Oublions un peu les troubles qui agitent le pays et parlons du positif, parce qu’il y a aussi de magnifiques histoires au Venezuela, et celle que je voudrais vous faire découvrir aujourd’hui est sûrement la plus belle d’entre elles.
Le Venezuela est un pays où la musique est reine, dans tous les foyers, dans la rue, avec une grande diversité de rythmes et de styles, comme la salsa, ou encore des musiques plus traditionnelles telles que celles des llanos, de l’orient, etc. ; et, peut-être de manière plus surprenante, le Venezuela est aussi aujourd’hui reconnu à travers le monde pour ses musiciens et ses orchestres de musique classique. Comment ce pays en est-il arrivé là?
Un rêve musical
C’est le genre d’histoire, une sorte de Cendrillon de la musique, qui donne envie de la raconter au coin du feu.
Tout commence par un homme et son rêve : Jose Antonio Abreu, un humble musicien, chef d’orchestre, mais aussi économiste. Depuis toujours, il s’est senti hautement préoccupé par les déséquilibres sociaux de son pays et une partie de la jeunesse partant à la dérive, et il cherchait depuis longtemps un moyen d’agir ; il décide alors de combiner toutes ses connaissances en un projet inédit. Il imagine une sorte d’école de musique pour tous, ouverte aux enfants des classes sociales les plus défavorisées, permettant de les sauver d’un futur étriqué et de manière plus globale de transformer la société.
Son projet débute chichement, en 1975, dans un parking souterrain, où il avait convoqué des musiciens à venir jouer ensemble. Pas plus d’une douzaine de personnes se présentèrent, et il n’en menait pas large, jusqu’à ce qu’un petit bonhomme débarque alors avec son violon, et lui fasse réaliser qu’« il faut tenir, tenir pour eux ». Au fil du temps et grâce au bouche-à-oreille, l’info se répandit, de plus en plus de musiciens furent au rendez-vous, et finalement en 1979 il crée la Fondation de l’État pour l’Orchestre National Juvénile du Venezuela. Son système est aujourd’hui présent dans tout le pays sous la forme d’un immense réseau, financé par le gouvernement, composé de núcleos, ou « noyaux » (des centres de fornation) répartis dans les différentes villes et villages du pays, dans lesquels tous les enfants à partir de 2 ans peuvent s’inscrire de manière complètement gratuite et entament alors un apprentissage de la musique.
Le miracle vénézuelien
La Fondation décrit ainsi sa mission et sa vision :
« La Fondation Musicale Simon Bolivar constitue une oeuvre sociale de l’Etat vénézuélien consacrée au sauvetage pédagogique, professionnel et éthique de l’enfance et de la jeunesse, à travers l’enseignement et la pratique de la musique, dédiée à la capacitation, la prévention et la récupération des groupes les plus vulnérables du pays. (…) Il s’agit d’une institution ouverte à toute la société, avec un haut concept d’excellence musicale, qui contribue au développement intégral de l’être humain. »
En effet, pour faire évoluer une société il ne s’agit pas que de distribuer de la nourriture et des soins ; il s’agit aussi de faire évoluer les mentalités et de faire en sorte que le changement vienne de l’intérieur, qu’il parte de ses membres mêmes. Comme le dit Abreu, « en nourrissant l’âme d´une personne, on l’aide à se développer par elle-même ». Et pour lui, la musique touche l’âme au plus profond, développe l’esprit et l’être humain.
Ce Sistema se concentre donc sur les acteurs de la société en devenir, les enfants, mais aussi ceux du présent, leurs familles, et leur offre des opportunités sur plusieurs niveaux.
- Comme le dit bien la chanson, « Laisse pas traîner ton fils »… Ici, la pauvreté est très forte, et les parents des familles les plus défavorisées doivent travailler très dur pour subvenir aux besoins de leurs enfants ; or, les jeunes, jusqu’au lycée, n’ont cours que le matin et se retrouvent donc livrés à eux-mêmes toute une partie de la journée. Entrer au Sistema permet ainsi dans un premier temps de les occuper, d’éviter qu’ils ne traînent dans les rues et soient exposés à la violence, aux drogues, etc.
- Apprendre la musique donne ensuite un espoir à ces enfants, leur ouvre des portes pour échapper à un futur incertain et violent ; on leur donne une nouvelle chance et on les aide à avoir foi en leur avenir. De plus, l’apprentissage et la pratique de la musique permettent un apprentissage global de valeurs ; cela enseigne la rigueur, la concentration, et habitue les jeunes à travailler et fournir des efforts pour atteindre un objectif. La musique permet aussi à ces enfants de s’exprimer, d’exister, dans une société où ils sont souvent sous-estimés, dévalorisés.
- Enfin, la pratique en orchestre est un élément-clé dans l’enseignement du Sistema : un orchestre est comme une mini-société, il faut s’écouter, se respecter, travailler ensemble pour que tout fonctionne en harmonie. Jouer en orchestre est donc un apprentissage de la vie en société, de la solidarité.
