Mardi 28 juin 2023, Nahel, 17 ans, était tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier. Les nuits suivantes, la jeunesse descendait dans la rue et s’insurgeait contre le continuum des violences policières, affichant avec ardeur le ras-le-bol généralisé de voir, une fois de plus, un jeune homme racisé issu de quartier populaire abattu par les forces de l’ordre. Rapidement, les médias dominants et une partie de la classe politique ont employé le terme « émeutes » pour qualifier ces soulèvements, et les dégradations urbaines engendrées. Une terminologie vivement décriée par de nombreux activistes, sociologues et internautes. Pourquoi oppose-t-on ces deux mots ? De quoi ce débat est-il révélateur ? Décryptage.
D’où vient le terme émeute, et que signifie-t-il ?
Le dictionnaire Le Robert définit les émeutes ainsi : « Soulèvement populaire, généralement spontané et non organisé ». Une définition qui recoupe celle du Larousse : « Soulèvement populaire, mouvement, agitation, explosion de violence ».
Comme le retrace Ouest France, le sociologue Laurent Mucchielli dresse un portrait de ce type de mobilisations dans la revue Cités (n° 50) en 2012 :
Les émeutes françaises contemporaines ont lieu dans les quartiers populaires d’habitat collectif frappés par la désindustrialisation et le chômage, habités massivement par des familles d’ouvriers et d’employés dont beaucoup proviennent des grands flux migratoires depuis les années 1950. Elles surviennent généralement à la suite de la mort d’un ou plusieurs jeunes du quartier concerné, presque toujours en relation avec une opération de police.
Laurent Mucchielli
Pour produire cette définition, il se base sur plusieurs soulèvements, observés dès les années 1970.
Les médias dominants emploient souvent le terme d’« émeutes » pour désigner les révoltes de Stonewall, aux États-Unis : « le 28 juin 1969, les clients d’un bar gay de New York se sont insurgés après une énième descente de la police dans l’un des seuls établissements de la ville où leur présence était tolérée. Un événement fondateur dans la lutte des droits de la communauté LGBTQ+ » résume Radio France.
Dans l’Hexagone, ce terme est employé pour désigner les soulèvements en 1990 à Vaulx-en-Velin suite à la mort d’un jeune percuté par une voiture de police, puis en 1991 suite à la mort de Djamel, 18 ans, tué par un vigile à la sortie d’un supermarché de Sartrouville, et en 2005, après les décès par électrocution de Zyed Benna et Bouna Traoré, alors pourchassés par la police.
Pourquoi le terme émeute pose-t-il problème ?
En 2005, le Bondy Blog est créé. Ce média ambitionne de « donner la parole aux habitants des quartiers populaires ». Comme le rappellent nos confrères d’Ouest France, les rédacteur•ices du Bondy Blog sont dans les premiers à rejeter le mot « émeutes ». Vingt ans plus tard, l’actuelle rédactrice en chef du média, Héléna Berkaoui, confirme cette volonté :
Le terme d’« émeute » dépolitise l’action. La révolte traduit une colère qui est politique et conscientisée. « Émeute » renvoie à la sauvagerie, à la désorganisation et à la barbarie. Quand on parle de personnes, c’est dommage. Le mot « révolte » est plus adéquat.
Héléna Berkaoui, interrogée par Ouest France, le 5 juillet 2023.
Une vision partagée par la sociologue Kaoutar Harchi, autrice du puissant ouvrage Comme nous existons, qui traite, entre autres, des violences policières et aborde le racisme systémique qui soumet les hommes racisés au « risque permanent de la peine de mort », comme le relaie Télérama. Sur Twitter, l’écrivaine a appelé à se défaire du mot émeute, qui perpétue, de surcroît, un biais raciste :
Quelle est la position du gouvernement sur la question des révoltes ?
Comme le rappelle très justement Ouest France, le gouvernement continue d’employer le terme d’émeute. Camille Chaize, porte-parole du ministère de l’Intérieur, a par exemple déclaré au micro de France Inter le 29 juin : « Il ne faut pas forcément chercher des symboles derrière tout ça. C’est vraiment des émeutes, de la violence ». Emmanuel Macron a même déploré une « instrumentalisation inacceptable » de la mort de Nahel.
Seulement, isoler l’histoire de Nahel, c’est occulter le continuum de violence dans lequel sa mort s’inscrit, le racisme et le classisme qui gangrènent l’État et permettent à ces violences de se perpétuer.
Les Commentaires
Je n'ai jamais dit le contraire unno: