Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des Libanaises, elle a aussi suivi les débats sur l’avortement en Irlande et en Argentine. Sa cinquième étape l’a menée au Chili !
Retrouve le sommaire des reportages, interviews et autres articles qu’elle y a réalisé ici !
Tu peux suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
- Précédemment : Amanda Mitrovitch, porte voix des jeunes féministes chiliennes – Celles qui luttent 2/4
L’établissement Javiera Carrera est un collège-lycée de filles réputé au cœur de Santiago du Chili.
Mais depuis plus d’un mois, lorsqu’on passe devant, ce ne sont pas des élèves studieuses que l’on peut observer. À la place, des banderoles indiquant « Liceo en toma feminista », c’est à dire « Lycée en blocus féministe ».
Pour rentrer, il faut donner son nom complet, sa carte d’identité, s’inscrire sur une liste. « C’est pour éviter l’intrusion de personnes qui dégradent le matériel comme c’est arrivé plusieurs fois », m’explique Celeste*.
La jeune femme a été désignée porte-parole de la mobilisation, si bien que c’est à elle qu’on me demande de me référer pour poser mes questions.
Tout a l’air très bien organisé.
Un lycée à l’historique féministe
Elle m’accueille lors de ma 2ème visite avec sa camarade Marina*, vice-présidente du bureau des élèves. Je m’interroge : comment des lycéennes décident-elles de suivre un mouvement étudiant féministe ?
« Il faut noter que c’est un lycée de femmes. Aujourd’hui c’est peut-être le « boom » du mouvement féministe mais historiquement les élèves du Liceo 1 ont toujours été sensibles à ce type de mobilisation. Ça fait partie de son identité. »
Ce ne sont pas Celeste et Marina qui ont à proprement parler lancé le débat dans leur lycée, mais un groupe qui a sollicité le bureau des élèves pour l’organisation de journées « de réflexion » lorsque le mouvement s’est étendu dans les Universités du pays.
« Dans toutes les classes, on a fait passer un papier pour informer complètement les étudiantes sur le thème, sur les raisons de ces nombreux blocus de facultés. »
Partis de l’Université Australe du Chili, les grèves et blocus féministes des étudiantes se sont répandus comme une traînée de poudre dans le pays : un sentiment de révolte générale dû aux nombreuses agressions sexuelles sur les campus.
« On a organisé une assemblée féministe. On y a reparlé des enjeux, puis on a mis au vote la forme que devait prendre la mobilisation. »
Résultat ?
« Nous sommes en blocus indéfini, ce qui signifie que tant que nous n’obtenons pas satisfaction sur un certain nombre de points revendiqués, nous continuons de bloquer le lycée. »
Elles voulaient « plus que tout faire leur part ».
Ras le bol du « règlement de princesses précieuses »
Comme partout, les violences sexuelles et leur traitement sont au cœur des revendications. Elles sont capables de me citer cinq « affaires » ayant eu lieu entre les murs du lycée.
Elles fustigent la direction et le personnel qui « se couvrent mutuellement ».
« – On exige que les professeurs accusés d’abus commis sur des élèves soient renvoyés. Cela se sait, mais ils sont protégés. La direction évoque le fait de mener des investigations, mais on a l’impression que ce ne sont que des mots.
– On a beau être un lycée de femmes, il y a beaucoup de machisme dans notre établissement. Ce peut être de la part des professeurs, mais aussi entre élèves. »
Pêle-mêle, elles décrivent également les injonctions à « se tenir comme une dame », à « parler comme une femme », à « être délicates ».
« On n’a pas non plus de liberté d’expression de nos individualités, il y a un uniforme, un code très strict qui interdit le maquillage, le vernis, un certain nombre de bijoux. »
J’ai du mal à imaginer les deux jeunes femmes à l’allure assurée qui se tiennent devant moi en uniforme scolaire. Pourtant, les jupes aux couleurs de l’école sont d’ordinaire de rigueur.
« C’est un règlement de princesses précieuses. »
Une éducation non sexiste, dès le lycée
Globalement, elles exigent donc la formation de tout le personnel du lycée aux thématiques de genre, le renvoi de certains professeurs accusés d’abus, la mise en place d’un protocole de dénonciation qui évite toute tentative de protection des auteurs de la part de l’administration.
« On veut aussi une éducation non-sexiste et une éducation sexuelle. Ici cette dernière se résume à la distribution d’un document une fois par an, c’est insuffisant, d’autant plus qu’il est très hétéronormé, aussi.
On ne nous dit rien de la transidentité, de l’homosexualité non plus alors même que dans cet établissement il y a de nombreuses élèves lesbiennes. »
Marina renchérit sur l’éducation :
« On veut que les femmes soient davantage intégrées dans les programmes. On ne nous parle que de Javiera Carrera et encore c’est parce que notre lycée porte son nom.
On veut plus de diversité dans les cursus, qu’on nous enseigne aussi l’Histoire de la lutte féministe. »
Ces revendications dépendent du ministère de l’Éducation, ce qui rend les négociations plus complexes.
« C’est beaucoup plus difficile d’obtenir satisfaction rapidement car il faut réformer tout le système d’éducation. »
Les convictions se forment dès le plus jeune âge
J’étais curieuse de savoir comment s’étaient forgées de telles convictions féministes. Celeste me raconte :
« J’ai une famille qui a toujours été engagée. Mais sur les droits des femmes précisément je pense que j’avais les principes, les valeurs d’égalité, sans avoir le concept de « féminisme » à appliquer. »
Leur mobilisation fait ainsi suite à d’autres engagements. Toutes les deux ont fait ou font partie du bureau des élèves :
« Parce que j’en étais membre, j’ai été encore plus investie que je ne l’aurais été sinon, car on a été énormément sollicitées, » m’explique Marina.
Elles se souviennent avec émotion des manifestations historiques qui ont eu lieu ces derniers mois :
« C’était très spontané, on sentait beaucoup de sororité, de solidarité.
Ça montre qu’on n’est pas seules, que la cause a de la résonance. Je me suis sentie euphorique, très heureuse ! »
Au delà des négociations formelles, elles se félicitent du changement de société dont elles veulent être – ou sont déjà ? – les témoins.
« Un certain nombre de comportements qui n’auraient jamais dû être acceptés ne le sont définitivement plus.
Le Chili est un pays conservateur, ce n’est pas facile d’opérer ce type de changement, mais c’est en route. »
Et avec une génération comme celle-ci à la manœuvre, il y a fort à parier que rien ne leur résistera !
*Les prénoms ont été modifiés
- Sommaire : les reportages de madmoiZelle au Chili
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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