Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des Libanaises, elle a aussi suivi les débats sur l’avortement en Irlande et en Argentine. Sa cinquième étape l’a menée au Chili !
Retrouve le sommaire des reportages, interviews et autres articles qu’elle y a réalisé ici !
Tu peux suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
Amanda Mitrovich est la jeune femme que j’ai citée dans mon premier article au sujet de l’incroyable mouvement féministe qui a secoué le Chili ces derniers mois.
C’est elle qui a géré les relations presses de la COFEU, l’organisation relais des revendications féministes étudiantes, au moment des manifestations.
Elle m’a raconté comment elle s’est retrouvée au cœur de cette mobilisation. Avec elle, j’ai pris la première d’une série de leçons de courage, données par toutes les jeunes femmes que j’ai rencontrées dans le cadre de ces portraits.
Amanda Mitrovich, une culture de l’engagement transmise par sa famille
Amanda est née à Santiago du Chili. C’est ici qu’elle a grandi, dans une famille qu’elle décrit comme « militante ».
« Mes deux parents sont profs. C’est le genre de personnes qui allaient manifester sous Pinochet [ndlr : le dictateur qui a gouverné le Chili entre 1973 et 1990]. »
Ils lui ont inculqué une façon de penser qu’elle a pu cultiver au sein de son collège. Il s’agissait d’un établissement réputé communiste, où deux personnes avaient été assassinées pour leurs idées pendant la dictature. Depuis, la culture de l’engagement s’y perpétue.
Ce qu’elle en garde, surtout, c’est son envie de questionner, de réfléchir :
« J’ai toujours été entourée de personnes qui développaient des réflexions anti-capitalistes, anti-dictatoriales.
Mais jamais on n’y parlait des femmes et de leur condition. On abordait le mouvement ouvrier et le prolétariat régulièrement, mais pas la condition d’une femme ou d’un homme gay au sein du prolétariat, alors qu’il y a des interactions dans ces oppressions. »
Le féminisme, une quête de sens personnelle
C’est vers 15 ans qu’elle a donc commencé à faire des recherches à ce sujet-là, à s’y intéresser, à lire. Et ce de sa propre initiative.
« Plus tard, j’ai été inspirée et encouragée par ma prof de philosophie qui était très féministe. »
Et Amanda de citer à ma grande surprise le nom d’une icône française :
« Simone de Beauvoir, c’est ma déesse du féminisme ! »
On peut lire dans son regard sa passion pour cette grande philosophe.
« Pour moi c’est elle qui a apporté toute la perspective sociale au féminisme. Je vois ce combat comme un combat politique.
C’est pour cela aussi que lorsque je vois des gens de droite se revendiquer du féminisme, ça me met en colère. Ce n’est pas du féminisme intégral ce qu’ils font. »
Les questions de genre dans la peau
Son engagement est tel qu’à peine entrée à l’université, la voici qui rejoint le bureau étudiant de la faculté d’Histoire de l’Université de Santiago du Chili.
« Dès ma première année j’y suis rentrée, et j’ai pris le poste de « chargée de genre ». Ce qui signifie que c’est moi qui ai du notamment gérer les dénonciations pour agressions sexuelles qu’on nous faisait parvenir. »
Elle fait référence entre autres à une affaire qui a secoué son université l’année précédente, dans laquelle deux professeurs ont été accusés d’avoir des comportements déplacés avec certaines de leurs étudiantes.
De par cette activité, elle interagit beaucoup avec la COFEU, que j’ai déjà citée plus haut : c’est l’organisation créée en 2016 pour porter la voix des femmes au sein des mouvements étudiants.
Le porte-parolat de cette coordination féministe tourne régulièrement entre les membres et lorsque « la 3ème vague féministe chilienne » surgit en avril, c’est justement le moment de changer.
La COFEU devenait le point de référence nationale dans ce mouvement féministe et étudiant, alors le choix s’est porté sur quelqu’un qui a de l’expérience en la matière : Amanda Mitrovich.
Porte-voix des étudiantes féministes chiliennes
La voilà propulsée sur le devant de la scène, de sorte que lorsque je lui propose l’interview, elle m’explique que je ne suis pas le premier média français à la contacter.
Elle se félicite de ce que les étudiantes chiliennes ont accompli en l’espace de quelques semaines.
« Le féminisme ne commence pas et ne s’arrête pas à cette mobilisation hors norme.
On a longtemps travaillé en amont, c’était quelque chose qui bouillait depuis des mois, qui a explosé sans qu’on s’y attende, et qui s’est répandu au-delà du mouvement étudiant.
On a démontré à la société chilienne qu’on était nombreuses. La prochaine fois qu’un homme sera tenté de harceler une femme il y pensera à deux fois. On est capables de répondre. »
Les grandes manifestations des 16 mai et 6 juin lui reviennent en mémoire avec émotion.
« Lorsque je me suis retrouvée à devoir prendre la parole lors des deux grandes marches, j’en ai pleuré.
Je n’arrivais pas à y croire, 170 000 personnes mobilisées pour une cause que je défendais ? J’étais tellement heureuse et fière.
Je me dis qu’en ayant accompli ça à 20 ans, je vais pouvoir relever mes ambitions pour le futur et ça me remplit d’énergie ! »
Oui, je ne vous avais pas précisé qu’Amanda Mitrovich a 20 ans. Et la capacité de changer le monde, avec toutes ses « compagnes de lutte ».
Pas seulement en prenant la rue, mais aussi en éduquant les futures générations, puisque son désir profond est d’être professeure.
« J’ai vu ce que certains et certaines ont fait pour moi. Je sais l’impact que ça peut avoir, à quel point ça peut contribuer à faire avancer les choses. »
Et moi, je souhaite à des générations d’élèves de passer par sa classe, où je suis sûre qu’elle saura transmettre son énergie, son engagement, sa passion.
Merci à Sophie Lopèz Van Houtryve pour son aide à l’interprétation !
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