Mr Turner raconte durant 2h30 la vie du peintre William Turner de sa quarantaine à sa mort. J’insiste sur la durée car elle est relativement imposante surtout pour un biopic consacré à un peintre, certes connu, mais dont la personnalité n’est pas aussi vive à notre esprit que celle de Dali ou de Picasso.
Pourtant pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ses oeuvres, j’invite même les blasé-e-s de la peinture à avoir la curiosité de se renseigner, par exemple en visitant la National Gallery lors d’un week-end à Londres : sa peinture, lumineuse, se laisse facilement apprécier et il n’y a pas besoin d’être un grand critique d’art pour en constater le génie.
http://youtu.be/oKgFKZQYudI
À cette peinture, le film rend un élégant hommage : les plans larges restituent ces couleurs et ces compositions si spécifiques et on se croirait réellement à l’intérieur d’une de ses oeuvres : toute la photographie du film respecte d’ailleurs cet esprit, les vapeurs par exemple, centrales dans l’oeuvre de Turner, sont délicatement mises en avant pour un discret rappel.
À voir au cinéma sinon rien
Oui mais voilà. Clairement si vous n’aimez pas Turner, si vous n’aimez pas la culture anglaise et encore moins la culture anglaise du XVIIIème, très clairement, vous allez vous ennuyer. Sans compter que ce film ne doit pas être vu sur un écran d’ordinateur, toute sa beauté en serait gâchée.
Ces tableaux méritent un grand écran de qualité. Merde.
Vous aimez les bonnes vieilles traditions anglaises ? Les personnages truculents à la Karadoc dans Kaamelot ? Vous en avez marre de ne voir que des gens à la beauté hollywoodienne sur écran ? Allez voir Mr Turner, c’est un régal pour les yeux qui justifie largement qu’on y passe du temps pour peu qu’on accepte de regarder un film qui se moque de nous divertir toutes les cinq secondes avec une explosion ou une course poursuite.
C’est pas beau une telle lumière ? Ca se suffit pas à elle seule ? Si.
Pourtant
le film n’est pas plat, bien au contraire. Timothy Spall, aka Peter Pettigrow, incarne une sorte de gigantesque porc, le même dont on amène la tête sur sa table de petit déjeuner en début de film.
Des personnages… hauts en couleurs
Bien sûr il ne s’agit pas de parler de porc pour parler d’une corpulence, mais bien de caractériser sa façon de rire, de grogner tout du long du film, de faire l’amour de façon compulsive et rustre, de se comporter avec certaines femmes mais aussi de profiter de la vie en se moquant bien de ce dont il a l’air.
Un bon vivant british en somme. Ces nuances sont bien sûr voulues par le réalisateur lui-même :
« Et pourtant l’homme était excentrique, anarchique, vulnérable, imparfait, fantasque et parfois grossier. Il savait être égoïste et fourbe, méchant ou généreux. Il était capable de grande passion et avait l’esprit d’un poète. »
Ce caractère et ce physique très particulier ne sont qu’un des aspects les plus drôles du film, le plus fameux étant sans aucun doute Petit-con, un jeune nobliau se donnant de grands airs et se prenant pour un fin connaisseur d’art qui nous rappellera avec beaucoup de plaisir les plus imbéciles spécimens croisés en galerie d’art ou en musée.
Mr Turner n’est pas plat non plus car il n’est pas dépourvu d’enjeux, à défaut d’action. Turner voit apparaître avec horreur la pire forme de modernité qui soit à un peintre : l’appareil photo, qui arrive depuis les États-Unis d’Amérique.
Parallèlement à cette peur, non pas de ne plus être reconnu, mais de devenir inutile, le peintre va affronter (en même temps dans un biopic c’est plutôt logique) la peur de la mort, de la maladie, la perte de ses proches et le film montre alors comment il tente d’y remédier par l’immortalité de ses oeuvres.
Une lenteur et une beauté salvatrices
La lenteur du film permet de créer une empathie véritable qui ferait presque croire que l’on a partagé quelque chose d’intime et d’authentique avec l’artiste et il n’y a plus besoin de grand spectacle pour créer de l’émotion grâce à ce décalage entre la grossièreté du personnage et la délicatesse de son art.
Enfin ce film met une grande claque à tout préjugé sur la beauté, pour la première fois la phrase « la beauté est intérieure » ne m’a pas paru cliché, chaque personnage dont la lumière met en avant les boutons et cicatrices est fondamentalement beau.
Et pourtant le film n’est pas tendre avec eux, notamment la servante, rôle le plus piquant peut-être, qui affiche d’horribles plaques et une déformation du dos : elle est sensée être laide, son rôle est créé pour ça, ce n’est pas lui faire honte que de le dire, et pourtant elle aussi se transforme lors de brefs instants où l’on se prend à considérer cette femme défigurée comme belle.
Regardez moi cet air de génie inspiré. Dans deux secondes il va se transformer en rat et retrouver Fab j’suis sûre.
Ce film est donc très intéressant à voir pour des amateurs de cinéma curieux car il rééduque l’oeil à la beauté hors des normes et apprend la patience aux fans de blockbuster que nous sommes.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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Et bon courage