou les nouvelles de ton enfant moche qui sait désormais manger ses spaghetti bolognaises sans en aspirer par les narines, c’est vrai que ça, c’est important. Mieux : c’est essentiel. La politique en revanche, l’Histoire, c’est du pipi de chat, faudrait être vraiment con pour s’en préoccuper.
Voilà, ainsi s’est déroulée ma folle soirée électorale sur FB, en direct de mon canapé, avec du pop-corn trop gras collé dans les cheveux. Un spectacle drôle et attachant, plein de rebondissements et d’évènements inattendus, ayant parfois des airs de chanson triste des Wampas (tu sais, celle où le type découvre le nom de la punkette qu’il a aimée sur une liste de droite). Une soirée qui s’achève avec une liste de contacts qui s’est réduite comme une peau de chagrin et avec les annonces mélodramatiques des utilisateurs qui annoncent leur départ de FB (pour la Suisse ?).
Bref, Facebook ne fut jamais aussi triste que ce soir-là. Est-ce que les électeurs de gauche se seraient mieux comportés en cas de défaite socialiste ? Sans doute pas. On aurait inévitablement eu droit à autant de mauvaise foi, de révélations honteuses, de colère et de règlements de compte, c’est l’jeu ma pauv’ Lucette. J’aurais également traité les électeurs UMP d’inconscients qui votent pour l’escroc de la Vème République, j’aurais sans doute remis en question leur intelligence et dans un moment d’égarement, j’aurais peut-être même pu aller jusqu’à poster une vidéo des Sales Majestés comme quand j’avais 17 ans. J’aurais pas été plus exemplaire en somme, ça aurait sans doute été kif-kif, il faut bien l’admettre (un peu comme la fois où j’ai coupé les cheveux de ma sœur en 1989 parce qu’elle m’avait battu à Qui est-ce ?).
Seulement voilà, la question qui me hante, la VRAIE question qui me pose problème depuis la clôture de cette folle soirée électorale on line : maintenant qu’on a élu notre Président, on va trouver quoi comme prétexte pour se mettre sur la gueule ou pour faire des manif’ virtuelles improductives sur les réseaux sociaux ? Vite vite, trouvons quelque chose pour compenser. On va quand même pas prendre le risque de crever d’ennui. Et puis bon, si on ne peut même plus s’insulter à l’occasion avec ses propres amis, où va le monde, je vous le demande.
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Les Commentaires
oui c'est exactement ça
et merci pour ta réponse, c'est que ça chamboule tout ces alliances, ces revirements, etc ... je m'y perds un peu
sinon je suis complètement d'accord pour le sens et les connotations du mot "extrême", d'ailleurs j'ai jamais compris pourquoi on utilisait ce mot, c'est clair que du coup ça exclut d'emblée les partis "extrêmes", genre ce sont les pestiférés, des gens inconscients qui ne savent pas ce qu'ils disent, enfin zut ils comprennent bien que c'est impossible ce qu'ils disent, c'est bien trop exagéré !
(dixit ma grand-mère )