- Quand un enfant entre au Sistema, c’est toute la famille qui s’en trouve transformée : les parents aussi voient de nouvelles portes s’ouvrir, un futur plus doux pour leur enfant, ils s’impliquent et le soutiennent. Les professeurs travaillent d’ailleurs beaucoup avec les familles, visitent les foyers et prodiguent toutes sortes de conseils aux parents afin de les inclure dans ce processus.
La passion avant tout
La méthode d’enseignement particulière, bien différente de celle que l’on peut trouver dans les conservatoires de divers pays du monde, fait aussi toute la différence et le succès de ce projet : la Fondation décrit sa méthode comme « la passion d’abord, le fignolage ensuite ». La passion est en effet à la base du Sistema et conditionne tout le reste de l’apprentissage, permettant une implication totale. Et la pratique, notamment en groupe, est un élément-clé dès les premiers cours et tout au long du cursus, afin de toujours générer cet enthousiasme incroyable, ce sentiment d’appartenance et d’unité, tout en permettant aux jeunes d’atteindre un haut niveau dans la pratique de leur instrument et une excellence musicale.
Aujourd’hui, ce Sistema compte 24 orchestres d’État, 285 orchestres symphoniques juvéniles et infantiles, 285 núcleos accueillant près de 350,000 enfants et jeunes du pays, tous issus de milieux pauvres.
L’exemple emblématique de ce Sistema est Gustavo Dudamel, vraie superstar du Venezuela, qui a débuté la musique dans un núcleo de Barquisimeto, et dirige aujourd’hui l’Orchestre Symphonique de Los Angeles. Voici un bel exemple, devenu célèbre, de cette énergie et cette ferveur des musiciens du Sistema lors d’un concert dirigé par Dudamel :
https://youtu.be/_El7qwib0dc
(À partir de 3:00, et le fameux mambo à 7:00, qui vaut tellement le détour !)
El Sistema va donc au-delà d’un simple apprentissage musical, il engendre un vrai sentiment d’unité et un feu intérieur, une abnégation totale dans un projet, et produit des musiciens qui se sont d’abord transformés eux-mêmes avant de transformer leur public. Après un concert de ces jeunes, on sort incroyablement ému-e ; par leur histoire, par la certitude que leur vie a complètement changé de trajectoire, mais aussi par la qualité de leur musique et par l’émotion, la passion qu’ils mettent dans leur art et qui touche au plus profond de l’âme, quel que soit leur âge. On voit d’ailleurs dans ces orchestres des enfants de 6 ans, incroyablement doués et matures.
Que pensez-vous de ce système ? Vous imaginez quelque chose de similaire en France ?
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
La musique est très chère en France lorsqu'elle est enseignée dans des écoles privées, ou par des professeurs particuliers.
Par contre, les conservatoires français sont extrêmement peu chers, voire parfois même gratuit ! (pour les premiers cycles, ça tourne en général autour ou en dessous de 100€ l'année, pour tout les cours compris : solfège, cours d'instrument, chant choral etc...) et les instruments peuvent être prêtés !
Bien sur, le seul problème ce sont les places qui ne sont pas infinies, mais chacun à sa chance d'y entrer.
D'ailleurs, plus vous serez jeune, plus vous aurez de chances d'être pris (les professeurs de conservatoire préfèrent généralement un débutant de 6-10 ans qu'un débutant de 20 ans). Ceci dit, tout dépend de la matière que vous voulez étudier. (certaines disciplines demandent de la maturité, certaines ne demandent même aucunes études de la musiques auparavant)
Après, tu dis que s'ils ne sont pas tous virtuoses, et donc que cela ne les aidera pas.
Et bien, certes je ne pense pas qu'ils deviendront tous forcément des musiciens professionnels, cependant, ne serait-ce qu'au niveau culturel, ils auront la possibilité de multiplier leurs connaissances, s'ouvrir à l'art et à la culture, découvrir et nourrir leur passion pour la musique...
Ne serait-ce que sur le plan pédagogique et psychologique, et pour leurs développements personnels, je trouve ça vraiment génial !
Et puis, les métiers de la musique, ce n'est pas que être musicien, il y a aussi les professeurs, les journalistes/critiques musicales, tout ce qui est administration et gestion des écoles de musiques/opéras/orchestres, organisation d'événementiels et concerts, voire pourquoi pas ingénieur du son... bref, ça peut réellement créer des vocations !
Et puis apprendre la musique enseigne également une rigueur, une ouverture d'esprit, et pleins d'autres qualités essentielles dans la vie privée et professionelle.
En tout cas, j'ai un ami vénézuélien qui a bénéficié de ce programme, il a aujourd'hui un prix dans un conservatoire français et il tente le conservatoire supérieur de Paris
Sans ce programme, il est certain qu'il n'aurait pas eu la possibilité de faire ça.
Dans pleins de systèmes éducatifs à travers le monde (je pense surtout aux pays où les élèves n'ont pas cours l'après midi, comme les USA, Singapour, ou d'autres comme la Chine), il est proposé aux enfants de suivre une formation spécialisée dans diverses activités (sport, musique, ...). Et ben je trouve ça super également ! ça donne la possibilité de faire des activités parfois coûteuses, et puis comme il a été dit dans l'article, ça évite aux jeunes de traîner chez eux ou dans la rue sans rien faire.